Extraits des conversations entre Tsiolkovski et Tchijevski, traduits par Gérard Conio
Extraits des conversations entre Konstantine Édouardovitch Tsiolkovski et Alexandre Léonardovitch Tchijevski
présentés et traduits par Gérard Conio
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La théorie des ères cosmiques.
« … j’ai pensé à des choses qui n’ont pas d’explications… »
« …notre cerveau peut pénétrer dans beaucoup de choses, mais pas dans tout, pas dans tout, il y a des limites… »
Tchijevski. «… notre ignorance est énorme et nous savons très peu de choses… c’est une très vieille vérité… »
« …il y a une question que nous n’avons pas le droit de poser, et pourtant c’est la question suprême, la question des questions.. . »
« Pourquoi tout cela ? Si nous nous posons cette question , ce la signifie que ne nous ne sommes pas simplement des animaux, mais des hommes avec un cerveau dans lequel il n’y a pas seulement des réflexes conditionnés, des réflexes pavloviens, mais quelque chose d’autre, qui ne ressemble pas du tout aux réflexes, à la salive, la même matière, mais sous un autre aspect. Est-ce que la matière concentrée dans le cerveau humain, ne fraye pas des chemins particuliers, en dehors des mécanismes primitifs, conditionnés et pavloviens ? Autrement dit, n’y a –t-il pas dans la matière cervicale des éléments de pensée et de conscience, élaborés pendant des millions d’années, et libres des appareils réflexifs, même les plus compliqués ? Dès qu’on se pose une question de ce genre, on s’est arraché aux tenailles d’une science inachevée et on s’envole dans des hauteurs infinies : pourquoi tout cela, pourquoi il existe la matière, les plantes, les animaux ? L’homme et son cerveau, c’est aussi de la matière, qui exige une réponse à la question : pourquoi tout ça ? Pourquoi il existe le monde, l’Univers, le Cosmos ? Pourquoi ? Pourquoi ? Voilà la question philosophique primordiale… »
Tsiolkovski « La matière est le seul être qui existe indépendamment du mouvement ou du déplacement des formes diverses qu’elle peut prendre dans l’espace. Je parle du mouvement extérieur. Ce mouvement ne détermine pas la matière et on peut l’ignorer. Il nous est impossible pour l’instant d’avoir une connaissance profonde de la structure de la matière. Mais il viendra un moment crucial, quand l’humanité s’approchera de cette connaissance ésotérique, alors on abordera franchement la question : « Pourquoi ? » Mais on doit pour cela traverser la totalité des ères cosmiques. »
« Les dirigeables, les fusées, le deuxième principe de la thermodynamique, c’est l’affaire de nos jours, mais la nuit nous vivons une autre vie, si nous nous posons cette maudite question. On dit qu’il est absurde de se la poser, que ça ne sert à rien et que ce n’est pas scientifique. On dit même que c’est mal. Mais que faire si on la pose tout de même ? Et on ne la pose pas seulement ici, chez Tsiolkovski. Certaines têtes en sont pleines, et ce n’est pas seulement dans ce siècle, ni dans ce millénaire… Cette question ne demande pas des laboratoires, des tribunes, des académies athéniennes. Personne ne l’a jamais résolue, ni la science, ni la religion, ni la philosophie. Cette question se dresse devant l’humanité, énorme, illimité, comme tout ce monde, et crie : pourquoi ? pourquoi ? D’autres, qui comprennent, se taisent, ils font mine de rien et se taisent. Il y en a comme ça. »
« Pourquoi, dans quel but, existe ce monde, et nous tous, c’est-à-dire la matière ? Cette question est simple, mais à qui pouvons-nous la poser ? A nous-mêmes ? Mais c’est en vain. Des milliers de philosophes, de savants, de religieux ont essayé de la résoudre pendant des milliers d’années, mais finalement ils ont reconnu qu’elle était insoluble. Certains disent même que cette question est antiscientifique. »
« Est scientifique nous ce que nous tenons dans la main, antiscientifique tout ce que nous ne comprenons pas. »
« Il y a des forces qui nous interdisent de penser et d’éclaircir les questions obscures, que se pose notre cerveau. Ce sont les forces académiques. »
« Notre connaissance de certaines choses peut se révéler fatale et même mortelle pour les hommes. Imaginez que soudain nous puissions transformer complètement la matière en énergie, c’est-à-dire que nous fassions passer dans la réalité la connaissance formelle qui nous vient de Thomson, depuis 1897, à travers Lébédev et les autres.
Mais alors la Terre se transformerait en enfer : les hommes montreraient de quoi ils sont capables. Il ne resterait pas pierre sur pierre, l’humanité serait anéantie ! Rappelez-vous ce qu’on disait sur la fin du monde. Elle est proche si la raison ne triomphe pas. Voilà qui justifie l’interdiction de s’occuper des problèmes de la structure de la matière. D’un autre côté, si on met des vetos dans ce domaine de la physique, il faut freiner la construction des fusées, car on a besoin pour cela du carburant atomique…Une chose entraîne l’autre. Visiblement le progrès est impossible sans risque. Mais ici l’humanité risque vraiment ce qu’elle possède de plus précieux : son cerveau ! »
« En fin de compte tout se ramène à l’existence de la matière dans le monde, ce qui ne demande pas à être prouvé. C’est clair ! Les gens, les plantes, les animaux sont tous des degrés de développement de la matière. La Matière peut s’appeler diversement, elle peut s’appeler la Terre, Mars, le Soleil, Sirius, des microbes, des plantes, des animaux, des gens etc. La matière morte veut vivre et, dès que c’est possible, elle vit et même pense sous la forme de l’homme ou des « êtres éthérés. Admettons cela. »
Tchij . « La vie demande des conditions physico-chimiques adéquates. »
– « Oui, c’est indispensable, mais on ne peut nier la propriété principale de la matière qui est « le désir de vivre », et finalement, après des milliards d’années, de connaître. Et vous vous trouvez devant Tsiolkovski qui est une partie de la matière et qui veut savoir pourquoi elle est nécessaire, la matière, dans son sens cosmique ? Pourquoi, je demande ? »
– « Pourquoi le monde existe ? Quelle mission il remplit ? Vers quelles hauteurs il se dirige par l’intermédiaire de l’homme ? Certainement par l’homme ! Et là on se pose la question : quel est le rapport entre la quantité pensante et la quantité non pensante de la matière ? Et il en résulte un chiffre absolument dérisoire, même en comptant les périodes géologiques où l’homme vivait déjà. Il y a dans le monde incommensurablement plus de pierres que de pensées, plus de feu que de matière cervicale. Alors nous posons la question ! est-ce que la nature a vraiment besoin de la pensée et de la matière cervicale de l’homme ? Peut-être que la pensée, la conscience n’est pas du tout nécessaire à la nature ? La conscience est-elle une pellicule très mince ? On peut se poser la question, mais puisque la conscience existe, cela signifie qu’elle est nécessaire à la nature. Et là commencent l’histoire et la géographie et nous nous approchons du point cardinal, du fond même de la question. L’existencen dans la nature de l’appareil cervical qui se connaît soi-même est un fait grandiose, exceptionnel et absolument incompréhensible dans sa signification philosophique et épistémologique. Puisqu’il existe dans la nature l’appareil cervical de l’homme et il a fallu pour cela à la nature des milliards d’années, cela veut dire qu’il est indispensable et inhérent à la nature et qu’il n’existe pas seulement en résultat d’une longue lutte ( fût-elle aléatoire et non parallèle) de la nature pour l’existence de la pensée humaine dans le Cosmos… Et cela pose une autre question ; est-ce que la matière en général est un phénomène qui est ou non dû au hasard dans le Cosmos ? Est-elle provisoire ou définitive ? Cette question est au début de toutes les questions, et sans réponse pour la résoudre toutes les autres questions seront fausses. La question du caractère aléatoire ou temporaire de la matière a été posée par les anciens sages, sous une forme voilée. Ils ont enseigné qu’il existe un monde spirituel, où «il n’y ni larmes, ni soupirs, et où la vie est infinie. »
Tchij. « Qu’est-ce que vous entendez par « espace cosmique » ?
