Malévitch en 1974….
Jusqu’ici on connaissait beaucoup des textes, traduits aujourd’hui en français à partir de traductions allemandes ou anglaises. Toute traduc-tion est déja une déperdition de sens par rapport à l’original; on peut
s’imaginer alors ce que deviendraient les idées de Malévitch dans cette
trahison au second degré.
Les brochures qui furent publiées en Russie entre 1915 et 1922 et
que nous présentons pour la première fois intégralement en français
dans ce premier volume nous montrent un Malévitch inconnu. Nous
connaissions fragmentairement le peintre; voici que nous rencontrons
un philosophe de l’art, un esthéticien, un écrivain.
Préface
UNE ESTHÉTIQUE DE L’ABÎME
« La méditation sur ce qu’est
l’art est entièrement et décisive-
ment déterminée par la seule
question de l’être ».
HEIDEGGER, L’origine de l’œuvre d’art, éd. Gallimard, P. 1962,
C’est une tâche grandiose que s’est donnée Malévitch dans ses
écrits, tâche dont les fragments publiés ne nous livrent qu’un aperçu.
Nous avons cependant plus de documents à notre disposition que
nous n’en avons sur les pré-socratiques dont Malévitch est si proche.
Parmi les peintres-philosophes russes, Malévitch est le seul à avoir
posé en termes philosophiques la question de l’être dans sa médita-
tion sur l’art. La philosophie cosmologique de Georges Yakoulov où
le soleil est l’énergie primordiale qui conditionne toute création peut
lui être comparée, encore que Yakoulov n’ait pas systématisé ses
intuitions, restées éparses. La profonde réflexion philosophique de
Kandinsky dans Du spirituel dans l’art n’est pas une ontologie, mais
un essai symboliste sur l’art, comme peut l’être le journal intime de
Marianna Werefkin, écrit en français, Lettres à un inconnu.
« Faire l’économie de l’abîme pour s’épargner la chute dans le
sans-fond abyssal en tissant la toile du byssus, d’un art textuel qui
saturerait les trous »,
voilà selon J. Derrida 1 quelle a été la préoccupation de la métaphysique et aussi de l’art. On connaît la métaphore kantienne du pont que l’on jette par-dessus le grand précipice
(die grosse Kluft) 2, cette vérité de l’être ou cet être de la vérité qui
est pour les mystiques (Jakob Bœhme) un sans-fond (Ungrund) et
pour Heidegger une défondation (Abgrund). C’est cet abîme de l’être
que Malévitch fait apparaître dans sa peinture et dans sa philosophie.
Le suprématisme pictural est la révélation à partir du Carré noir
(1913-15), considéré comme forme génératrice primordiale, de l’être
abyssal. Comme pour Pythagore, le carré est pour Malévitch l’essence
divine, non comme symbole, mais comme être pictural absolu (à la
fois
Être et étant) qui détermine la naissance d’autres étants remplis d’Être.
Dès les premiers textes suprématistes de 1915 (qui coïncident avec le
passage du cubo-futurisme alogiste au suprématisme pictural), Malé-
vitch reprend la critique platonicienne de l’art-illusion, de l’art-simu-
lacre, de l’art-répétition. Il est aussi sévère que Platon à l’égard de
« la race des illusionnistes » 3, des « sorciers» et des imitateurs qui se
contentent de « l’art de l’apparence illusoire » ou « art de simulation » 4.
L’art avant le suprématisme n’a été que « le reflet, comme dans un
miroir, de la nature sur la toile »5;
« Entre l’art de créer et l’art de
répéter il y a une grande différence »6.
La répétition du sensible sur la toile est « un vol » et l’artiste-voleur est un falsificateur, car il ne fait qu’imiter l’apparence des objets qui sont une convention utilitaire pour « fixer l’infini », limiter l’illimité.
La vie « rappelle
une immense chambre d’enfants où les enfants jouent à tous les
jeux possibles avec des conventions qui sont représentées en revivant
la réalité: ils construisent des tours, des châteaux, des forteresses,
des villes, ensuite ils les détruisent, puis les construisent à nouveau ; les
parents considèrent ce fait comme un non-sens, mais oublient seule-
ment que le non-sens enfantin est le résultat du non-sens adulte » 7.
Il en résulte que toutes les manifestations de la vie ne sont que conven-
tion, en particulier les cultures qui disparaîtront les unes après les
Alors qu’est-ce qui est? Ce qui est c’est l’excitation sans cause de
l’Univers,
« sans nombre, sans précision, sans temps, sans espace, sans
état absolu et relatif »°, « flamme cosmique qui vit du non-figuratif »,
infini qui n’a « ni plafond, ni sol, ni fondations, ni horizon » 10, « ni
poids, ni temps, ni espace, ni absolu, ni relatif, et n’est jamais tracé pour
devenir une forme»11, « un trou dont le corps n’est pas vide», « un
tamis troué » 12.
Ce principe de toutes choses est inconnaissable. Le mot
« excitation » en russe (vozboujdénié) appartient au vocabulaire psycho-
physiologique et à celui de la physique et de la technique. L’excitation
est à la fois stimulus (en particulier sexuel) et création d’un courant
magnétique dans les bobinages d’un électro-aimant. C’est dire que
l’excitation malévitchienne tient de l’Éros des philosophes grecs et du
principe électro-magnétique, érigés en principe ontologique. Le tout
est aussi le rien éternel, l’absence totale de sens du tournoiement éter-
nel qui « emplit sa course des tourbillons des anneaux de l’espace » 13.
La matière et l’esprit n’existent pas séparément:
« Ce que nous appe-
lons la matière ne sont-ce pas simplement des mouvements spirituels ?
Et peut-être que ce que nous appelons esprit est le mouvement de
la matière »14.
De même
« rien ne disparaît dans l’Univers, mais
ne fait que prendre un nouvel aspect » 15.
Le monisme cosmologiquE de Malévitch est aussi un monisme ontologique qui ne voit dans le dualisme de fait de la métaphysique, de l’anthropologie, de l’épistémologie et de l’éthique qu’une tromperie de la pensée dominante qui veut éviter l’abîme du non-figuratif, condition nécessaire de ses représenta-
tions.
Il y a dans la description malévitchienne de l’être une parenté de
mythologie et de discours avec les pré-socratiques, surtout les éléatiques.
Écoutons Parménide :
« Il n’est rien, et jamais rien ne sera d’autre
que l’étant et rien d’extérieur à lui » 16.
Écoutons Empédocle d’Agrigente :
« Car la force cachée dans les
membres des hommes est
Amour, ainsi la nomme-t-on; par lui
s’accomplissent les pensées des amants et l’œuvre enlaçante du désir.
Et les hommes le nomment aussi Joie ou Aphrodite. Mais nul ne
l’a vu encore, se mouvant en cercle à travers le tout. » 17
Écoutons Héraclite:
« Où l’homme est, n’est point enfermée la
connaissance mais là où est Dieu » 18,
Cette excitation inconnaissable est le moteur de la pensée qui est
« le processus de l’état de l’excitation qui se présente sous l’aspect
de l’action réelle et naturelle »19.
