COLLAGES RÉCENTS D’IGOR MINAEV
By Jean-Claude on Fév 5th, 2024
COLLAGES RÉCENTS D’IGOR MINAEV
Réalisateur russe né à Kharkiv, Igor Minaev est marqué par un des traits distinctifs de l’art ukrainien, l’hyperbolisme, l’attrait pour le baroque, la profusion coloriste et formelle
Le film d’Igor Minaev L’inondation, d’après l’œuvre de Zamiatine, paru en 1994 avec Isabelle Huppert, a été restauré et va sortir le 28 février en salles dans un “circuit du patrimoine français”
LES ARTISTES DE RUSSIE ET D’UKRAINE À LA SECTION D’OR (1912-1925), juillet 2000
By Jean-Claude on Fév 2nd, 2024
LES ARTISTES DE RUSSIE ET D’UKRAINE À LA SECTION D’OR (1912-1925)
Il n’ est pas question ici de retracer dans le détail l’événement que fut l’apparition du cubisme au Salon des Indépendants, puis à celui d’ Automne, en 1911, et les sarcasmes qu’ils provoquèrent. Je voudrais simplement citer la prise de position du jeune critique français Jacques Rivière dans le numéro de juillet 1911 de La Nouvelle Revue Française où il peut, entre autres, s’exclamer :
“Le cubisme est mort, vive le fumisme” (à propos des tableaux de Le Fauconnier Chasseur et de Léger La Rue)!
Le futur directeur de la NRF récidive en mars 1912 lorsqu’il écrit un très important article dans la Revue d’Europe et d’Amérique, “Les tendances actuelles de la peinture”, dans lequel de façon très intelligente et fine il fait une magistrale analyse du cubisme qu’il prend tout à fait au sérieux mais dont il condamne la visée :
“Je n’en conclus pas que leur [celle des cubistes] tentative soit vaine et gratuite, au contraire; leur embarras me fait croire qu’il y a dans l’affaire quelque chose qui les dépasse, une nécessité toute puissante de l’évolution de la peinture, plus de vérité qu’il ne leur est possible d’en apercevoir du premier coup. Ils sont les précurseurs, comme tous les précurseurs, d’un art nouveau, dès maintenant inévitable” .
On le sait, dans cet article, Jacques Rivière “met à part” son ami André Lhote “dont les oeuvres récentes me paraissent marquer avec une simplicité admirable l’avènement décisif de la peinture nouvelle” . Comme écho-réponse légèrement ironique, Apollinaire peut déclarer :
“La peinture de M. Lhote est un compromis entre les diverses tendances que se partagent nos jeunes peintres de talent. Ses images ne pourront manquer de plaire à ce grand enfant, le public” .
André Lhote exprime bien sa position de compromis dans sa lettre à Jacques Rivière le 12 août 1911, condamnant le “renoncement à la grâce et à l’esprit”, “l’abstraction pure des Braque et Picasso” :
“D’un côté trop de complaisance pour la joie extérieure [les impressionnistes], de l’autre les ténèbres sans humanité”.
Ainsi la Section d’Or de 1912 apparaît pour une part, après tous ces soubresauts, comme un essai de montrer que la nouvelle forme d’art appelée cubisme non seulement s’appuyait sur les lois éternelles de l’art (référence implicite au Nombre d’or et à Léonard de Vinci) et était animée d’un esprit “scientifique”, mais était également plurivoque comme le souligne Maurice Raynal dans son article consacré à l’exposition . Ainsi les cézannistes géométriques Metzinger, Albert Gleizes, Alexandra Exter se confrontent aux “futurocubistes” Marcel Duchamp et Raymond Duchamp-Villon. Le “fumiste” (selon Jacques Rivière) Léger côtoie les géométries aux coloris si différents l’un de l’autre de Juan Gris ou de Jacques Villon, ou encore le primitivisme de Sofia Lewitska. Si le cubisme analytique de Picasso et de Braque de 1910-1911, au seuil de l’Abstraction mais ne s’y abîmant pas, est absent (peut-être pas pour des raisons uniquement circonstancielles), il y avait bien les masses hermétiques en mouvement de Marcel Duchamp pour représenter l’extrémisme cubiste, mâtiné ici de futurisme.