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« Bien sûr, il faut calculer que « l’éther » remplit l’espace cosmique, comme on le pensait encore récemment, et on peut admettre que l’espace cosmique n’est pas matériel, qu’il est vide (selon Démocrite) à l’exception de traces matérielles qu’il peut contenir, c’est-à-dire qu’il existe un « vacuum ».
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« Si on regarde l’espace qui nous entoure, nous ne voyons rien, en dehors de ces 10-38 grammes dans un seul centimètre cube et différents champs de gravitation magnétique. Laissons la théorie aux physiciens. Qu’ils résolvent ces problèmes, et les philosophes ne peuvent pas ignorer aujourd’hui qu’il y a encore beaucoup d’inconnu. »
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« Cela signifie que la matière occupe dans le Cosmos un petit volume insignifiant en comparaison avec le volume du « vide » ou de l’espace du champ de la gravitation magnétique. Allons plus loin, je dois prendre une position étrange à première vue : la petitesse de la matière parle de son caractère aléatoire et provisoire, car tout ce qui est aléatoire et provisoire a une petite grandeur qui risque de disparaître. Pour des grandeurs aléatoires et provisoires et leurs significations, leur petitesse est la caractéristique la plus convaincante. J’en suis sûr. Qu’est-ce qu’il en découle ? Ce ne serait pas une grande erreur d’admettre qu’une grandeur aléatoire peut disparaître une fois ou que le temps de sa vie peut finir, ou, pour parler le langage de la physique, se transformer en énergie de la lumière ou en une autre forme de matière. En général, les petites formes et les petites significations sont englouties sans reste par les grandes et cela se produit d’autant plus vite que la différence entre les grandes et les petites est plus grande, et là nous avons une différence colossale, que nous ne pouvons même pas nous représenter. Vous, Alexandre Léonidovitch, vous avez une fois parlé de la perte et de la disparition dans le Cosmos des petites grandeurs qui ne peuvent pas devenir grandes. Maintenant j’ai développé votre idée plus profondément. »
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Tchijevski.« Oui, maintenant vous avancez le principe de la destruction ou de la perte ou de la transformation infinie des petites grandeurs. »
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« Si vous voulez, c’est une sorte de monisme. Un seul principe. Mais ne pensez pas que c’est de l’entropie. Cela ne peut pas se passer ainsi dans le monde de l’entropie et dans le monde où nous vivons. Il est clair que cette théorie n’a rien de commun avec l’entropie. »
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Constantin Édouardovitch développa son idée sur la disparition de la matière solide, fluide et gazeuse et sur sa transformation en une énergie lumineuse ou autre. Les expériences de Lébédev sur l’interaction entre l’énergie de la lumière et sa masse et la formule qui en découle de l’équivalence entre l’énergie et la matière s’appliquent à la matière qui existe dans notre temps et elles ont un caractère réversible car son orientation unilatérale ne découle pas de la formule. Cela veut dire que nous supposons une espèce de matière dont ma transformation en énergie, que ce soit en une radiation lumineuse ou en quelque chose d’autre sera unilatérale et irréversible. Sans doute une transformation de ce genre de la matière existera dans l’ère terminale du Cosmos et alors on mettra sur cette équivalence un vecteur qui sera une flèche. Cette petite flèche aura une grande signification pour les surhommes du futur. Et la matière stagnante ne sera plus nécessaire à ces surhommes, puisque sa destination dans le Cosmos sera résolue radicalement.