La pensée essaie d’organiser dans la création artistique le sensible comme être, mais comme la pensée n’est pas connaissance de l’être, elle n’arrive pas à l’embrasser. Aucun objet ne peut être saisi par la pensée, car tout objet est une somme sans fin d’objets, somme qu’il est impossible de calculer. Le monde
du devenir, celui de la « commodité utilitaire nutritive » 20, est enchâssé
entre les deux pôles de l’être-rien; il organise ses « potagers cellu-
laires » en prenant sa définition de l’existence des objets pour la Réalité
et il se réjouit de cette « duperie »21. L’homme cherche perpétuelle-
ment le fond et sa logique inaltérable est de construire « des fondations
logiques pour l’objet sur ce qui n’a pas de fondations »22 :
« Seules
la conscience couarde et l’indigence des forces créatrices chez le peintre
se laissent aller à l’illusion et établissent leur art sur les formes de la
nature en craignant d’être privées des fondations sur lesquelles ont
basé leur art le sauvage et l’académie. » 23.
L’abîme de l’être est pour l’homme un mystère plein de ténèbres
11 dont il s’effraye et qu’il cherche à détruire en s’érigeant en être pen-
sant et en essayant de connaître rationnellement la nature, l’Univers,
reconnus comme perfection absolue et non pensante. L a pensée
humaine est une imperfection déduite de la perfection divine. Malé-
vitch ne comprend pas pourquoi à un moment donné la pensée est
sortie de Dieu, de l’Absolu de la non-pensée, a chuté, et pourquoi il
y a eu rupture,
« comme si on ne sait quelle imprudence était
survenue, comme si elle avait glissé et était passée par-dessus le bord
de l’absolu »24.
Il reprend pour le justifier le mythe judéo-chrétien
de la Création, du péché originel, du paradis et de l’expulsion de
l’homme du paradis 25. Dieu a construit le monde
« pour se libérer
à jamais de lui, pour devenir libre, prendre sur soi la plénitude du
rien ou repos éternel, en tant qu’être immense ne pensant plus,
puisqu’il n’y a plus de raison de penser : tout est parfait » 26,
Le monde était comme un poids que Dieu avait en lui, qu’il a pulvérisé dans la Création: la Création est devenue légère, impondérable;
Adam au Paradis ne sentait aucun poids : il vivait « pareillement au
machiniste qui ne sent pas le poids de sa locomotive en mouvement » 27.
Il fallait que la Création soit imparfaite pour qu’elle permette à Adam
de sortir de son système impondérable pour être écrasé à nouveau
par le poids :
« En quoi consiste la faute? Toute la faute est dans
le fait qu’une limite a été établie dans le système » 28.
Or la limite est déjà une imperfection de l’être abyssal illimité. Pourquoi Dieu a-t-il créé un système limité, donc imparfait? Cette limite serait, d’après
Malévitch, une « épreuve » que Dieu a donnée à l’homme; et
« l’homme n’a pas supporté le système et l’a transgressé, il est sorti
de son plan, et tout le système s’est écroulé et tout son poids est
tombé sur l’homme » 29.
Le crâne de l’homme est aussi le cosmos:
« Le crâne de l’homme
représente le même infini pour le mouvement des représentations;
il est égal à l’Univers, car en lui passe aussi le soleil, tout le ciel
étoilé des comètes et du soleil, et ils brillent et se meuvent ainsi
que dans la nature »30; « nous sommes nous-mêmes la nature » 31.
De même que les systèmes solaires tournent à côté de l’homme, de
même les objets créés par le crâne humain tournent dans un tour-
billon autour de lui. Le crâne humain est un soleil, un centre pour les
objets pulvérisés qui aspirent à trouver en lui leur unité, mais ce
centre n’est pas fixe, il se décentre perpétuellement, car il est entraîné
dans un mouvement perpétuel vers « la voie infinie du non-figuratif » 32,
entraînant avec lui toutes les pulvérisations.
Comme Dieu l’homme cherche dans la vie de tous les jours à se
libérer du poids, à rejoindre l’impondérable divin. Il crée lui aussi
des systèmes limités, ses cultures, qui cherchent à briser les limites
et les interdictions en quoi « gisent les états de péché et les imper-
fections » 33. A travers toutes les productions il aspire comme Dieu
à retourner à la perfection absolue, il fait monter sa pensée « sur
le trône
du commandement »34. L’homme-dieu a une pensée divine
qui crée par le « fiat ». La culture est un effort de l’homme pour
« répartir le poids dans des systèmes d’apesanteur » 35,
le seul sens qu’a le monde des productions humaines est « la libération de la
réalité physique s’incarnant dans un nouvel acte de l’action » 36. Les
systèmes créés par le crâne humain se succèdent en se détruisant les
uns les autres, en détruisant chaque fois les limites du système précé-
dent, faisant chaque fois un nouveau pas vers la libération qui seule
permettra de retrouver l’état de non-pesanteur, l’abîme de l’être.
Ainsi Malévitch pose les principes qui définissent le rapport de
l’homme et de sa création à l’être-abime inconnaissable : ils aspirent
à se libérer de la pesanteur; pour ce faire ils cherchent à dépasser
les lois d’interdictions, les limites, « pour se retrouver sur la voie
de l’absence de lois »37; ils s’élancent
« vers Dieu-perfection dans
lequel surviendra le bien » 38.
La triade malévitchienne « l’art, l’église, la fabrique » est un hybride de la triade platonicienne (la vérité philosophique 39, le travail manuel
par lequel l’ouvrier fabrique des objets, reflets de la vérité, – et
l’art, degré inférieur, car l’artiste est « l’ouvrier d’un simulacre » 40)
et de la triade nietzschéenne (le saint, le philosophe et l’artiste 41).
Pour Malévitch l’art et la philosophie ne font qu’un comme dans la
philosophie grecque la plus ancienne. Il pose qu’il y a trois voies de la
perfection qui, du point de vue de la vie de tous les jours (du dis-
cours dominant), sont égales dans leur imperfection : celle de l’art,
celle de l’église, celle de la fabrique; ces trois voies ont comme prin-
cipe et comme fin Dieu qu’elles ne peuvent détrôner même si l’une
d’entre elles le voulait. L’église construit un système technique qui
doit permettre d’atteindre la perfection divine; la fabrique veut ren-
verser le dieu de l’Église, elle se veut sans Dieu, mais en réalité elle
vise aussi à la perfection divine, elle a son « dieu » qu’elle n’appelle
pas « Dieu »:
« La religion voit en l’homme le « rien », le « non-être »,
et en Dieu l’ « être ».
La fabrique, elle, voit en l’homme le
« quelque chose » et en Dieu le rien », mais comme Dieu est le repos dans la perfection et que la fabrique voit aussi le repos dans la perfection, par cela même elle parvient à
Dieu comme repos »42.
Aussi bien l’église que la fabrique vont vers le vrai Dieu – non figuration absolue — qui est en deçà et au-delà de leurs « collèges techniques », même si
cela est sous une forme caricaturale et prétentieuse, même si cela
13 apparaît souvent comme une parodie de l’être. Et l’art? Dans Dieu
n’est pas détrôné tel qu’il fut publié l’art est prétenduement mis sur
le même plan que l’église et la fabrique: lui aussi a son « collège
technique » qui vise à la perfection; son dieu s’appelle la beauté. Mais
il s’agit là de l’art de la vie de tous les jours, un art qui veut ignorer
l’abîme divin qui est pourtant sa cause et sa finalité. Même à ce niveau
inférieur l’art est tout de même différent de l’église et de la fabrique,
car celles-ci font appel à lui
« pour qu’il les revête de la chasuble
de la beauté, comme si elles n’avaient pas confiance en leur achève-
ment » 43.
