Mahmoud Zibawi sur l’icône et la musique
Par hasard (?), j’ai trouvé cette interview de l’ami Mahmoud qui nous manque à Paris et en France
Mahmoud Zibawi, amoureux d’icônes et des vinyles Le 03/10/14
Il ne s’agit pas d’une technique de peinture byzantine, mais les vinyles dont nous parlons sont simplement ces 33 tours que nos jeunes d’aujourd’hui ne rencontrent que chez leur DJ favori. Rendez-vous fut pris avec le philatéliste-banquier, qui avec l’Agenda Culturel ont été découvrir chez le professeur de l’Université pour tous, et ses icônes et surtout ses vinyles.
Mahmoud est moins collectionneur d’icônes que de vinyles, ces derniers occupent des rayons entiers dans sa maison située à Hamra. Mahmoud l’auteur de plusieurs ouvrages sur la peinture n’a jamais écrit sur la musique qui pourtant joue un rôle prépondérant dans sa vie. Il n’écoute la musique que quand il n’est pas en train de donner un cours à l’Université libanaise. Sa collection de vinyles compte des milliers de chansons et morceaux de musique classique, il avoue avoir des chansons byzantines trouvées sur les marchés d’Istanbul ou à Paris quand il préparait son doctorat sur l’art liturgique.
Les collectionneurs de vinyles sont plus nombreux au Liban, que ce que l’on imagine, nous confie Mahmoud en nous montrant la dernière œuvre qu’il a conçue et peint et qu’il compte présenter à sa prochaine exposition, qui se tiendra il ne sait pas quand.
Nous avons passé deux heures, le banquier-philatéliste, Mahmoud et l’Agenda Culturel à jongler avec nos amours, passant de l’histoire du timbre, à celle des icônes, tout en écoutant une musique qui par moment grésillait beaucoup comme pour attirer notre attention.
Si vous avez dans vos greniers, et vous devez en avoir, ces fameux 33 tours, Mahmoud Zibawi est immédiatement preneur. Mais ne rêvez pas. Il n’échangera pas facilement 10, 20 de ces 33 tours mêmes avec une petite icône.
Le problème a surgi quand il a fallu quitter ce peintre chiite qui enseigne son art liturgique aux séminaristes et religieuses maronites, aucune note n’ayant été prise, il fut convenu que Mahmoud accepterait de répondre aux questions que l’Agenda lui enverrait.
Vous lirez avec gourmandise les réponses de Mahmoud Zibawi ci-dessous, que nous avons jugé bon de reproduire ici en un seul et même article ; en espérant que nos lecteurs se passionneront assez pour le lire dans son intégralité.
Questions à Mahmoud Zibawi
S’il écoutait du Bach, quel type de peinture il créerait, et si c’était du jazz, ou Fayrouz ?
La question de s’est jamais posée pour moi. Je laisse l’envie me guider. Je sais seulement qu’il m’arrive rarement de travailler “dans le silence″. Je sens le besoin d’être accompagné par une voix qui chante. J’aime la grande chanson, arabe, française, italienne, ou encore grecque. J’aime le grand art sacré, et j’aime la chanson. Je pense à Henri-Irénée Marrou, cet illustre spécialiste du christianisme primitif, fondateur des Études augustiniennes, qui fut aussi un musicologue et un grand amoureux de la chanson, et cela sous le pseudonyme de Henri Davenson. J’aime la poésie. J’aime écouter les poèmes lus ou interprétés. Depuis toujours, j’aime les grands textes mis en musique. Comme le dit Léo Ferré : “Toute poésie destinée à n´être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie. Elle ne prend son sexe qu´avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l´archet qui le touche″.
Un vinyle qui grésille quand il crée une icône, perturbe-t-elle le visage parfait d’un visage qu’il dessine ?
Un vinyle qui grésille porte une histoire. Ce grésillement est un doux bruissement qui ne me perturbe guère .Tout vinyle est un objet qui se distingue par sa pochette, sa forme, ses images et ses couleurs. C’est presque un fétiche. Chaque vinyle me renvoie à un passé vécu. C’est une madeleine de Proust. J’aime écouter les disques que j’ai acquis dans ma tendre jeunesse. Ces disques font ressurgir des souvenirs lointains. En ce sens seulement, le digital ne peut pas remplacer le vinyle. Le digital est neutre. Ce n’est pas un objet. Dans le monde du digital, une chanson se noie dans une mer de chansons. Dans le monde du vinyle, chaque chanson est presque une “personne″, avec son identité et ses pulsions qui n’appartiennent qu’à elle.