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Tsiokolski. « Vous comprenez où s’oriente la représentation moderne de la matière ? C’est une affaire d’une immense importance philosophique et vous pouvez me prendre pour le dernier des rétrogrades mais je dois vous exposer les pensées qui me viennent à ce sujet. Beaucoup pensent que ma pensée sur l’éternité de l’humanité se casse sur la fleur qui pousse sur une tombe. C’est poétique mais ce n’est pas scientifique. Ce n’est pas un point de vue cosmique et il se limite seulement à des millions d’années. Cela n’offre aucun intérêt, ce n’est pas à l’échelle cosmique, ce n’est qu’un symbole poétique. En y renonçant, il faut aller plus loin. Essayons sans avoir peur. »
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« Il faut d’abord établir un fait fondamental dont parlent tous les enseignements religieux. Mais nous allons l’analyser du point de vue matérialiste car dans toute l’histoire de l’humanité pensante on n’a jamais découvert une âme dans l’homme, bien qu’on l’ait cherché et qu’on lui ait même attribué « une place et un poids » ou « une masse »…Tout cela est stupide. De même que personne n’a jamais trouvé un autre monde, malgré une masse d’illusions et de tromperies. Après la mort il n’y a rien d’autre que la décomposition du corps humain en éléments chimiques. A notre époque cela ne fait aucun doute. Toute la métapsychologie ou la parapyschologie se ramène à une transmission d’informations d’un cerveau à un autre et à des phénomènes dont on déchiffrera le mécanisme dans les siècles prochains. Il n’y a partout qu’une seule matière, mais c’est là le fond du problème. Laissons de côté les fausses représentations des gens pour faire seulement attention à une certaine symbolique. « L’âme », « l’arrière-monde », « la félicité éternelle », « la vie éternelle », ce ne sont que des symboles, des conjectures de millions de gens qui ont transposé leur intuition profonde en des images très matérielles. C’est paradoxal mais il ne pouvait pas en être autrement. Chez eux, l’âme possédait une place et un poids, « l’autre monde », « le paradis » et « l’enfer » se trouvaient dans un territoire déterminée de la Terre ou quelque part dans l’espace cosmique, etc. De nos jours, il n’est rien resté de ces représentations chez les gens qui pensent, en dehors de la symbolique, d’hypothèses confuses sur l’avenir de l’humanité. Nous devons reconnaître leur droit à l’existence, car on ne peut pas traiter des millions de gens comme des abrutis. Nous devons réfléchir profondément sur ces symboles qui sont communs à toutes les religions, et les déchiffrer du point de vue cosmique. J’y ai pensé et je les ai envisagés de tous les côtés. Vous aussi Alexandre Léonardovitch vous y avez consacré beaucoup de temps. Une fois vous avez fort bien parlé de la matière. Mais ce ne sont que des suppositions sur la matière à un nouveau niveau. Et elles n’auraient pas bougé si on ne les abordait pas du point de vue cosmique. L’évolution du Cosmos donne à nos vues un être nouveau, libéré de la fiction et des anciennes représentations enfantines sur l’âme ou l’autre monde. Tout alors se transforme, tout devient clair et compréhensible. Nous en parlons alors dans la langue du matérialisme contemporain. Nous prenons le droit, en partant de la symbolique millénaire des anciens, de poser la question : pourquoi ? Autrement dit, nous recevons le droit de regarder la matière non d’un point de vue idéaliste mais d’un point de vue cosmique. »
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« Est-ce que vous croyez que je suis assez myope pour supposer que l’évolution de l’humanité laissera l’homme dans l’aspect extérieur qu’il a aujourd’hui : avec deux mains, deux bras, deux jambes, etc. Non ce serait grotesque. L’évolution est un mouvement en avant. L’humanité, en tant qu’unique objet de l’évolution, change aussi, et finalement, dans des milliards d’années elle se transformera en une unique sorte d’énergie. Autrement dit, une idée unique remplit tout l’espace cosmique. Nous ne savons ce que deviendra notre pensée. C’est la limite de son entrée dans l’avenir. Il se peut que ce soit en général la limite de notre vie de souffrances. Il se peut qu’advienne dans cet avenir le bonheur éternel et la vie infinie que les anciens se représentaient. Mais est-ce que vous m’écoutez, Alexandre Léonoardovitch, vous fermez les yeux… Vous dormez ? »
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« Je vous écoute attentivement, j’ai fermé les yeux pour me concentrer… »
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« Ne croyez surtout pas que ma place est chez les fous… »
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« Mais qu’est-ce que vous vous imaginez, Constantin Edouardovitch, je vous écoute attentivement et je ne pense pas que vos idées doivent être ostracisées… »
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« Donc, nous avons établi que la matière, par l’intermédiaire de l’homme, non seulement s’élève au plus haut niveau de son développement, mais qu’elle commence peu à peu à se connaître soi-même ! Vous comprenez certainement que c’est une immense victoire de la matière, qui lui coûte si cher. Mais la nature est allée irrésistiblement vers cette victoire. C’est seulement après des milliards d’années qu’est apparu le cerveau humain constitué de milliards de cellules, avec toutes ses extraordinaires possibilités.
Et l’une de ses possibilités les plus extraordinaires était cette question, dont nous avons parlé aujourd’hui : pourquoi, dans quel but, tout cela, le monde, la vie, nous-mêmes ? Effectivement, une question de ce genre ne pouvait se poser qu’au sommet de la connaissance. Celui qui dédaigne cette question ne comprend pas son importance, car la matière sous la forme de l’homme est arrivée à poser cette question et exige impérieusement une réponse. Et la réponse à cette question ne nous sera pas donnée par nous-mêmes, mais par nos lointains descendants, si le genre humain se conserve sur le globe terrestre jusqu’à l’époque où les savants et les philosophes construiront une carte du monde plus proche de la réalité que la nôtre !
Tout sera dans les mains de ces hommes du futur, continua Constantin Édouardovitch, toutes les sciences, toutes les hypothèses, les croyances, la technique, la télépathie, en un mot, toutes les possibilités, et alors personne ne négligera ce savoir futur comme aujourd’hui nous négligeons, dans notre méchante ignorance, les données de la foi, les œuvres des philosophes et des savants des anciens et les faits qu’ils ont observés. Même la foi dans Péroun mérite notre intérêt, et elle sera nécessaire pour créer une carte authentique du monde. En effet, Péroun est le dieu du tonnerre et de la foudre. Et est-ce que vous n’avez pas étudié l’action biologique de l’électricité atmosphérique ?
Et maintenant, je vous dirai, Alexandre Léonardovitch, quelque chose d’inattendu. C’est le fruit de mes réflexions récentes. Nous avons beaucoup parlé avec vous de la transmission de la pensée à distance, fulgurante, momentanée. Je pense que la véritable physiologie du cerveau commence avec l’étude du mécanisme de la télépathie. La télépathie, ce n’est pas seulement l’une des fonctions des possibilités potentialités du cerveau, mais le cerveau lui-même dans une forme qui nous est inconnue. Léontovitch, Kajinski, Dourov, Tchekhovski, Bekhtériev et d’autres, pensent que la transmission de la pensée (ou des émotions) s’accomplit au moyen des ondes électromagnétiques. C’est évidemment une erreur. L’instantanéité, c’est le plus étonnant. L’instantanéité et la perméabilité. Cette dernière qualité accompagne obligatoirement la première. Mais il y a une autre qualité de la télépathie, c’est son ubiquité, c’est-à-dire sa perméabilité universelle. La communication cervicale est un phénomène cosmique. Et si des hommes vivent « quelque part », ils « nous écoutent ». Et inversement. Beaucoup de ce qu’ils savent se transmet à nous par la télépathie à travers l’espaces et le temps, et nous pensons que cela vient de nous, que c’est nous qui le pensons. D’où les prophètes, les génies, les hommes cosmiques. C’est la plus grande qualité du cerveau comme irradiateur et résonateur, qui rassemble l’Univers. Mais allons plus loin. Minkowski a imaginé « une ligne cosmique ». Nous avons parlé avec vous du « cerveau cosmique ». Il n’existe pas encore. On ne le voit pas ! Mais si la fonction télépathique passe avec le temps « dans l’être même du monde », et il est évident que cela se produira inévitablement, alors la nécessité d’avoir chez les hommes différents appareils cervicaux disparaîtra. Tout le Cosmos ne sera qu’un unique cerveau, les hommes terrestres et non terrestres ou les êtres qui leur ressemblent tomberont en dégénérescence.