LA SURFACE COLORÉE COMME DÉVOILEMENT DE L’ÊTRE
Nous savons par ailleurs que pour Malévitch l’art vrai, le supréma-
tisme, a la place de la vérité royale chez Platon. Le suprématisme
est la révélation par la peinture de l’être abyssal, en tant qu’excita-
tion. Toute la méditation malévitchienne sur l’être est un essai de
preuve que le monde des objets n’est qu’une apparence, que les
objets n’existent pas, que seule existe l’excitation de l’être, par essence
non-figurative, sans objets et sans objet. L’ontologie de Malévitch est
donc une justification de la pratique artistique suprématiste,un e
démonstration discursive de la vérité de la démonstration picturale
non-figurative absolue. Comment faire apparaître l’abîme de l’être
dans la création picturale?
La pureté
D’abord par une entreprise de purification. La pureté est une sorte
de leit-motiv de la pensée et de la création de Malévitch. Cette obses-
sion de la pureté a des connotations kantiennes et empirio-criticistes
comme nous le verrons plus loin. Dans Du cubisme au suprématisme
et Du cubisme et du futurisme au suprématisme Malévitch voit dans
la représentation des objets telle qu’elle apparaît dans l’art figuratif
ce que Kant appelle un « parergon » 44, c’est-à-dire quelque chose
qui n’appartient pas à l’œuvre (ergon) sans lui être complètement extrin-
sèque. On peut dire que pour Malévitch tout l’art avant le supréma-
tisme est parergon et dans les plus mauvais cas une « parure qui fait
tort à la vraie beauté »45:
« L’art de la peinture, de la sculpture,
de la parole ont été jusqu’ici un chameau bâté de tout un fatras d’oda-
lisques, d’empereurs égyptiens et perses, de Salomons, de Salomés,
de princes, de princesses avec leurs toutous chéris, de chasses, et de
14 la luxure des Vénus » 46.
L’obsession de pureté est corrélative d’un puritanisme qui n’a pas assez de mots pour vilipender « les Vénus impudiques », « les jambons féminins », la «pornographie » picturale.
Même chez les cubistes et les futuristes qui ont pourtant débarrassé
l’art de la futilité esthétique pour construire le tableau sur des disso-
nances ou faire apparaître le mouvement,
« l’intuition fut écrasée par
l’énergie des objets et n’a pas atteint le but autonome de la peinture » 47 :
« L’élément pictural n’est ici rien d’autre que le vêtement de l’objet
donné » 48.
Avec le suprématisme arrive le règne de la « peinture pure ». Cela ne signifie aucunement qu’il est un avatar de « l’art pour
l’art ». Malévitch, comme Kandinsky 49, s’indigne contre une telle
conception qui marque, selon Plekhanov 50, le désaccord fondamental de
l’artiste avec le milieu social, sa tendance à créer en dehors de
contre la réalité, à se complaire dans la sphère abstraite de l’esthétisme,
à considérer l’œuvre d’art comme un bel objet narcissique isolé. Pour
Malévitch la prise de conscience de l’abîme de l’être (que le supré-
matisme exprime le mieux) doit permettre à toutes les activités humaines
(manifestées dans la culture, la vie sociale, la production) de sortir
de l’utilitarisme ignorant pour retrouver le vrai utilitarisme qui est
de faire apparaître l’être. Le vocabulaire de Malévitch doit être à
ce point de vue bien replacé dans cette perspective. Le mot « uti-
litaire » est à la fois pris dans son sens négatif et dans son sens
positif. Si Malévitch lutte contre l’utilitarisme purement anthropolo-
gique de ses adversaires productionnistes, nouveaux positivistes, Tatline
et Rodtchenko, il revendique « la perfection utilitaire suprématiste » 51
qui n’a pas comme but la consommation, mais le dénudement de
l’être. Cette ontologie esthétique est totalisante, mais aussi totalitaire,
comme en témoigne le traité À propos de la question de l’art plastique
qui établit les bases sur lesquelles doit être envisagé « l’enseignement
de l’art ». Ce texte est une tentative d’identification de la révolution
économique politique et de la révolution économique suprématiste.
Malévitch y joue sur les deux sens qu’a pour lui « l’économie » (ins-
trument nutritif à rejeter et instrument de réduction à l’être). Etant
donné que « la perfection révolutionnaire porte inlassablement son
essence de plus en plus loin à travers nos consciences, en élargissant,
approfondissant l’espace par les voies de la considération économique
énergielle », aucune forme d’art ancienne ne peut exister, car elle est
par essence contre-révolutionnaire. Aussi les Ateliers d’Art et de
Technique (Vkhoutémas), créés après 1917 pour remplacer l’École de
Peinture, Sculpture et Architecture de Moscou et
l’Académie des Beaux-Arts de Pétrograd, sont-ils un lieu de la contre-révolution, dans lesquels se résorbent toutes les gammes colorées. Si Malévitch est passé par un stade suprématiste coloré pour faire apparaître les différentes nuances ondulatoires de la luminance, il n’en a pas moins privilégié le noir et le blanc, les deux pôles de l’absorption et de la diffusion
des radiations visibles. En aucun cas les couleurs ne sont chez Malé-
vitch un attirail conventionnel et culturel ayant des équivalents psy-
chologiques artificiellement établis. En cela Malévitch est opposé à
toute symbolique des couleurs (celle de Werefkin ou de Kandinsky
par exemple). La « perfection blanche » du Carré blanc sur fond blanc
est à la fois la manifestation de l’être abyssal et le triomphe de la
peinture. Jamais n’aura été affirmé avec autant de vigueur la souve-
raineté du « mouvement purement coloré ».
L’art pictural qui avait fini par se perdre dans la jungle des appa-
rences et l’hédonisme retrouvait avec Malévitch sa véritable fonction –
le dévoilement de l’être abyssal par la couleur. Malévitch a redonné
sa dignité à l’acte de peindre. Dans les grandes œuvres du passé,
comme dans celles qui ont suivi le suprématisme, ce qui est réellement
pictural ce ne sont pas les anecdotes et les prétextes, mais les unités
colorées — ce que nous appelons souvent la lumière ou la transparence
d’un tableau. Comme dans le Carré blanc sur fond blanc où la forme
du carré paraît et disparaît dans l’énergie du blanc, les formes de
tout tableau paraissent et disparaissent pour ne laisser vivre que le
rythme coloré.
À PROPOS DE LA « CRITIQUE D’ART «
On assiste à une recrudescence de la mentalité théologique dans ses
aspects les plus négatifs dans nombre d’études concernant l’avant-garde
russe. Ici le dogme est le matérialisme ou tout autre idéologie axioma-
tique. Les faits sont artificiellement interprétés afin qu’ils entrent dans
un schéma a priori qui prétend rendre compte d’un mouvement uni-
versel et se veut apodictique. Les hérétiques sont impitoyablement
démasqués et ces nouveaux théologiens de la critique d’art s’affirment
dans les imprécations, les malédictions et les excommunications.