Ainsi, c’est dit :
“Les cubistes, à quelques tendances qu’ils appartiennent apparaissent […] comme les artistes les plus sérieux et les plus intéressants de notre époque” .
Le choix d’un intitulé qui rappelle les rapports de mesure les plus antiques et les plus classiques indique – selon Apollinaire – que les cubistes “ne se croient pas isolés dans l’art et qu’ils se rattachent à la grande tradition” . Les artistes russes ou russo-ukrainiens présents à la Section d’or de 1912, comme à celles qui auront lieu en 1920 et 1925 répondent pleinement à cette exigence esthétique revendiquée.
Archipenko, qui participe aux trois manifestations, faisant la recension du Salon des Indépendants de 1911 pour un journal russe de Paris, déclare :
“Le groupe [des modernistes] se tient aux traditions des anciens maîtres et construit ses chefs-d’oeuvre sur des principes extrêmement intéressants. Le géométrisme des formes qui se répète rythmiquement sur leurs toiles témoigne de ce que les peintres de cette École ont étudié non seulement les classiques mais aussi le grand style égyptien dans lequel l’architecture des corps était construite à partir des figures géométriques presque exactes. Dans leurs oeuvres, dans cet étalement des figures géométriques, on voit leur logique étonnante, surtout dans la grande toile de Le Fauconnier. Ils étalent ces figures en fonction du clair-obscur, de la coloration de l’objet et de l’anatomie. Leurs toiles sont extrêmement riches en formes et ont plutôt un caractère sculptural. Leurs couleurs ne ressemblent pas aux couleurs gaies et vives de fête de Van Dongen chez qui plusieurs toiles sont divisées en deux ou trois tons. Leurs tableaux présentent une tache rigoureuse entière, leur gamme variée de couleurs est réduite à un ton clair, tranquille. cette École a un très grand avenir” .
De 1910 à 1912 l’oeuvre sculptée d’Archipenko utilise essentiellement le bois et le plâtre, alors qu’à la Section d’or de 1912 il montre une “statuette en ciment” Danseuse. Ce matériau a été peu utilisé par l’artiste ukrainien. La toute petite Salomé en ciment, qui fut exposée à l’Armory Show en 1913 , semble être, au moins par le sujet, la plus proche de ce sujet.
“Regardons cette Salomé, écrira Apollinaire en 1914 , ses désirs languissants presque brutalement éclairés”.
La danse est un des sujets privilégiés par Archipenko autour de 1912, car dans sa volonté de sortir du réalisme psychologiste de Rodin l’artiste ukrainien y voit un élément essentiel de la sculpture : le mouvement, le rythme dans l’espace (voir : Danse rouge (plâtre coloré de 1912, La Danse (bronze de 1912, reproduit sur la couverture de la revue anglaise Sketch le 29 octobre 1913) . L’utilisation du ciment est déjà un “geste” novateur, puisque dans la ligne des conceptions des novateurs russes et ukrainiens des années 1910, la faktoura (i.e. la texture) est un élément essentiel de la création artistique. D’autre part le mouvement penché et amplement arrondi de la Salomé est celui qu’Archipenko donne à ses figures à cette époque (voir le célèbre Penché) ne sera pas sans conséquence pour ses compatriotes Tatline (pour lequel David Bourliouk parlait de “rondisme”), voire Naum Gabo dans son fameux Torse en carton .