Cette ère, je l’appelle « rayonniste ». Je veux alléger la compréhension du processus très complexe de la transformation du cerveau dans le Cosmos. Alors la nature se connaîtra pour la première fois dans sa forme la plus pleine et la plus parfaite. Cette ère sera terminale pour la matière (le tableau de Mendéléïev) et initiale pour son autre état. Appelons cet état « rayonniste », quoique, pour parler franchement, je ne sais pas comment appeler mieux cet état de la matière. Il faut peut-être l’appeler « état télépathique » ou « champ télépathique du monde ». Qu’en pensez-vous, Alexandre Léonardovitch ? »
– « Votre question me trouble, Constantin Édouardovitch, cela demande réflexion. Un champ télépathique du monde ! Son existence est possible mais elle n’est pas prouvée. Comme première preuve expérimentale de ce champ je verrais sa pénétration profonde dans l’eau salée de la mer, où les ondes électromagnétiques viennent s’éteindre. Rappelez-vous la dérivée logarithmique de l’extinction de l’onde électromagnétique directement proportionnelle au degré de conductibilité électrique. Mais personne n’a encore jamais organisé nulle part cette expérience sous l’eau ! »
– « Et moi je pense que de nos jours il existe des allusions (seulement de faibles allusions) à un tel champ télépathique. C’est la simultanéité des actions de masse de certains animaux. Comme vous l’avez raconté, le professeur Karpov a tiré de la littérature scientifique un exemple saisissant : l’excitation inattendue qui s’est emparée en même temps des chevaux de deux régiments près de Londres et près de Pétersbourg et les a poussés à s’enfuir sur cent kilomères. En même temps sur le méridien de Greenvich. Dans ce cas votre théorie de l’action du soleil cède la place à la théorie de la télépathie universelle. Ha ! Ha ! Il y a ici, bien sûr, beaucoup de choses pas claires. Ce qui n’est pas clair, c’est déjà la vitesse de diffusion télépathique, mais je pense que cette vitesse dépasse la vitesse de diffusion de la lumière. Si vous avez des objections, n’hésitez pas. A en général, il est vrai que des hypothèses de ce genre peuvent troubler n’importe qui. Mais continuons. L’humanité ne peut pas vivre avec des œillères, comme elle fait, penser par décret, car l’homme n’est pas une machine, et il faut se rappeler que l’homme est harmonisé par la nature, dans un ton déterminé, ce ton est exclusivement le ton majeur, le ton impératif, et non la prière d’une grâce. L’homme peu à peu se transforme, de quémandeur misérable il devient un commandeur belliqueux et il se met à exiger de mère-nature qu’elle dévoile toute la vérité. On peut voir dans cette exigence de vérité les signes de l’ère cosmique, vers laquelle nous nous approchons lentement mais sûrement. »
– « Bien sûr, vous avez raison. Vous pouvez dire cela, car personne n’a réfléchi sur l’ère cosmique, comme vous, Constantin Edouardovitch. »
– « Mais pourquoi, A. L. , vous faites porter tout le poids de cette question sur moi ? Est-ce que je suis seul à constituer une société aussi choisie ? Et vous, où êtes-vous ? Et où sont les autres ? Certains sont déjà entrés dans l’ère cosmique sans le remarquer et c’est pourquoi ils s’intéressent à ces questions comme moi, et moi aux mêmes questions qu’eux. L’entrée dans l’ère cosmique est plus importante que la montée de Napoléon Bonaparte sur le trône. Ha ! Ha ! C’est un événement grandiose qui concerne tout le globe terrestre. Techniquement, c’est un timide début de peuplement de l’humanité dans le Cosmos, qui s’accomplira dans mille ans. Je pense que l’être cosmique de l’humanité, comme tout dans le Cosmos, peut être divisé en quatre ères fondamentales.
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L’ère de la naissance, dans laquelle l’humanité entrera dans quelques dizaines ou quelques centaines d’années et qui se prolongera pendant des milliards d’années ( d’après la longévité terrestre)
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L’ère du devenir. Cette ère se placera sous le signe de l’installation de l’humanité dans tout le Cosmos. Cette ère durera cent milliards d’années. La communication entre les hommes sera seulement télépathique.
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L’ère de l’épanouissement de l’humanité. A présent il est difficile d’en prédire la durée qui sera évidemment d’au moins cent milliards d’années. Télépathisation du Cosmos. Inclusion de la matière inerte dans la télépathie.
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L’ère terminale durera des dizaines de milliards d’années. Pendant cette ère l’humanité répondra entièrement à la question : « Pourquoi ? » et considèrera comme un bien de passer de la matière corpusculaire à un autre état. Nous ne savons pas et nous ne pouvons pas prévoir ce que sera cette ère de la télépathisation intégrale du Cosmos.