Donnez-leur un peu de pouvoir et ils deviendront facilement de Grands
Inquisiteurs.
Laissons-les s’imaginer qu’ils sont des don Quichotte, qu’ils sont
obligés de se défendre contre des ennemis imaginaires.
Comme le disait Soljénitsyne dans une lettre ouverte : que devien-
draient-ils s’ils n’avaient pas d’ « ennemis »? 64. La rigueur et la
vigueur scientifiques dans l’analyse des faits, le refus des compromis
18 et des compromissions, du jeu intellectuel et esthétisant de mots
sont des armes suffisantes pour laisser à leur néant les erreurs de
méthode, l’esprit de précipitation, les prétentions, la futilité ludique
ou tout simplement le manque d’information.
Si nous figurons l’œuvre d’art – l’objet créé – comme le centre
d’un cercle, au diamètre variable selon son importance, nous dirons
qu’elle laisse émaner une énergie centrifuge qui rencontre l’énergie
contraire représentée par l’appréhension d’un sujet (ou d’un groupe de
sujets), et que ce mouvement de flux et de reflux, différent selon notre
complexion psycho-physiologique, notre substrat culturel, le substrat
économico-social, etc…, forme les rayons qui émanent de et conver-
gent vers l’objet créé. Le rapport à cet objet créé est toujours unique,
il est l’intuition non-discursive d’un sujet, et la beauté n’a une réalité
objective que dans cette relation entre le sujet et l’objet créé; la
beauté est donc relative dans son objectivité même — ce qui explique
les variations du goût et du sens de la beauté à travers les époques
et à travers les périodes de l’existence d’un m ê m e individu; ce qui
est objectif c’est l’équilibre relationnel qui s’établit entre l’appréhension
individuelle et l’énergie qui se dégage de l’objet créé. La « Beauté »
avec une majuscule dont on pourrait donner des définitions objectives
n’existe pas. Il y a seulement une relation interpersonnelle (entre la
personne qui appréhende et la personne du tableau) dont l’épaisseur,
l’intensité, peuvent être plus ou moins grandes sans que pour cela la
relation soit différente. La relation est objective comme un kilo de
plomb et un kilo de plumes font objectivement – dans notre système
physique – toujours un kilo. Mais il est évident que si, comme le
suggérait le peintre Georges Yakoulov 65, vous laissez tomber sur votre
pied l’un ou l’autre de ces kilos, vous sentirez l’intensité différente
d’un même fait objectif!
Le premier contact que le sujet a avec l’objet créé dans les arts
plastiques est un regard qui s’exprime souvent discursivement par le
cri: « Ah! que c’est beau! » ou autre syntagme exclamatif. Malgré
le caractère primitif de ce premier regard et de ce premier cri, ils
ne sont jamais « sauvages » ou « naïfs », car il est impossible au
sujet de s’abstraire de toutes les alluvions hétérogènes qui se sont
accumulées en lui. Même si l’on cherche à s’abstraire, à purger son
Moi de toutes les strates culturelles ou autres, cette recherche même
est conditionnée par ces mêmes strates. En nous écriant : « Ah ! que
c’est beau! » nous n’avons rien dit de l’objet déclaré beau. Le sujet
cherche alors à élucider sa première relation à l’objet qui se dérobe
toujours de tous les côtés; il le replace dans le temps, il le compare
du point de vue de l’évolution des formes ou bien encore il le considère
comme une structure qui a en elle ses règles propres de construction;
il l’analyse. C’est l’objet de l’esthétique, ou plutôt des
esthétiques.
C’est un stade intermédiaire. Celui du discours sur l’objet. Mais tout
discours, qu’il soit intuitionniste ou néo-positiviste, qu’il exprime une
méthode historique, psychologique, structuraliste, phénoménologique,
sémiologique ou autre, ne sera qu’une approche possible de l’objet
créé, approche dont la qualité pour la connaissance de l’objet n’est
pas dans on ne sait quelle vertu immanente qui la ferait déclarer la
seule valable pour connaître l’objet, mais bien dans la façon dont
telle ou telle métode se construit. En cela toute approche esthétique de
l’objet – logocentrique par excellence – est à son tour, dans les
meilleurs cas, une création, soumise aux mêmes lois internes que
toute création. Il ne suffit pas de faire appel à Jakobson, à Mikel
Dufrenne ou à Mao Tsé Toung pour que la méthode soit bonne. Il
faut qu’elle soit avant tout vigoureuse et rigoureuse. A ce niveau aucune
méthode ne peut prétendre faire seule le tour de l’objet. Elle est un
des rayons qui vont vers le centre — l’objet fait , centre qui se
décentre et est décentré; elle est un aspect de la chose qui ne se livre
jamais entièrement dans le discours.
Pour reprendre une image de Malévitch tout tableau est une fenêtre
qui ouvre sur la vie abyssale 66. Le peintre a posé dans l’objet créé
des énergies, des vibrations qui nous interpellent, qui peuvent avoir
sur nous « un pouvoir de commotion », selon l’expression d’André
Breton »67. On est frappé que la « critique d’art », en particulier
celle qui s’intéresse à l’avant-garde russe, ne parle jamais des tableaux
comme d’objets vivants, mais parle des reproductions 68. Comme si
le tableau était réductible au statut de la photographie dans un album
de famille. Quand nous regardons la photographie jaunie d’une per-
sonne connue, elle nous permet de stimuler notre mémoire et de
retrouver à partir d’une fixation morte les vibrations vivantes qui
nous relient à elle. La photographie est un rappel, mais ne saurait
remplacer le contact direct. On ne conçoit pas de parler de la litté-
rature ou de la musique sans une référence directe au matériau calli-
graphique ou sonore. Pour les arts plastiques la critique est tellement
habituée à littératuriser les œuvres qu’elle en parle presque constam-
ment comme d’un texte littéraire. Quand une exposition permet de
rassembler des œuvres avec lesquelles on peut entrer en contact direct,
la critique se tait, elle n’informe pas son public et ne l’invite pas à
aller voir 69, elle préfère se référer à des reproductions afin de tuer
ce qui est gênant, la vie interne d’un objet qui jaillit de sa contex-
ture même. Il y a toujours, finalement, en deçà et au-delà du logo-
centrisme de la critique, une communication magique 70 qui s’établit
20
entre le sujet et l’être de l’objet qui n’est, selon l’expression de Raphaël
Khérumian 71, qu’un « relais » dans une chaîne invisible de relations
objectives.
Il faut beaucoup de perversion intellectuelle pour considérer le Carré
blanc sur fond blanc de Malévitch ou telle composition constructiviste
non-figurative de Rodtchenko (pour prendre deux pôles, mystique et
matérialiste) comme pouvant être réellement « expliqués » par les
rapports que Malévitch et Rodtchenko ont pu entretenir avec le Parti
Communiste bolchevique. Que Lénine ait préféré Riépine à Malévitch
et Rodtchenko explique la politique artistique réactionnaire et coerci-
tive qui a suivi. L’étude de ces rapports est intéressante pour com-
prendre l’histoire en général, pour comprendre les rapports du créa-
teur et du pouvoir, mais elle ne nous dit rien sur l’objet créé, objet
vivant qui, une fois lancé dans la vie, échappe au créateur pour
entrer dans un circuit de consommation visuelle où se rencontrent
des consommateurs d’idéologies opposées. Se perdre dans le jeu des
contradictions idéologiques dans lesquelles se débattent la création
artistique et sa
consommation n’a d’intérêt que si l’on ne choisit
pas les faits pour qu’ils rentrent dans un schéma 72 et surtout si appa-
raît l’unicité d’une œuvre singulière.