Une compatriote kiévienne d’Archipenko, Alexandra Exter, est présente à la Section d’or de 1912 . Sans doute, les oeuvres mentionnées dans le catalogue comme “Le Pont” (N° 180) et “ Étude pour ‘Le Pont’ “ (N° 181) sont-elles le célèbre Pont (Sèvres) [huile sur toile, 145 x 115 cm] du Musée National des Arts Plastiques de Kiev et le Dessin pour le tableau Pont (Sèvres) de la collection privée kiévienne Koutchérenko. Ce sont des oeuvres typiquement “cézannistes géométriques” comme la toile de la même époque Bords de Seine du Musée d’Art de Yaroslav ; on y trouve une magistrale et originale interprétation du fameux précepte cézannien concernant le traitement de la nature “par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective”. Les contours des motifs paysagistes restent lisibles, la perspective n’est pas encore totalement abandonnée mais elle perd son statut illusionniste. La gamme de couleurs est ici très retenue (ocres, blancs, gris), dans l’esprit du cubisme parisien mais avec quelques touches discrètes de bleu et de vert qui indiquent bien que le tempérament pictural d’Alexandra Exter va bientôt sortir de cette modération coloriste et également des espaces aérés et légers comme des aquarelles et que va, immédiatement après, fuser une gamme exubérante et une tendance au baroque, issus de la tradition populaire et architecturale ukrainienne. C’est le cas des Ponts de Paris(vers 1912, coll. part., Italie), de Ville (Musée d’Art Moderne, Saint-Etienne), de Ville de Kiev (coll. part., Allemagne), de Gênes (ancienne coll. galerie Gmurzynska) pour lesquels on a pu parler de “poèmes architectoniques” avec les éléments futuristes qui s’accentuent dans Ville et La ville de Kiev, et font se courber telles des vagues les ensembles architecturaux (c’est à partir de ce moment-là que l’on commence à parler en Russie de “cubofuturisme”).
La troisième artiste de la Section d’or de 1912, issue de l’ Empire Russe, est l’Ukrainienne Sofia (ou Sonia) Lewitska qui fut remarquée à plusieurs reprises par Apollinaire dans ses chroniques d’art. Au Salon des Indépendants de 1910, alors qu’il trouve “très vilains” les nus de Duchamp et que Kontchalovski est dit peindre “à coup de bottes”, le poète cite, à la suite,
“Lewitska dont un tableau représentant un couple nu dansant dans un parc est assez joyeux” .
Dans sa recension du Salon des Indépendants de 1912, Apollinaire cite Sofia Lewitska entre Alexandra Exter et Kandinsky :
“L’envoi de Mme Lewitska est un des meilleurs envois féminins du Salon. Elle a regardé les paysages du Douanier, mais sa personnalité est restée entière et le sentiment qui anime sa toile La Campagne, est large comme ces choeurs que chantent les villageois de son pays” .
A propos des paysages du Roussillon de Sofia Lewitska aux Indépendants de 1913, Apollinaire parle d’ “art délicat qui confine au cubisme par la vérité des derniers plans” et, à l’occasion du Salon d’Automne de la même année, il note que “Mme Lewitska a un talent lyrique et simple qui me semble de plus en plus personnel et séduisant” .
Nous voudrions mieux apprécier la peinture de Sofia Lewitska qui reste à découvrir. En revanche, son oeuvre gravée est davantage connue. L’artiste y montre une richesse de composition (par exemple, dans La Cueillette des pommes) qui en fait l’héritière des complexes compositions végétales sculptées du baroque ukrainien mais aussi de la haute tradition de la gravure ukrainienne qui “fut un domaine privilégié du génie ukrainien à toutes les époques” .
Quand la Section d’or est “renouvelée” en 1920 sous forme d’association, de ses trois fondateurs (Archipenko, Gleizes, Survage) deux viennent de l’ancien Empire Russe, le Kiévien Archipenko et le Moscovite Survage. Notons encore,dans le bureau de cette association, l’ancien étudiant de l’École d’art de Kiev Serge Férat. On y est frappé par la présence relativement nombreuse parmi les exposants d’artistes russes : François Angiboult (la baronne Eléna Frantsevna Oettingen), Natalia Gontcharova, Larionov, Marie Vassilief . Il y avait là, outre un des théoriciens français du cubisme (Gleizes dont le livre de 1912, écrit avec Metzinger – absent du Salon de 1920 – Du “Cubisme” avait été traduit deux fois en russe en 1913), des artistes qui furent entre 1910 et 1915 des novateurs de premier plan. La présence de Jacques Villon et, de façon posthume, de sculptures de Raymond Duchamp-Villon montre la filiation de cette Section d’ or de 1920 avec “le groupe de Puteaux” . Le même esprit qu’en 1912 semble animer les organisateurs : prouver que le cubisme est une forme d’art qui puise ses principes esthétiques dans l’art du passé. C’était ce que s’était ingénié de démontrer depuis 1912 aussi bien Gleizes, Metzinger, Apollinaire que Maurice Raynal ou Daniel-Henry Kahnweiler. La Section d’or de 1920, comme celle de 1912, semble se diriger vers un cubisme d’école; il semble devenir chez les anciens révolutionnaires de 1907-1914 une discipline, et non plus une poétique totalisante, ayant l’ambition de créer un univers pictural nouveau en embrassant dans un seul mouvement l’apparent et ses sources inapparentes.