– « Je suppose que dans plusieurs milliards d’années, cette ère du Cosmos se transformera de nouveau dans une matière corpusculaire, mais d’un niveau plus élevée afin de tout recommencer depuis le début : le Soleil, les nuées, les étoiles, les planètes reparaîtront, mais selon une loi plus parfaite et un homme nouveau, encore plus parfait, un homme d’une autre « coupe » arrivera dans le Cosmos, afin de traverser toutes les ères supérieures et après des milliards d’années, ils s’éteindront e nouveau, en se transformant en un état surrayonniste ou surtélépathique, mais d’un niveau plus élevé. Je sais que cela ne paraît pas logique, mais quand la nature s’oriente vers la perfection, elle a recours à des démarches illogiques, elle n’évolue pas seulement logiquement, mais elle se détruit de manière alogique !). Des milliards d’années vont s’écouler et de nouveau une matière de classe supérieure proviendra des rayons, et alors apparaîtra enfin, le surhomme dont la raison sera aussi supérieure à la nôtre que nous somme supérieurs à la nature inerte. Il ne posera plus la question : pourquoi ? Il saura, et en partant de sa connaissance, il reconstruira le Cosmos sur le modèle qu’il tiendra pour le plus parfait…C’est ainsi que se succèderont les grandes éres cosmiques et que la raison grandira. Et cela durera jusqu’à ce que cette raison connaisse tout, c’est-à-dire les milliards de milliards d’années, les nombreuses naissances et morts cosmiques. Et quand la raison ( ou la matière pensante) connaîtra tout, il considèrera l’existence elle-même comme inutile et passera à l’état télépathique d’ordre supérieure, qui connaîtra tout et ne désirera rien, c’est-à-dire cet état de la conscience que la raison humaine considère comme la prérogative des Dieux. Le Cosmos se transformera en une grande perfection. »
– « Vous avez une imagination fantastique, dis-je. Mais si ce n’est pas seulement imaginaire…Vous devez me pardonner d’avoir quelques doutes… »
– « Ce n’est qu’un schéma, mais les voies périodiques de la naissance et de la mort de l’homme sont claires dès maintenant. Il est clair, dès maintenant, que la question « Pourquoi ? » sera résolu par la raison, c’est-à-dire par la matière elle-même, dans des milliards d’années, et peut-être pas avant que se transforme toute la matière qui nous entoure, en passant progressivement par une vie spiritualisée et par le cerveau pensant de l’homme, du surhomme et par sa perfection absolue, par la télépathie universelle. Dans mes constructions j’opère par des milliers de milliards d’années en corrélation avec les dimensions du Cosmos lui-même, car la matière cosmique, le temps, la raison et la télépathie universelle sont liées entre elles par des corrélations mathématiques déterminées. Mais la mathématique qui inscrirait cette idée en formules n’existe pas encore. »
– « Je pense à un « monisme cosmique » et maintenant au niveau le plus bas de la conscience humaine apparaissent des idées sur l’avenir, des idées qui contiennent, comme je l’ai dit, le schéma des accomplissements futurs. »
« La conscience cosmique et la question des questions : « Pourquoi ? »
Tsiolkiovski : Toutes les religions et toutes les sciences n’ont eu d’autre aspiration que de résoudre « la question des questions », à savoir les mystères de la matière, la question dont la réponse révèlerait tout le secret du monde visible, c’est-à-dire de la matière inerte et vivante. C’est vers ce but qu’est orientéer toute la science, la physique, la chimie, la biologie, les mathématiques qui ont peu à peu évincé les croyances primitives des anciens depuis les lois d’Archimède, de Pythagore, de Newton, de Descartes, de Pascal, jusqu’aux déductions de Plank, Lebedev, Schroedinger, Dirac, Heisenberg. Tous les esprits scientifiques ne sont occupés que par une question, la découverte des lois de la matière et de son évolution. La matière et son évolution représentent la substance du Cosmos, une substance unique, mystérieuse et complètement incompréhensible. Si Thalès, Anaximandre, Leucyppe, Démocrite, Lucrèce et d’autres philosophes ont créé le premier tableau du monde et une atomistique naïve, l’humanité d’aujourd’hui a creusé cette question beaucoup plus loin et plus profondément, mais jusqu’à présente elle se trouve encore sur sa couche la plus superficielle. Pendant des milliers d’années, des sages connus et inconnus ont réfléchi sur ces questions et la divinité des religions n’a pas été créée par peur de la mort, mais par peur devant les terribles phénomènes de la nature et par la nécessité de résoudre cette question des questions. Pour l’instant on n’a pu constater que quatre faits :
1 L’homme et la Terre, c’est la même chose. Après la mort l’homme se transforme dans la terre, dans la matière inerte.
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Le secret de l’évolution, la transmission de ses propriétés par l’hérédité, qui se trouve dans la cellule embryonnaire d’où l’homme sort avec toutes ses propriétés en se nourrissant de la matière inerte.
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Le troisième point c’est le travail du cerveau qui le pousse à développer ses propriétés les plus profondes et en particulier la télépathie.
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Quatrièmement, pour la conservation et l’élargissement universel de ces propriétés, il fallait que l’humanité peuple le Cosmos, c’est-à-dire qu’elle passe de l’ère terrestre à l’ère cosmique au seuil de laquelle nous sommes. C’est l’une des plus remarquables et des plus difficiles et des plus terribles ères dans la vie de l’humanité terrestre. Si auparavant le poète pouvait dire :
« Je suis venu dans ce monde pour voir le Soleil.. . » maintenant il fut dire : « Je suis venu au monde afin de peupler l’univers ». Alors commencera la première ère cosmique. »
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« Mais pourquoi faut-il peupler le Cosmos ? Pourquoi ce sera le premier pas réel pour résoudre la grande mission ? Ou bien, selon votre conception, faut-il faire passer par le cerveau la plus grande quantité de matière inerte ? »
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– « J’ai toujours écrit que pour que l’humanité pénètre dans le Cosmos il lui fallait « conquérir » l’espace solaire et ensuite l’espace au-delà du soleil. Ce sera une conquête pour le non-philosophe et une appropriation du Cosmos et de la matière pour le philosophe. La première chose est compréhensible par tous, la deuxième n’est compréhensible que par quelques-uns. J’ai réfléchi à ces questions et j’en ai déduit que la nature elle-même exige cela exclusivement dans des buts cognitifs et non pour chercher en dehors de la Terre des champs fertiles, du blé, de la viande, des légumes, des fruits, qui sont aussi nécessaire à la matière qui a la forme des animaux qu’à la matière sous forme humaine, en tant que moyen de nutrition, c’est-à-dire des moyens de son devenir et des moyens de sa pénétration dans l’avenir, dans le Cosmos télépathique. »
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TchiJ : « A la différences des penseurs qui l’avaient précédé dans l’étude du Cosmos, Bruno, Galilée, Copernic, Svedenborg, Kant, Lambert, Humboldt, de Sitter et des dizaines d’autres, mais qui s’étaient contentés de se représenter l’Univers, les galaxies et les formations en dehors des Galaxies, Tsiolkovski pensait que l’humanité quitterait la Terre pour aller habiter les autres planètes. Il pensait aux destinées supérieures de la matière, à des destinées auxquelles l’homme contemporain n’était pas encore parvenu. C’était quelque chose comme une voyance de la télépathie cosmique et il était comme un Grand Initié. »
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Tsiolk : « Nous ne sommes qu’au début de la grande ère cosmique. Le plus important est devant nous. Peut-être que dans les autres galaxies cette auto-connaissance a déjà commencé et nous le savons par télépathie, à une distance de millions d’années lumière… Ma fusée doit servir à la philosophie cosmique. Ensuite ils inventeront quelque chose de plus perfectionné qu’une fusée, dans quelques milliers d’années, ou plus tôt, peu importe, j’ai fait ma petite œuvre… Du point de vue de la philosophie cosmique elle n’est pas si petite mais grande : pour la première fois les hommes ont eu une nouvelle représentation de leurs futures obligations. En faisant cela au nom de la science et du progrès sur la Terre, les hommes se sont approchés sur Terre de la solution de cette question fondamentale dont nous avons parlé. Ce que l’on appelle le progrès technique et scientifique n’est rien d’autre, que le fait de s’approcher de la solution de cette grande question. Les hommes ne se représentent même pas au nom de quoi ils vivent et agissent. La plupart des gens ignorent le vrai but de la vie. Seuls quelques personnes l’ont connu et le connaissent dans le monde. »
La philosophie cosmique de Tsiolkovski.