Nous considérons les écrits de Malévitch comme un objet créé.
Nous avons dans un premier temps fait une analyse du texte lui-
même, tel qu’il se présente à nous, selon le rapport que nous entre-
tenons avec lui. Nous avons conscience de n’avoir explicité qu’un frag-
ment d’un discours particulièrement complexe. Nous voudrions à pré-
sent essayer de retrouver quelques « germes », selon l’expression de
Lanskoy 73, de la pensée de Malévitch dans le contexte culturel de son
temps. Là aussi nous ne prétendons à aucune exhaustivité. Pour le
moment on ne peut parler de l’avant-garde russe que par fragments,
beaucoup trop de maillons nous manquent au niveau de l’information
et au niveau des œuvres en tant que telles.
INFLUENCES POSSIBLES SUR MALÉVITCH
Nous avons trop de lacunes sur les années d’apprentissage de Malé-
vitch, sur ses lectures, sur ses rencontres avec les milieux philosophiques,
littéraires ou politiques pour pouvoir tirer des conclusions définitives.
Nous nous contenterons donc de faire un certain nombre de consta-
tations. Malévitch semble avoir eu des rapports avec les « chercheurs
de Dieu » (bogoïskatéli) et les « constructeurs de Dieu » (bogostroïtéli)
qui se sont surtout manifestés après la crise des valeurs qui a suivi
la révolution de 1905 74.
Les « chercheurs de Dieu » posaient comme article de foi la réalité
du Dieu judéo-chrétien, mais étaient préoccupés par une adaptation de
la religion et de l’Église au monde contemporain. Des penseurs comme
Berdiaev, S. Boulgakov, P. Struve, S. Frank furent parmi les premiers
marxistes russes avant de devenir à partir de 1902 des idéalistes mili-
tants. Une des personnalités les plus riches et les moins connues de
ce mouvement progressiste chrétien fut le père Florenski, mathéma-
ticien, physicien, théologien, théoricien de l’art, auteur de la somme
théologique La Colonne et l’Affirmation de la Vérité (1914) 75. Le théo-
ricien symboliste G. Tchoulkov se fit dès 1906 l’apologiste d’un anar-
chisme mystique, suivi en cela par le poète Viatcheslav Ivanov pour
qui l’anarchie était déjà une mystique. On retrouve chez Malévitch
des échos jusque dans le vocabulaire de ces idées. Par exemple, l’idée
d’ « individualisme collectif » qu’avait lancée en 1907 l’anarchiste mys-
tique Modeste Hofman se rencontre exactement dans À propos de la
question de l’art plastique.
On sait que Malévitch a entretenu une correspondance avec l’historien
de la littérature M. Guerchenzon 76. Le traité de Malévitch Dieu n’est
pas détrôné a été suscité par l’essai philosophique de Guerchenzon
L’image ternaire de la perfection77 qui est une attaque contre la
culture considérée comme une série de commodités techniques. Pour
Guerchenzon la culture a dépersonnalisé le monde, l’a coupé en deux
(l’homme prétend être la seule personne réellement vivante), lui a fait
perdre son caractère indivis; elle a établi entre les hommes des rap-
ports de haine (maître-esclave); elle a réduit l’homme à être un
instrument servile de la production. L’homme doit revenir à son unité
originelle, à « la pure existence ou à l’existence de la personne en
elle-même — dans son image ternaire de la perfection » 78. La réconci-
liation de l’homme ne peut se faire que dans l’amour. Le texte de
Guerchenzon est loin d’avoir la fermeté logique de celui de Malévitch.
Pourtant si ce dernier polémique avec Guerchenzon (pour lui l’huma-
nité doit essayer dans ses productions de se libérer de la pesanteur), il
a utilisé un certain nombre de ses idées qu’il incorpore à son sys-
tème : la référence du début de L’image ternaire de la perfection à
Anaximandre :
« Le commencement et l’issue des choses sont l’infini » ;
les attaques contre la raison pratique qui détruit l’organisation origi-
nelle de la nature et la remplace par sa propre organisation :
« La
production des choses est aussi une espèce de nourriture: un meurtre
légitimé par la nature dans le but de piller et d’utiliser provisoire-
ment »79;
la production de masse considérée comme ennemie de
22 la création artistique:
« La production a cessé d’être la nourriture
normale de l’esprit; elle nourrit de force, en forçant un faible besoin
ou en éveillant un besoin qui dormait encore. Elle a le dessus sur le
monde et pour le moment corrompt l’humanité » 80;
un certain animisme et monisme panthéistes :
« Le monde n’est pas mort, mais
vivant »81
ou bien:
« Dans le monde il n’y a aucune substance,
aucune énergie matérielle, il n’y a que le dessein divin aux nombreux
démembrements, dessein unique
dans ses apparitions »82;
l’idée de l’abîme de l’être :
« N’est réel dans le monde que le mouvement,
c’est-à-dire quelque chose qui ne peut pas être par lui-même perçu
par les sens, ni représenté par l’imagination, mais seulement pensé.
Dans celui qui connaît et dans ce qui est connu la chair est également
dénudée : un abîme béant se regarde dans un autre abîme béant » 83.
Certaines figures rhétoriques de Malévitch sont empruntées à L’image
ternaire de la perfection, en particulier les prosopopées de l’intuition,
de la raison, du crâne humain, de l’art, de l’église ou de la fabrique :
chez Guerchenzon on trouve les prosopopées de la Raison 84, de la
Volonté Une 85, etc…
Il semble d’autre part que Malévitch ait lu l’article pénétrant de
Berdiaev sur Picasso 86, Il reprend et développe l’analyse que Berdiaev
fait du cubisme considéré comme une « pulvérisation ou éparpillement»
de l’objet (raspylénié).
Beaucoup de points de convergence nous ramènent aussi aux
« constructeurs de Dieu » dont Lénine disait qu’ils ne se distinguaient
pas plus des « chercheurs de Dieu » qu’un diable jaune ne se distingue
d’un diable bleu » 87. Les constructeurs de Dieu étaient pour la plu-
part des sociaux-démocrates (les plus connus sont Bogdanov, Lounat-
charski, Gorki). Dans son livre La religion et le socialisme (1908),
A.V. Lounatcharski déclarait que l’homme a besoin d’un idéal suprême
qui est Dieu, que la religion est nécessaire à l’homme: il voyait dans
le marxisme « la cinquième religion formulée par le judaïsme » 88.