Il y avait eu en 1918 le petit livre d’Ozenfant et de Jeanneret [Le Corbusier] Après le Cubisme qui prônait le retour à la nature, ce qui ne signifiait nullement la copie de la nature puisque la règle préconisée était la géométrisation du monde des objets . Et puis en 1919 nous retrouvons La Nouvelle Revue Française et André Lhote qui, dans sa recension d’une exposition de Braque dans le numéro de juin, parle de la nécessité d’un “rappel à l’ordre” (l’expression est bien celle-là!), ce qui sera repris à la fin des années 1920 par Cocteau, cette fois sous la forme d’une constatation, comme “retour à l’ordre”. L’on sait que cette idéologie détestable n’a cessé de faire florès de façon larvée ou explicite jusqu’à aujourd’hui…
Ce contexte explique sans doute qu’il n’y ait ni puristes ni Lhote à la Section d’or de 1920, bien qu’il n’y ait pas non plus d’extrémistes. Pierre Albert-Birot éprouve le besoin, en annonçant l’exposition dans un entrefilet de L’Intransigeant du 27 février 1920, que “le groupe dit ‘Dada’ ne fait pas partie de la ‘Section d’or’ “. Donc ni pré-constructivistes (ils sont essentiellement en Allemagne ou en Russie soviétique – en particulier Alexandra Exter – à ce moment-là) ni, surtout, le nihilisme dadaïste.
En fait, si l’on en juge par les seuls Russes présents, cette Section d’or de 1920 est sous le signe d’Apollinaire. Serge Férat [Yastrebtsov], on s’en souvient, ainsi que François Angiboult [Eléna Oettingen] furent les éditeurs-chroniqueurs de la revue cubiste Les Soirées de Paris en 1913-1914, dont Apollinaire était le rédacteur en chef. Archipenko qui, en 1912, était au seuil de ses expérimentations, avait derrière lui, en 1920, ses sculpto-peintures, ses constructions polychromes faites avec les matériaux les plus divers, il avait inventé dans la sculpture moderne la “trouée” de la masse (voir le bronze Figure debout, 1917, MNAM) et le concave. Il avait reçu le soutien appuyé d’Apollinaire qui, dans sa préface à l’exposition du sculpteur ukrainien à Der Sturm en mars 1914, tient à souligner qu’ “on perçoit dans son art une adaptation totale à la tradition”, qu’il “a été nourri du meilleur de la tradition”25 .
La grande Natalia Gontcharova avait eu une rétrospective de plus de 700 oeuvres à Moscou en 1913, avait avec le compagnon de sa vie Larionov contribué à la formation fulgurante et éphémère du Rayonnisme entre 1912 et 1915, mouvement non-figuratif et abstrait dont Apollinaire écrivit dans Les Soirées de Paris de juillet 1914 qu’ il fut “un raffinement nouveau” dans la peinture . On peut dire que Natalia Gontcharova a marqué de sa forte personnalité tous les mouvements importants qui ont bouleversé en Russie les données esthétiques traditionnelles (impressionnisme, gauguinisme, primitivisme, cubofuturisme, rayonnisme). A partir des décors qu’elle fit pour l’opéra burlesque Le Coq d’or de Rimski-Korsakov aux Ballets Russes de Diaghilev (Opéra de Paris, 1914), elle mettra en oeuvre tous les procédés inventés en peinture dans ses esquisses des décors et des costumes de théâtre, faisant une synthèse du cubofuturisme, du rayonnisme et du primitivisme, servie par des couleurs opulentes qui feront date dans l’évolution de l’art scénique. Son oeuvre proprement picturale après 1916 oscille entre des tentatives purement géométriques (proches de De Stijl et du Bauhaus) et des séries d’ “Espagnoles”, de “Magnolias” ou d’ “Orchidées” qui se distinguent par une construction très rigoureuse et la finesse du coloris, avec un parti-pris de figuration stylisée et décorative.