« En sachant cela, nous nous sommes placés sur le plus haut niveau de l’humanité moderne ! Sur deux milliards d’individus je pense qu’il n’y a pas plus d’une dizaine de philosophies qui penseraient ainsi. Pourtant l’idée de « la matière souffrante » n’est pas nouvelle, ni l’origine cosmique de cette idée. Elle aussi évolue. A présent elle se trouve au premier stade de l’évolution cosmique, c’est pourquoi il est clair pour nous qu’elle ne peut pas être résolue sur Terre. Sa solution est reportée à d’autres temps, au stade cosmique et télépathique du développement de l’humanité et elle se terminera un jour dans l’ère de la télépathie intégrale. Alors ce sera la fin de la matière, la fin du temps. Et peut-être la fin de l’espace. Nous n’allons pas lésiner pour si peu ! Pour l’évolution de l’espace infini avec la matière sont dévolus des milliards de milliards d’années de toutes les ères cosmiques. Et au fond, ce n’est pas beaucoup pour se connaître soi-même, pour résoudre le problème philosophique le plus difficile du Cosmos.
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« Et après ? demandai-je (Tchijevski)
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« Je pense que les anciennes écritures en savent plus que moi. Dans l’Evangile et dans les cantiques funèbres chrétiens on en parle de façon très intelligible car la fin du cercle universel de l’existence rejoint son commencement, bien que sous d’autres formes. L’infiniment grand avec l’infiniment petit. Les anciens sages connaissaient cela et appelaient cet état « la félicité » et « la vie infinie ». On peut appeler cet état « la grande perfection ». On peut demander pourquoi j’opère non avec des centaines, ou des milliers mais avec des milliards d’années. Cela s’explique très simplement. Le temps est lié à l’espace. D’ailleurs il se peut que je me trompe. L’espace est étroitement lié à la représentation de l’infini. Il va de soi que les représentations philosophiques de l’infini sont une absurdité métaphysique pour notre esprit. Cependant la représentation mathématique de l’infini s’est implantée dans notre conscience comme deux fois deux font quatre. Mais il n’est pas donné à notre raison de comprendre l’infini comme catégorie physique…Ce sont seulement les hommes de l’avenir, les hommes futurs de l’ère cosmique qui comprendront ce mystère et l’expliqueront, sans doute, de la façon la plus simple. Cela arrivera aussi avec le concept de temps.
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« Ainsi pour l’homme le temps est lié à la matière et à l’espace, sinon nous ne pouvons pas nous représenter l’univers. Mais si l’espace est infini, le temps doit être infini. Mais ce n’est pas comme ça, car le temps est lié à la matière et il existe seulement grâce à l’existence de la matière, répartie dans l’espace. En recevant la conception de « la matière souffrante », nous devons limiter l’existence de la matière, car la souffrance ne peut pas être infinie. Une souffrance infinie mène toujours à la perte. On pourrait même écrire la formule de ce processus, mais c’est trop tôt, le temps n’est pas encore venu. La matière ne peut pas guérir ou se libérer de la souffrance. Donc elle ne peut avoir qu’une fin, la disparition ou le passage dans une autre forme. »
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-« Voilà toute la théorie des ères cosmiques. Une théorie secrète, une théorie pour « initiés ». Bien entendu, ce n’est qu’une ébauche, qu’un brouillon qui demande un développement large et argumenté. C’est ce que feront les philosophes du lointain avenir. Nos points de vue sur la matière coïncident. Nous n’avons qu’une seule divergence, c’est le temps. Vous assigner un temps trop court à l’évolution de l’univers, moi un temps suffisant. La vie de l’humanité, de la surhumanité et de la télépathisation s’étend sur des milliards de milliards d’années. Et je vous assure que c’est encore un temps pas très grand en comparaison avec la naissance, le devenir, l’essor et la disparition des systèmes galactiques visibles… En passant à une forme particulière de niveau cervical élevé, l’humanité deviendra immortelle dans le temps et infinie dans l’espace. Je pense que personne ne peut comprendre à l’heure actuelle cet « état singulier de l’humanité ». Il nous semble absurde, grotesque… Cependant les pressentiments étonnants n’ont jamais trompé la pensée. La forme de l’idée peut être protéiforme, elle se manifeste de la façon la plus inattendue et souvent la plus imprévisible. »
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Tchij. : « Cette conversation avec Tsiolkovski et sa théorie des ères cosmiques m’ont étonné et troublé. Il maniait hardiment les idées sur la matière inerte, sur « la forme singulière de l’humanité et sur l’ère télépathique ». La matière, en passant par le cerveau des organismes supérieurs, possédait une conscience cosmique et télépathique, répandue dans l’espace universel. Tout cela me paraissait plus qu’étrange, et les explications de Tsiolkovski avaient quelque chose de mystique. Mais en même temps la matière et son évolution restait jusqu’au bout. C’était une conception entièrement matérialiste, et par conséquent, sa vision du monde ne possédait rien de mystique. Je veux le faire remarquer car au premier coup d’œil la conception de Tsiolkovski peut paraître métaphysique. En réfléchissant sur cette conception, je devais en venir à la conclusion que Constantin Edouardovitch, comme homme de science, était resté dans ses constructions les plus insolites un homme de progrès, un matérialiste dans le meilleur sens de ce mot. »
2) L’Éternel maintenant
(Conversation sur le temps)
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« Nous allons parler du temps. (Tchij.)