Des idées comme celles de « l’éternité de l’énergie » 89, de « l’homme-
dieu », des formules comme « L’évolution matérielle et le progrès
de la spiritualité sont correspondantes »90 ou :
« Dieu comme Tout-
Savoir, Toute-Félicité, Toute-Puissance, Vie Eternelle et vie qui em-
brasse tout, est réellement toute l’humanité dans sa potentialite
suprême 91 –
tout ce contexte était bien connu de Malévitch. Les noms de Bogdanov 92 et de Lounatcharski sont attachés à la propagation de l’empiriocriticisme d’Avenarius et de Mach. L’idée d’économie comme loi générale de la vie, de la sensation comme substrat absolu, l’idée que la science ne fait qu’élaborer la technique des instruments propres à la vie utilitaire économique sans pouvoir jamais donner le tout de l’objet et en obscurcissant l’expérience pure, la sensation 23 pure du sensible pur, l’obsession de pureté, conçue comme le point absolu de chaque acte (héritage kantien passé au crible de la critique
empiriocriticiste) – tout cela a été un point de départ pour la médi-
tation malévitchienne sur l’art 93.
À PROPOS
DE LA TRADUCTION ET DU STYLE DE MALÉVITCH
Les textes traduits ici nous montrent en Malévitch un tempérament
exceptionnel d’écrivain. La prose de Kandinsky est celle d’un artiste
raffiné, elle est somptueuse, riche en image, harmonieuse. Le style de
Kandinsky est celui d’un symboliste russe, sa langue celle d’un homme
qui a assimilé et assumé les traditions séculaires de la culture spiri-
tuelle européenne. La prose de Yakoulov a aussi les traits spécifiques
de la poétique symboliste: culture du mot, raffinement, abondance des
images. Mais le tempérament de Yakoulov se traduit dans un style
qui cherche à stimuler le lecteur, qui le provoque, le force à sortir
de sa léthargie ou de son apathie. Alors que Kandinsky développe
la sérénité de ses certitudes, Yakoulov entraîne vers des régions
inédites, cosmologiques (le Soleil) ou géo-esthétiques (la Chine). L’apho-
risme, la formule humoristique, la maxime philosophique, sont parmi
les procédés familiers de la prose yakoulovienne 94.
La prose de Malévitch fait un contraste frappant avec celle de
Kandinsky ou de Yakoulov. Malévitch ignore les traditions de la
culture. Ce n’est pas un intellectuel, surtout pas un symboliste. Il a
fait ses classes dans le milieu braillard des « aveniristes », a par-
ticipé aux manifestations tonitruantes des futuristes, à leurs meetings,
à leurs scandales 95. Il a participé activement à la lutte contre les
vieilleries du passé pour « affirmer le nouveau ». Sa prose est avant
tout militante. Les aphorismes malévitchiens sont des mots d’ordre.
Les développements de Malévitch sont souvent chaotiques, la phrase
est souvent incorrecte, sa pensée est parfois obscure. La langue russe
normative n’était sans doute pas bien connue de Malévitch,
d’un milieu mi-ouvrier mi-paysan, d’une famille mi-polonaise mi-
ukrainienne, d’une région linguistique provinciale où se mêlaient les
langues slaves, polonaise, ukrainienne et russe (la langue de culture).
Son discours contient bon nombre d’expressions peu soignées venues
directement de la langue parlée; on y trouve des anacoluthes, typiques
du sytle de la conversation. Des polono-ukrainismes sont intégrés au
russe 102. Tous ces éléments donnent aux écrits de Malévitch un aspect rugueux et parfois rébarbatif pour qui est habitué à la norme littéraire. Mais Malévitch finit par convaincre, car sa prose, si elle n’est pas celle d’un intellectuel au langage châtié, est d’une grande force expressive.
Malévitch fut aussi un créateur de langage, comme ses amis les poètes aveni-
ristes Khlebnikov et Kroutchonykh, comme les peintres Filonov et
Olga Rozanova 103 qui écrivirent des vers en langue transmentale
(zaoum). Les néologismes malévitchiens ne facilitent pas la traduc-
tion. On peut en distinguer deux types :
1) les formes transmentales, collisions radicales qui ont une fonction
d’expressivité et de dynamisation
sémantique: « mertvopis’ » 1 0 4 qu’on peut rendre par « peinture de la mort » (celle des académies) estun mot formé par analogie avec le mot russe « jivopis’» qui désigne la peinture en général, mais veut étymologiquement dire « peinture de la vie »; « starovatory » 105 est la collision de « stary » (vieux)
et « novatory » (les novateurs) ; « idiéédatel’ « » (donneur d’idée) 106
est formée de « idiéïa » (idée) et « datel’ » (donneur) qui n’existe
qu’en composé; « noviédy »107 : la racine « nov » est accolée par
haplologie à l’élément « vied » qui désigne celui qui étudie telle ou
telle discipline (en français « -logue », « -logiste ») ;
2) les néologismes philosophiques ont une fonction cognitive; ils
permettent, là où la langue normative est impuissante dans son lexique
habituel, à cerner un concept, d’approcher d’une adéquation sémio-
sémantique plus grande. Cette création verbale est une constante de
tout discours philosophique. Citons-en quelques exemples dans les
textes présentés ici. Il y a un thème constant dans la pensée de Malé-
vitch, celui de la « nature » qui entoure apparemment l’homme, mais
qui n’est pas en Réalité extérieure à lui. L’homme est la nature.
Pour préciser son caractère enveloppant Malévitch forme à l’aide
du préfixe « o- » (idée d’embrasser) l’adjectif « ofizitcheskaïa (dei-
stvitelnost’) » 108 dont un équivalent français pourrait être « (Réalité)
circonphysique ». De même pour exprimer l’idée de cette nature phy-
sique dont l’art doit retrouver le mouvement de libération vers la
non-pesanteur il crée
des mots composés à l’aide de l’élément
« prirodo-» (selon la nature) employé comme préfixe: « prirodo-
estestvo » (le naturel selon la nature physique) 109 et l’adjectif dérivé
« prirodo-estestvienny »110; « prirodo-vojd‘» (le guide-nature ou la
nature-guide) 111; «prirodo-opytny » (expérimenté selon la nature » 112 ;
« prirodo-razvitié » (le développement selon la nature) 113, Nous avons
évité de traduire cet élément par l’adjectif « naturel » au risque
d’alourdir le texte, car cet élément n’est pas une qualification du
mot mais une détermination, l’indication d’une modalité de l’action.
D’autres mots composés sont formés selon ce principe : « logiko-
razvitié » (le développement selon la logique) 114 ou « êstéto-vkoussovy »
(appartenant au goût esthétisant) 115. D’autres créations verbales permet-
tent de signifier plus laconiquement une idée : « ottvorennié » (action
qui préside à l’achèvement de la création divine) 116; « obezviessit’ »
(faire perdre le poids) et « niévéssié » (la non-pesanteur) 117; « iédino »
comme substantif = le un 118 et « iédinoformié » (le fait que la forme
est une) 119.
De même que le suprématisme pictural a poussé à l’extrême « l’orien-
tation manifestement métonymique du cubisme »120, de même le
style littéraire de Malévitch est essentiellement métonymique; il y
a une perpétuelle substitution des termes désignant la cause et l’effet,
les éléments et le tout, le signifiant et le signifié… La figure privi-
légiée de ce déroulement métonymique est la synecdoque ; l’exemple
les plus frappant est celui du « crâne » 121 qui est — et se comporte
en homme-nature-cosmos; ou bien encore l’intuition et la raison 122
qui sont l’une l’humanité créatrice d’être et l’autre l’humanité du
« vieux monde de la viande et des os » et qui en tant que telles dérou-
lent leur prosopopée.
