Jean-François Kahn est un journaliste et écrivain français. En 1984, il crée L’Événement du jeudi, puis, en 1997, l’hebdomadaire d’information Marianne dont il est le directeur jusqu’en 2007. Son dernier essai, L’Horreur médiatique est paru chez Plon.
LE FIGARO. – Dans le HuffingtonPost.fr, Bernard-Henri Lévy appelle à quitter les Jeux de Sotchi. Que vous inspire cette prise de position?
Jean-François KAHN. – Tout d’abord, Bernard-Henri Lévydéteste le sport: il n’aime ni le football, ni l’athlétisme, ni les sports d’hiver. Tous les prétextes sont donc bons pour faire interdire les compétitions sportives! Plus sérieusement, on peut s’interroger sur sa légitimité et sur la complaisance des médias à son égard. BHL n’a aucune responsabilité politique, il n’est pas élu. Dans ces conditions, comment expliquer qu’il lui suffise d’un coup de téléphone pour bénéficier d’une dépêche AFP?
Sur le fond, je rappellerais simplement que BHL nous a entraînés dans la guerre en Libye dont nous payons aujourd’hui les conséquences, notamment au Mali. Nous attendons toujours son autocritique. Je trouve extraordinaire qu’un philosophe soit à ce point incapable de faire preuve de recul sur ses propres actes. Comme tout le monde, je suis choqué par la violence des événements qui se déroulent en Ukraine. Mais je refuse totalement la vision simpliste et néostalinienne de BHL. Sait-il par exemple qu’une partie des manifestants de Kiev appartiennent à un parti d’extrême droite qui se revendique «national-socialiste»? BHL, pour qui la pensée est une forme de guerre, a une fâcheuse tendance à plaquer sur tous les sujets le manichéisme qu’il y a dans sa tête.
BHL est incapable d’admettre que même chez les bons il y a des méchants. Cette réalité heurte son système binaire
Comme vous l’avez rappelé, Bernard-Henri Lévy aurait eu une influence déterminante dans la guerre en Libye. Est-il sorti de son rôle d’intellectuel?
Bernard-Henri Lévy a parfaitement le droit de prendre position et même de s’engager. En revanche, je suis choqué par la facilité avec laquelle il parvient à convaincre les hommes politiques. Après avoir été le conseiller en politique étrangère de Nicolas Sarkozy, il est en train de devenir celui deFrançois Hollande. Le rôle d’un intellectuel est de s’exprimer au nom d’une vision éthique et morale, tandis que le politique doit tenir compte de la réalité. Un dirigeant responsable ne peut pas faire de la géopolitique avec une vision du monde en noir et blanc comme celle de BHL. Pour légitimer une intervention en Syrie, le philosophe n’a pas hésité à repeindre les rebelles syriens en anges immaculés, alors même que ces derniers comptent des djihadistes dans leurs rangs. BHL est incapable d’admettre que même chez les bons il y a des méchants. Cette réalité heurte son système binaire.
En Irak et en Libye, le djihadisme n’a jamais autant prospéré, et les massacres continuent tous les jours