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« Je dois vous avertir que la négation du temps est en contradiction avec le matérialisme historique… » (Tsiolk)
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« Les physiciens m’assurent que le temps existe, disons, le temps relatif. Mais ce temps, je ne le vois pas. Il se peut que le temps existe mais nous ne savons pas où le chercher.
C’est seulement aux XIX et XX ème siècles que l’homme a essayé de se frayer la voie vers les deux pôles extrêmes de notre connaissance, vers le monde des atomes et de leurs noyaux et vers le Cosmos. Une hardiesse extraordinaire et une folie géniale l’ont guidé dans ces recherches. Il était indispensable de résoudre la question du temps. Déjà Aristote écrivait ! « …parmi l’inconnu dans la nature qui nous entour, le plus inconnu est le temps, car personne ne sait ce qu’est le temps et comment le gérer ».
Deux mille ans ont passé et le concept de temps est restée aussi mystérieux et incompréhensible qu’à l’époque d’Aristote. Le génie humain n’a pas résolue cette énigme d’un iota.
Les montres, les chronomètres, les compteurs astronomiques du temps m’ont toujours paru des jouets, commodes pour les calculs des ingénieurs et seulement cela ! Personne n’a vu nulle part le courant universel du temps, cet étrange « phénomène », personne ne l’a perçu et n’a pu même montrer où il fallait le chercher.
Tchij « J’y ai pensé également surtout quand j’ai étudié la théorie de la relativité générale et la théorie de la relativité restreinte, quand j’ai réfléchi sur les transformations de Lorentz et sur la quatrième dimension de Minkovski. Je suis resté très insatisfait de tout ce que l’on a écrit sur le temps. Tous les auteurs célèbres ont pris le temps comme une donnée, comme quelque chose qui existait dans la nature. Pourtant les horloges et les montres battent les secondes, mais la nature reste étrangère aux représentations artificielles de ce genre. Si le temps existe dans la nature, on ne l’a pas encore découvert. »
« Je nie de façon catégorique l’existence du temps dans la nature, je nis son objectivité et la nécessité de sa participation là où il n’existe pas. Je pense aussi qu’il faut remplacer le concept de temps par quelque chose d’autre, quelque chose qui existe de façon indubitable dans la réalité. Par exemple, par l’énergie ou quelque chose d’autre. »
Tsiolk « D’abord, je peux prouver avec certitude que le temps a été inventé par l’homme, en partant des événements astronomiques. Les données instrumentales ont permis de fixer la durée de l’année, de la journée, de l’heure, de la minute, de la seconde…En un mot, l’homme est parti des données « terrestres » car au fondement du temps conçu par la physique il y a des données purement terrestres, et précisément, le tour du cadran de vingt-quatre heures pendant lesquelles la Terre tourne sur son axe, et non quoi que ce soit d’autre…Mais la Terre elle-même tourne de façon inégale ! Notez bien cette circonstance : inégalement. Quelque chose accélère sa rotation, quelque chose la freine. De Sitter en 1918 avait déjà attiré l’attention sur ce truc gravitationnel. Et il avait réfléchi là-dessus. Ainsi les journées ne sont pas égales même dans un mécanisme aussi perfectionné que le système solaire, et donc les secondes ne sont pas identiques. Par conséquent, la seconde que nous avons adoptée est un produit empirique d’origine purement terrestre et fondée sur le mouvement de la Terre autour de son axe. Par conséquent, le temps terrestre est un temps relatif et non absolu mais il nous sert d’étalon pour divers calculs pratiques. S’il y avait sur une autre planète des gens au cerveau développé, ils fixeraient leur propre seconde, qui, bien entendu, ne serait pas la même que la nôtre. Elle pourrait être plus grande ou plus petite.
Mais l’homme ne s’est pas contenté d’appliquer la seconde terrestre aux phénomènes terrestres. Il a exprimé les phénomènes du Système solaire, de toute notre Galaxie et de tout le Cosmos en secondes terrestres et par là même il a soumis chaque phénomène du Cosmos à l’échelle terrestre du temps. Il a déclaré que Mars tournait autour du Soleil en 687 journées terrestres, que la période de rotation de Jupiter autour du Soleil était égale à 12 années terrestres et de Saturne à 29,5. L’homme calcule également les journées Marsiennes et Lunaires en temps terrestre. L’homme a soumis tous les phénomènes sur le Soleil au temps terrestre. Bien entendu, cette expansion d’une convention artificielle est très commode pour la science pratique, mais on doit en déduire que la catégorie du temps est différente dans tous les corps célestes et cela veut dire que du point de vue terrestre il existe une pluralité infinie de temps et non un temps absolu. Et cette affirmation nous conduit à une tout autre représentation du temps que le paramètre artificiel commode pour la science terrestre et seulement pour elle. Et de là on n’a qu’un pas à faire pour nier totalement l’existence réelle de la catégorie physique et philosophique du temps (en dehors du cerveau humain). D’où nunc stans (l’éternel maintenant) des anciens, l’éternité et l’infini des représentations de la pensée physico-mathématique contemporaine sont réservés aux réflexions des esprits géniaux.
Kant a nié l’objectivité de certaines catégories, comme le temps, l’espace, la causalité. Il estimait qu’elles provenaient e la raison et qu’elles ne disent rien du monde réel. Sans être d’accord avec ce point de vue, je ne peux pas ne pas penser à la catégorie du temps…Le temps est la représentation la plus douloureuse, qui ne peut être pensée que par force. Les secondes terrestres ne sont pas une catégorie réelle, indépendante de l’esprit, mais son fruit arbitraire, une unité de mesure qui n’a aucun fondement universel mais qui est commode pour nos calculs.
Les anciens philosophes pensaient autrement quand il n’existait pas encore de calculs mathématiques précis. Platon ne reconnaissait pas le temps, les philosophes présocratiques non plus. Le temps est étranger à « la pensée pure » des anciens, bien que les périodes et les rythmes remplissent l’univers entier, mais ce n’est pas le temps. L’espace peut être périodique et rythmique grâce aux manifestations de la matière.