Dans notre traduction nous avons tenté de respecter tous ces
aspects du style malévitchien, ses méandres, ses lourdeurs, ses incor-
rections. Nous n’avons jamais eu le souci de l’élégance ou de la
légèreté, mais celui de la restitution d’une langue rude, barbare,
vigoureuse. Les cascades de compléments de noms (génitifs) que
Malévitch affectionne, nous les avons gardées telles qu’elles. Plutôt
que de faire une traduction aseptisée, nous avons préféré rendre, de
manière imparfaite certes, le caractère fulgurant des collisions gram-
maticales, syntaxiques et lexicales, les heurts et les entrechoquements
d’images.
Malévitch a quelque chose d’un chef de secte; prophétique, viru-
lent, visionnaire, énigmatique, intolérant, ayant le sens du verbe et
l’assurance de sa mission, il s’emporte, vitupère, clame avec obstina-
tion la Vérité, sans jamais consentir au moindre compromis. Il est
à la fois Savonarole et Avvakoum. Comme eux il périra aussi vio-
lemment qu’il avait vécu.
J.-CI. MARCADÉ.
1 Cours de l’École Normale Supérieure en 1973-74 qui questionne la ques-
Qu’est-ce que l’art ? »
2 Kritik der Urteilskraft, Introduction, in fine.
3 Platon Sophiste, 235b (traduction de « L a Pléiade »).
4 « La peinture en trompe-l’œil n’est pas loin du tout d’être une sorcel-
lerie » (Platon, République), X, 602 d ) .
5 Du cubisme et du futurisme au suprématisme.
6 Ibidem.
7 Dieu n’est pas détrôné (parag. 3).
8 Des nouveaux systèmes artistiques.
9 Dieu n’est pas détrôné (parag. 1).
10 Ibid., paragr. 6.
1 Ibid., paragr. 11.
12 Ibid., paragr. 6.
13 Ibid., paragr.
14 Ibid., paragr. 11.
15 Ibid., paragr.
16 De la Vérité, in Yves Battistini Trois présocratiques, NRF, coll. Idées,
1968, p. 115.
158-159.
19 Dieu n’est pas détrôné, paragt.
20 Des nouveaux systèmes artistiques, De Cézanne au Suprématisme.
21 Dieu n’est pas détrôné, paragr. 10.
22 Ibid., paragr. 11.
a Dieu visu de de culpar et u futurisme au suprématisme.
25 Ibidem, paragr. 15.
26 Ibid., paragr. 16.
Ibid., paragr. 15.
Ibid., paragr. 16.
30 Ibid., paragr. 9.
31 Des nouveaux systèmes artistiqueS.
Dieu n’est pas détrôné, paragr. 12.
Ibid., paragr. 15.
34 Ibid., paragr.
35 Ibid., paragr. 16.
Ibid., paragr. 14.
37 Ibid.,
39 « Roi fondateur d’une dynastie », République, X, 597e.
40 République, X, 599d.
41 Nietzsche, Le livre du Philosophe, éd. Aubier, Paris, 1969, p. 212-213.
42 Dieu n’est pas détrôné, paragr. 26.
43 Ibid., paragr. 27.
4 Critique du jugement, éd. Vrin, Paris, 1960, p. 58.
45 Kant, ibidem.
46 Du cubisme au suprématisme.
47 Du cubisme et du futurisme au suprématisme.
48 Ibidem. Cf. « le vêtement de la statue », exemple de parergon chez
Kan, Cribue du la art, Gd. Denot-Gonthier, Paris, 1969, P. 36-39.
50 Izbrannyié filossofskié
proizvédénia (Œuvres philosophiques choisies).
Moscou, tome V, 1958,
Os , tome v 1958, 4 destins et À propos de la question de l’art plas-
tique. 52 A propos de la question de l’art plastique. Si Malévitch a été lui-même
victime d’un tel totalitarisme (on sait qu’il a été arrêté e n 1935 et qu’on
ne l’a fait sortir de prison que pour le laisser mourir chez lui), on peut dire
meil aété son proque boucl de foudint philosophiquement et politique-
Ecrivains de I’U.R.S.S. Le contenu n’est plus le suprématisme, c’est le réa-
lisme socialiste, mais la modalité totalitaire reste la même.
53 Des nouveaux systèmes artistiques et De Cézanne au suprématisme.
54 Suprématisme, 34 dessins.
55 Ibidem.
56 Du cubisme au suprématisme et Du cubisme et du futurisme au supré-
matisme.
57 Malévitch a pu connaître les théories de Lobatchevski par Vélimir
Khlebnikov dont il a été proche vers 1913 au moment de sa période « alo-
giste › et « réaliste transmentale ».
58 Suprématisme, 34 dessins.
59 Ibidem.
60 Dieu n’est pas détrôné, paragr. 4.
61 Du cubisme et du futurisme au suprématisme.
62 Ibidem.
63 Suprématisme, 34 dessins.
64 Le Monde, 16-17 novembre 1969.
65 Cf. G. Yakoulov, « L’Homme de la foule », Notes et Documents
édités par la Société des Amis de Georges Yakoulov (147, rue Léon-Maurice-
Nordmann, Paris 13°), p. 21: « Le duvet s’envole au moindre souffle
tandis qu’une haltère nécessite des efforts pour être déplacée. Une livre
de duvet est quand même plus légère pour notre sensibilité qu’une livre
de fer car jeté en l’air le duvet s’éparpille tandis que le fer tombera par
e r r e ».
66 Une fenêtre n’a rien d’idéaliste : c’est aussi un objet…
57 A n d r é Breton, « Lettre
», Revue Métapsychique, L’art et l’occultisme,
Paris, 1954, N° 27, p. 121-125.
68 Cf. remarque préliminaire du livre de Marcelin Pleynet, L’enseignement
de la peinture, éd. du Seuil, Paris, 1971 : « Les tableaux qui font dans ce
livre l’objet d’une analyse détaillée se trouvent
teur confronté à l’analyse d’une œuvre qu’il connaît mal pourra toujours se
reporter en fin de volume à la bibliographie où il trouvera, marqués d’un
istérisque, les ouvrages comportant les reproductions dont il pourrait avoir
69 Il est très significatif, par exemple, que l’excellente exposition si diffi-
Criment rassemblée car bean chauvelin dans sa galerie (4, rus Filistenberg,
seule critique. Il y avait là des œuvres importantes de l’avant-garde russe
que l’on voyait pour la première fois.
70 Pourrait-on parler de communication « télépathique »? Il faudrait
alors débarrasser le terme de tout le discours mythologique qui l’entoure
pour ne considérer que sa réalité scientifique.
71 R. Khérumian, Paris, 146, cont dartic ali eries des les de tta-
psychique, L’art et l’occultisme, op. cit., p. 90-96.
* En paraphrasant Marcelin Pleynet dans son livre cité plus haut, on
pourrait dire que si personne n’a l’obligation de ne pas être marxiste, il est
impossible d’ignorer les courants philosophiques et esthétiques non-marxistes
avec lesquels l’avant-garde r u s s e a été e n c o n t a c t . .
Cf. L’enseignement de
la peinture, op. cit., p. 145-146.
73 « Tout ce qui est vivant ou destiné à vivre passe par la voie du
germe. Dans l’histoire de l’art il n’y a que la généalogie qui est intéres-
sante et a un sens, par exemple chercherles germes de Braque dans Corot
et Le Nain ou la continuation de Chardin dans Cézanne.
les mélanges de germes et des influences qui sont intéressants à constater ».