Larionov, qui n’est jamais passé par la stricte discipline cubiste, développera aux Ballets Russes de Diaghilev à partir de 1916 ce que l’on pourrait appeler un “futuroprimitivisme”. La force d’expression, la luxuriance des couleurs de ses décors et costumes, la richesse de leurs formes, puisées dans l’art populaire russien, ont marqué l’histoire universelle de l’art. Dans son travail public d’après 1918, Larionov hésite entre plusieurs styles mais reste fidèle dans toutes ses recherches au primitivisme de base, lequel se traduit dans l’absolue liberté du geste de tracement des lignes, dans son immédiateté. On peut observer cela dans la magnifique Nature-morte aux carafes et aux rideaux de la collection Thyssen-Bornemisza qui me paraît de façon évidente être de cette période .
François Angiboult est encore peu connue. Elle fut cependant remarquée par Apollinaire, Rémy de Gourmont, Pierre Albert-Birot qui parle de son style “quatrième dimension” et qualifie sa création picturale de “vastes fantaisies de toutes couleurs”. Son esthétique est souvent proche des paysages urbains de Survage, qui fut son ami dans les années 1910, avec la fragmentation des plans . Sa gamme colorée, par exemple dans la Composition au cadre peint30 est très proche de la gamme “slave” de Sonia Delaunay. Ce qui est le cas aussi de Serge Férat dont Valentine Marcadé a écrit que
“son oeuvre délicate se conçoit facilement si on la compare avec les motifs ukrainiens des broderies et des oeufs colorés extrêmement ouvragés et riches en variations rythmées” .
Elle reproduit à l’appui une Composition cubiste de 191332 . Cette même joyeuseté russo-ukrainienne s’exprime dans les décors que Serge Férat fit pour la pièce burlesque d’Apollinaire Les mamelles de Tirésias en 1917.
On le sait, Apollinaire fut celui qui lança dans un calligramme “Survage”, connu juqu’alors par le nom finnois-suédois de son père Stürzwage. Quittant le primitivisme à forte charge symboliste de ses débuts moscovites, passé par la synthèse abstraite couleur-musique de ses “Rythmes colorés” en 1913-1914, l’artiste russe invente, à partir de 1914, un cubisme ornemental idiolectique très complexe :
“Nul, avant Survage, n’a su mettre dans une seule toile une ville entière avec l’intérieur des maisons”, s’exclame Apollinaire en 1917 .
Survage lui-même a pu définir de façon convaincante la poétique si singulière de son oeuvre “paysagiste” de l’époque :
“J’élargis et je complète le cubisme, en définissant la base plastique comme une ‘synthèse plastique de l’espace’. Le cubisme se borne au volume, n’allant pas jusqu’au bout du problème : la base de notre vision n’étant sûrement pas le volume (terrain de la nature-morte), mais l’espace (le paysage). ainsi le volume nécessite-t-il l’éclairage et, le paysage, la lumière. ces deux côtés formels contiennent l’élément primordial de tous les arts : le rythme qui, lui, étant morcellement de l’uniforme de l’infini, nous ramène finalement à ce qu’on nomme ‘la Création du Monde’. C’est là le côté cosmique de l’art dont la seule expression possible est la métaphore” .