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« Vous pensez que c’est logique ? »
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« Très logique, mais qu’est-ce qui est plus important pour la vérité, les faits ou la logique ? »
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« La logique est plus importante que les faits, la logique est plus générale que les faits, le fait peut être un cas particulier, la logique est toujours au-dessus des faits. Si la logique contredit les faits, les faits ont tort, si les faits contredisent la logique, de nouveau, ce qui compte ce n’est pas l’inexactitude des faits. L’absence d’un temps universel ou de plusieurs temps dans l’univers est dictée par la logique pure. Le temps sera toujours ce qu’on fait de lui ou ce dont la physique ou les mathématiques ont besoin. Il peut être tout ce qu’on veut parce qu’il n’existe pas et ce qui n’existe pas est protéiforme, car cérébral. D’où le sens pratique du temps. Mais comme il n’y a pas de temps universel ( cosmique) obligatoire pour tout l’Univers et qu’il n’y a pas de temps naturel, le temps est un paramètre artificiel qui n’a pas de sens philosophique. C’est pourquoi, quand on parle des phénomènes cosmiques, on ne peut pas les apprécier d’après les positions des secondes terrestres. Ce serait illogique et inconcevable. Dans ce cas le temps humain grandit dans des dimensions colossales que notre cerveau (le cerveau humain à ce moment donné) ne peut pas embrasser. Par exemple des milliards de milliards d’années. C’est pourquoi une extrémité pareille n’a aucun sens pour l’homme. Nous ne pouvons pas ne pas connaître ce qu’est une telle éternité ni nous la représenter. Mais notre logique reçoit le concept d’éternité et ne voit pas de nécessité de lutter contre ce concept. N’importe quelles opérations avec l’éternité ou avec les ères cosmiques nous conduit vers des temps immenses, que notre cerveau a peine à concevoir. Et c’est là que commencent les projets. Et il ne convient peut-être pas de fantasmer sans un prédicat physique, car des constructions aussi fantastiques sans fondement injurient la logique élémentaire de l’homme et c’est pourquoi elles ne sont pas intéressants pour lui, elles ne vivent pas longtemps et meurent dans la confusion.
Pendant de nombreuses années j’ai cherché le temps objectif dans les phénomènes variés de la nature, sur Terre et dans le Cosmos, mais partout je n’ai trouvé qu’un temps « terrestre », un temps « humain », créé par l’homme et n’ayant rien de commun avec les données objectives de la nature. Le temps n’est pas donné à l’esprit humain comme la lumière, mais il est inventé par l’homme comme un « détail » d’une machine créée par son cerveau. Nous ne voyons jamais le temps, nous ne percevons pas sa marche ni son action sur tels ou tels objets, mais nous attribuons beaucoup de choses à l’action du temps et souvent sans aucun sens ni aucune logique. Ainsi nous mettons le vieillissement de l’organisme sur le compte du temps. Or, on pourrait avec le même succès mettre ce vieillissement sur le compté du changement périodique de l’espace dans lequel cet organisme est situé. Ou à quelque chose d’autre. Il est facile de prouver l’inconsistance de ces conceptions. C’est pourquoi il convient de compter le schéma de Minkovski non comme le reflet d’une loi objective dans l’esprit humain, mais comme une invention géométrique, qui n’a rien de commun avec la réalité. Quelque chose d’effectif mais d’artificiel.
[………….] La conception du temps comme s’écoulant dans l’Univers en un courant unique n’est rien d’autre qu’un fantôme inventé par l’esprit humain. Même les physiciens qui ont essayé de corriger le tableau newtonien du monde, n’ont pas pu rompre avec et erreur et ont installé partout des horloges terrestres qui comptaient un temps terrestre, en accentuant par là même ce fantôme anthropocentrique et en conduisant dans une impasse la création d’un tableau physique du monde, dans une impasse avec divers paradoxes absurdes.
Le poids, la masse, la gravitation existent dans la nature. Ce sont des catégories évidentes de la connaissance. La longueur, l’étendue, la distance à partir d’un point jusqu’à un autre point existent aussi. On peut discuter seulement pour savoir combien ces catégories sont relatives, comment elles se rapportent l’une à l’autre. Nous voyons tels ou tels objets, le Soleil, la Lune, les planètes et les étoiles et nous avons établi les distances entre elles à l’aide des unités terrestres de longueur, en archines, mères, milles, en nœuds marins ou en encablures. Jusqu’à présent il n’u a pas d’unité chez les diverses nations en ce qui concerne les mesures de poids et de distances, car les uns ont établi certaines mesures, les autres des mesures différentes. Mais tous les peuples s’accordent sur l’unité des journées de vingt-quatre heures, et même des heures car le temps terrestre est ordinairement familier à tous les peuples de la Terre. L’homme a transporté son temps terrestre commode dans l’Univers et dans le microcosme. Même les électrons tournent chez lui autour d’un noyau selon le chronomètre terrestre. Ne voyez-vous pas en cela une sorte de malentendu, d’absence de logique ?
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Oui, c’est vrai, il serait temps d’ébranler cette construction alogique.
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Elle est totalement alogique.
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Une illusion ?
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Une illusion avec laquelle l’humanité toute entière est d’accord. »
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« Je le répète, voilà un demi-siècle que je cherche le temps et je ne le trouve pas. Et j’en viens à la conclusion que le temps fixé par l’homme lui est aussi nécessaire à notre degré de développement que l’air est nécessaire pour respirer ou la nourriture pour rester en vie. L’humanité a eu besoin du temps dès les époques les plus lointaines, quand la pensée humaine venait seulement de se manifester. L’humanité a eu alors besoin de compter les jours. Plus tard il a eu besoin de compter les heures. Il y a trois mille ans il a eu besoin de compter les minutes et les secondes. C’est seulement aujourd’hui que l’humanité a eu besoin de la microseconde. Ainsi, en descendant les époques on a fragmenté les jours humains, jusqu’à ce qu’on arrive à un millième de seconde.
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Je dis au physicien : « montre-moi le temps » et il m’indique sa montre, en m’obligeant à regarder comme la flèche des secondes court vite.. Mais non, lui dis-je, je n’ai pas besoin d’une montre mais du temps. « Le temps, mais les montrent comptenbt le temps » m’a répliqué le physicien. Excusez-moi, mon cher, mais je n’ai pas besoin d’une montre, je veux voir le temps. Prenez une pierre qui tombe, vous dites « c’est le poids ». La pierre tombe en bas, sur la terre, à cause du poids. Donnez-moi une archine. C’est de l’espace.