Témoignages pour l’Art abstrait, éd. Art d’aujourd’hui, Paris, 1952, p. 168.
74 Cf. l’étude synthétique de Pierre Pascal, « La pensée russe contempo-
raine », Cahiers du Monde Russe et Soviétique, volume III, janvier 1962,
reprise dans Les grands courants de la pensée russe contemporaine, éd. L’Àge
d’Homme, Lausanne.
75 Le père Florenski a été représenté dans son habit monastique aux côtés
du philosophe et théologien Serge Boulgakov dans un tableau de Nestérov
se trouvant à la Galerie Trétiakov, Les Philosophes (1917). Dans Peinture-
Cahiers Théoriques, N° 6-7, 1973, est donnée une traduction d’un texte
de Florenski sur l’œuvre d’art (< La loi de l’illusion »). La présentation de
Florenski qui est faite dans cette revue est un chef-d’œuvre dans son genre :
stalin the da dostaphie oe rosky ele les rorappelle les plus Lines amients du
ce qui reste majeur dans la vie et l’œuvre de Florenski, sa vie de
son cuvre théologique qui est un des sommets de la pensée du XX sieclet
Voici ce que dit l’auteur de la présentation: « Il se consacre plus particu-
lièrement (sic!) à l’histoire des religions profitant pour ceci (sic !) des
30
archives et de l’enseignement de l’Académie de Théologie à Moscou ».
Et c’est tout sur ce chapitre.
Le manque de probité se poursuit d’ailleurs plus loin dans la même
revue avec l’auteur des « Dates, repères, références et commentaires »
sition Dessins de Malévitch (Galerie Chauvelin. Paris, 1970) de e vieille
métaphysique » kantienne (p. 76) pour ensuite utiliser copieusement, avec un
art consommé de la citation sans guillemets, le texte de cette préface, repro-
duisant même (c’est là que tous les plagiaires sont pris en flagrant délit)
les erreurs qui s’y sont glissées…
76 Cf. Essays on art, op. cit., p. 14.
7 Troïstvienny Obraz Soverchenstva, Moscou, 1918.
78 Ibid.,,
p. 100; les idées de
seront précisées dans
Correspondance d’un coin à l’autre (Pérépiska iz dvoukh ouglov), 1921 ;
cette œuvre est constituée par une série de lettres sur la culture qu’échan-
gent dans une même chambre Guerchenzon
et Viatcheslav Ivanov (trad.
franç. de Ch. du Bos, éd. Corréa, Paris, 1931).
79 L’image ternaire de la perfection, op. c., p. 8
tu ế t par la hache du bicheron, ibid, 1 t Dn trouve c mme idée her
le Père Florenski: « Toute la nature est animée, elle est tout entière
vivante, dans son tout et dans ses parties, tout est lié par des liens étroits (…)
Les énergies des choses coulent dans les autres choses,
sont dans chacune › ( « Obchtchétchéloviétcheskié
korni idéalizma » (Les racines pan-humaines de l’idéalisme), Bogoslovski
Viestnik (Le Messager Théologique), 1909, N° 2 et 3, p. 11).
82 L’image ternaire de la perfection, p. 88.
83 Ibid., p. 48.
84 Ibid., p. 8.
86 Revue Sofia, 1914; cet article est repris dans le livre La crise de l’art
(Krizis Iskousstva), Moscou, 1918.
87 Œuvres (en russe), 4° éd., t. 35, p. 89. Pour les rapports de Lénine à
et plus particulièrement
lutte de G.V. Plekhanov contre les chercheurs
Lénine et la phile phie, de. Maspéro, paris, structeurs de
Dieu, voir ses articles de la revue Sovrémienny Mir (Le Monde Contem-
porain) de 1908 à 1909 sous le titre « À propos de ce que l’on appelle les
recherches religieuses en Russie », repris dans G.V. Plekhanov, O religuii
i tserkvi (Sur la religion et l’Église), Moscou, 1957, p. 251-378.
Cf. chez Malévitch : « La vie
de tous les jours s’est construit Dieu »
(Dieu n’est pas détrôné, paragr. 16 ou : « La construction de Dieu en tant
que perfection absolue est construite solidement » (ibid).
8 Religuia i sotsializm (La religion et le socialisme), Saint-Pétersbourg,
89 Ibid., p.
90 A.V. Lounatcharski Otcherki
marksizma (Essais sur la philosophie du markisme), Saint-Pétersbourg, 1908, P. 148.
trois livres de A.A. Bogdanov, L’empiriomonisme, parurent de
1904 à 1906. Sa Science générale de l’organisation (Tektologie) (1913-17)
ainsi que La philosophie de l’expérience vivante (1913) servirent de base
idéologique au Proletkout. L a critique de la notion de matière et de la
dialectique ont pu intéresser Malévitch.
mes Notes que ta phisophie comme retezio sur les monde conomes
a été traduite nude Tivre écrite de Yakoulov, préparéepar Raphaël
Khérumian, doit paraître prochainement aux éditions L’Àge d’Homme.
95 Cf. L’Archer à un œil et demi de B. Livehits, éd. L’Àge d’Homme,
1971; Valentine Marcadé,Le renouveau de l’art pictural russe, éd. L’Àge
d’Homme, 1972, p. 209-219.
Je renvoie aussi pour avoir un panorama précis de l’époque aux études
toujours pénétrantes de John E. Bowlt: R I s A i he mineren 5-99-
ties », Soviet Studies, Glasgow, volume XXII, avril 1971, N° 4, p.
ter ury, dác. F972, 15° 28, th 231:441 Arts », 201h Century Studies, Can-
96 Dieu n’est pas détrôné, paragr. 5.
97 Ibid., paragr. 15.
98 Ibidem. 99 À propos de la question de l’art plastique, p. 5 de l’éd. russe.
100 Ibid.
101 Ibid., p. 7.
102 Ibid., p. 8.
Filonov », Studio International, Londres, juil.-août 1973, p. 30-36.
104 Du cubisme et du futurisme au suprématisme.
105 A
106 Ibibropos de la question de l’art plastique, Op. c., passim.
107 Tie, Pest pas détrôné, paragr. 14.
190 Tigrones depraquestion de ‘si plastia eue, ce sys mes artistiques,
De Cézanne au Suprématisme, passim.
111 À propos de la question de l’art plastique, op. c., p. 10.
112 Ibid., p. 8.
113 Ibidem.
114 Ibidem.
115 Ibidem.
116 Dieu n’est pas détrôné, paragr. 15.
117 Ibidem.
118 À propos de la question de l’art plastique, op. c., p. 5.
119 Ibid., p. 12.
120 Roman Jakobson, Essais de Linguistique Générale, tome I, éd. de
Minuit, 1963, p. 63.
121 Des nouveaux systèmes artistiques, De Cézanne au Suprématisme,
Dieu n’est pas détrôné.
122 Des nouveaux systèmes artistiques.
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Du cubisme au suprématisme
Le nouveau réalisme pictural
Première édition, Pétrograd, 1915
Deuxième édition, Pétrograd, 1916











