La présence de Marie Vassilief à la Section d’or de 1920 se justifiait pleinement. N’avait-elle pas de façon convaincante donné une interprétation originale du cézannisme géométrique (par exemple dans son Paysage d’Espagne, ancienne coll. Gregor et Brasseur ) et du cubisme stricto sensu ( par exemple la vigoureuse Femme à l’éventail de la coll. Thyssen-Bornemisza ou Portrait de femme de la coll. Bernes) entre 1913 et 1916. N’oublions pas que Marie Vassilief avait fait venir en 1914 Fernand Léger à son Académie de l’avenue du Maine pour y faire sa conférence “Les origines de la peinture et sa valeur représentative” qui fut fondatrice de son enseignement ultérieur, prenant comme base les règles initiées par la pratique cubiste :
“La valeur réaliste d’une oeuvre est parfaitement indépendante de toute qualité imitative […] Le réalisme pictural est l’ordonnance simultanée de trois grandes quantités plastiques : les lignes, les formes et les couleurs.”
Marie Vassilief s’adonne pleinement à la déconstruction cubiste transformant la surface picturale en un amas de blocs, un éboulis, un peu dans l’esprit des Nus dans la forêt de Léger. Dans le même temps, à partir de 1914, son style se fait moins hermétique, affleure alors le primitivisme puisé aux sources populaires de sa Russie natale, comme en témoignent des oeuvres comme l’ Autoportrait et autoportrait-poupée de 1915 ou La Danse de 1920. On a affaire ici avec une poétique épurée où la rigueur compositionnelle, voire la géométrie dépouillée sont mises au service d’une image proche du loubok ou des jouets répandus dans l’Empire Russe avant la Révolution de 1917.
La participation russe et ukrainienne aux expositions de la Section d’or n’est pas fortuite. En effet l’“École russe” s’était signalée entre 1906 et 1914 de façon éclatante comme ayant fourni une contribution de premier plan à la révolution plastique de cette époque. Sans les préoccupations socio-politiques de leurs compatriotes de la Russie et de l’Ukraine soviétiques après 1917, les artistes restés en France affirment la continuité de leur aventure purement plastique, certes assagie par rapport aux luttes d’avant la guerre de 1914, mais persévérant avec opiniâtreté dans la création d’une beauté “moderne”, c’est-à-dire non asservie aux canons académiques de la restitution mimétique de la réalité.
Jean-Claude MARCADÉ
Le Pam, juillet 2000
Lettres de Valentina Vassioutinskaïa à Vania Marcadé en juin-juillet 1953
By Jean-Claude on Jan 30th, 2024
Lettres de Valentina Vassioutinskaïa à Vania Marcadé en juin-juillet 1953
En mettant en ordre nos archives, je suis tombé par hasard sur ces lettres écrites par celle qui était alors mon professeur de russe au lycée Montesquieu à Bordeaux, Valentina Dmitrievna Vassioutinskaïa, qui m’écrivait en russe et que je traduisais à l’aide d’un dictionnaire. Ce sont ces brouillons qui m’ont rappelé les tout débuts de notre relation qui s’avéra exceptionnelle quelques années plus tard.
POLITIQUE ET ART APRÈS LES RÉVOLUTIONS DE 1917 EN RUSSIE, 1993
By Jean-Claude on Jan 25th, 2024
A propos de l’auteur
Jean-Claude Marcadé, родился в селе Moscardès (Lanas), agrégé de l'Université, docteur ès lettres, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S). , председатель общества "Les Amis d'Antoine Pevsner", куратор выставок в музеях (Pougny, 1992-1993 в Париже и Берлинe ; Le Symbolisme russe, 1999-2000 в Мадриде, Барселоне, Бордо; Malévitch в Париже, 2003 ; Русский Париж.1910-1960, 2003-2004, в Петербурге, Вуппертале, Бордо ; La Russie à l'avant-garde- 1900-1935 в Брюсселе, 2005-2006 ; Malévitch в Барселоне, Билбао, 2006 ; Ланской в Москве, Петербурге, 2006; Родченко в Барселоне (2008).
Автор книг : Malévitch (1990); L'Avant-garde russe. 1907-1927 (1995, 2007); Calder (1996); Eisenstein, Dessins secrets (1998); Anna Staritsky (2000) ; Творчество Н.С. Лескова (2006); Nicolas de Staël. Peintures et dessins (2009)
Malévitch, Kiev, Rodovid, 2013 (en ukrainien); Malévitch, Écrits, t. I, Paris, Allia,2015; Malévitch, Paris, Hazan, 2016Rechercher un article
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