Une belle pochette comme celle qu’il a, l’a-t-elle inspiré parfois
Dans ma tendre jeunesse, certainement. Je pense précisément à quelques pochettes qui ont marqué mon imaginaire quand j’avais quinze ou seize ans. Depuis, les choses ont changé. Aujourd’hui, une simple image publicitaire peut m’inspirer.
Un peinte a-t-il intérêt à aimer la musique, ou le whisky peut remplacer la musique ?
Je bois tous les jours, modérément. J’aime l’arak, la vodka, et “le vin qui réjouit le cœur de l’homme, pour que l’huile fasse luire les visages et que le pain fortifie le cœur de l’homme″, comme le dit le célèbre psaume. Cependant, il ne m’est jamais arrivé de boire en peignant. Curieusement, je n’y ai jamais pensé avant cette question. Je peins lucidement et sobrement. La peinture, pour moi, c’est la ‘sobre ivresse’ dont parle Grégoire de Nysse.
Doit-on être croyant, pour aimer les icônes, ou la musique est-elle suffisante ?
J’ai aimé les icônes, follement, avant de découvrir le message qu’elles portent. Et je ne suis pas le seul. Doit-on être croyant pour aimer cet art ? Je n’en sais rien. Il faudrait simplement avoir un certain sens mystique de la vie. Un sens du mystère. J’ai été “croyant″ dans le sens traditionnel du terme entre 1987 et 1993, mais je n’ai jamais été un dévot. Depuis les choses ont changé. Je pense à Verlaine catholique dans sa période ‘Sagesse, Amour, Bonheur’. Ce fut une expérience de courte durée, comme il l’a magnifiquement avoué : “Cela dura six ans, puis l’ange s’envola, Dès lors je vais hagard et comme ivre. Voilà″. Ma passion pour les Pères et les grands poètes religieux reste intacte. De même, je peux dire que seule la peinture religieuse me touche profondément. Je suis toujours attaché à ce ‘Consolateur, l’Esprit Saint’. La prière qui reste ancrée en moi c’est la prière à l’Esprit Saint la plus répandue dans l’Église orthodoxe : “Roi céleste et Consolateur, Esprit de Vérité, présent en tout lieu et remplissant tout, Trésor des dons excellents et Donateur de la Vie, viens et daigne demeurer en nous, purifie-nous de toute souillure, ô Très Bon, et sauve nos âmes″.
Que faire de Daech qui n’aime ni les icônes qu’il détruit ni la musique qu’il interdit ?
Les musulmans ont depuis toujours aimé la musique et le chant. Le Daech est un mouvement isolé. Oublions-le, de grâce.
Les autres religions que la chrétienté ont-elles des icônes différentes ou seulement leur musique l’est-elle ?
Dans l’Église orthodoxe, l’icône a une fonction liturgique précise. C’est un art fonctionnel qui dépasse largement cette fonction, si j’ose dire. Le judaïsme et l’islam ont leurs images. La fonction de ses images diverge fondamentalement. Laissons de côté les définitions dogmatiques. L’Islam a produit incontestablement de sublimes images, avec des styles qui lui sont propres. Le judaïsme a lui aussi ses belles images, mais il a toujours emprunté le style des autres. Pour expliquer cela, il faudrait tout un cours d’histoire de l’art.
Dernière question : quand aurons-nous la chance de voir une rétrospective des travaux de Zibawi, et est-ce qu’il mettrait la musique pour accompagner la rétrospective, et laquelle ?
C’est encore tôt, très tôt. Je suis né en 1962, et je ne me suis jamais pris au sérieux. Je n’ai jamais aimé l’auto-idolâtrie des artistes. Je me permets d’emprunter l’expression de Saint Paul, “moi qui ne suis qu’un avorton″. La musique qui pourrait accompagner cette rétrospective ? Je pense à la musique byzantine dite profane. Une musique très proche de la musique ottomane.
Mahmoud Zibawi et Emile Nasr