Malévitch aujourd’hui (pour le catalogue du MAMVP exposition “Malévitch” de Suzanne Pagé, 2003)
Malévitch aujourd’hui
Nous devons méditer le fait que Malévitch a manqué de n’être qu’une trace mythologique dans l’histoire de l’art. Ayant prévu l’évolution sinistre du régime marxiste-léniniste-staliniste, il eut le temps, de son vivant, de confier à des amis européens, partant à l’Europe occidentale dans son ensemble, l’essentiel de son œuvre picturale et de son œuvre écrite. Troels Andersen a fait une étude magistrale, qui n’a pas été dépassée, de la rétrospective de Malévitch à Berlin en 1927, dont la plus grande partie forme aujourd’hui le fonds du Stedelijk Museum d’ Amsterdam[1]. Le catalogue raisonné de Troels Andersen, qui comporte la bibliographie la plus complète de et sur Malévitch jusqu’en 1970, reste, trente ans après, un modèle de rigueur scientifique pour tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent à l’œuvre du peintre polono-ukraino-russe.
Quant à l’œuvre écrite, dont seule une partie est éditée en russe[2] ou traduite, selon le vœu même de l’artiste[3], dans de nombreuses langues européennes[4].
Avec le fonds du Stedelijk Museum d’Amsterdam, auquel s’ajoute le corpus d’œuvres venant de la collection du grand critique soviétique Nikolaï Khardjiev, nous avons la possibilité de suivre l’itinéraire créateur du fondateur du Suprématisme dans ce qu’il a apporté d’essentiel à l’art universel. Il faut noter que le seul Fonds Malévitch amstellodamois reflète ce que le peintre lui-même voulait présenter de sa création picturale, “de l’impressionnisme au suprématisme”, comme il avait intitulé sa première rétrospective à Moscou en 1919[5]. On peut donc dire que la présente exposition du Musée d’Art Moderne est, pour ce qui est des peintures et des aquarelles, un condensé de la création malévitchienne, telle qu’elle est apparue à ses contemporains. Cet ensemble est complété par deux périodes qui n’étaient ni à Moscou en 1919 ni à Berlin en 1927 – celle du Symbolisme et du Style Moderne entre 1907-1909, occultée par l’artiste, et celle du Postsuprématisme, né à la fin des années 1920 jusqu’à la mort de Malévitch en 1935.
La base impressionniste
Le seul exemplaire d’impressionnisme que Malévitch avait emporté avec lui à Berlin est cette Femme au journal, peinte vers 1905-1906, au moment où il fréquente l’atelier du peintre kiévien Fiodor Roehrberg, sa première véritable école d’apprentissage. Il avait vingt-six ans[6]. Le journal que tient le personnage féminin sur ses genoux porte en cyrillique le titre de “Koursk” (sans doute, le début du journal Kourskiyé goubernskiyé viédomosti [Les Nouvelles du gouvernement de Koursk]. Le peintre nous a dit que la ville de Koursk, où il était arrivé en 1896, venant de Kiev, afin de travailler dans une compagnie de chemins de fer, avait tenu “une grande place” dans sa biographie[7]. Il travaille en dehors des heures de service, à la peinture en amateur, forme un cercle artistique dont font partie ses compatriotes ukrainiens, comme les peintre Loboda ou Kvatchevsky (“Nous étions l’un et l’autre Ukrainiens”[8]). De cette période, où il se dit avoir été sous l’influence du réalisme des “Ambulants” Chichkine et Riépine, nous n’avons aucune trace. De 1904 à 1906, il fait, à partir de Koursk, des séjours prolongés à Moscou pour un apprentissage professionnel de la peinture et il s’installe dans la vieille capitale russe en 1906, fréquente jusqu’en 1910 l’atelier de Fiodor Roehrberg. C’est là sa véritable école. Il s’adonne alors à l’impressionnisme dont La femme au journal nous donne une idée. Il peint à même la nature ( comme Larionov à la même époque[9]): “J’aimais beaucoup la nature au printemps, en avril et au début mai. Je ne partais plus faire des études et je travaillais dans une pommeraie, près d’une maisonnette que j’avais louée pour douze roubles par mois. C’était, ce jardin, mon véritable atelier.”[10] Malévitch est net : c’est l’impressionnisme qui lui a appris que “l’essentiel n’était pas de peindre des phénomènes ou des objets avec tous leurs détails, mais que tout résidait dans une facture [i.e. texture] picturale pure, et dans le seul rapport de toute mon énergie avec les phénomènes, avec la seule qualité picturale qu’ils contenaient.
Toute mon œuvre était semblable à celle du tisserand qui tisse une étoffe d’une texture étonnamment pure.”[11]
A cette base impressionniste Malévitch restera fidèle tout au long de sa carrière, même dans les styles, qui paraîtraient les plus opposés et qui sont issus des leçons du cézannisme géométrique entre 1912 et 1914 (le goût pour les dégradés, pour les luminiscences en contraste avec les zones ombreuses), voire dans le suprématisme où l’on remarquera que la texture blanche des fonds est animée par les sillons ondulés tracés par le va-et-vient du pinceau. En 1906, l’artiste est sous l’influence principale de Monet, qu’il avait pu voir dans la Collection Chtchoukine à Moscou et dont il nous a rapporté, dans un texte saisissant, l’impression produite par les deux Cathédrales de Rouen (matin et soir) qui s’y trouvaient. Pour lui, Monet “fait pousser la peinture qui pousse sur les murs de la cathédrale. Ce n’était pas la lumière et les ombres qui étaient sa tâche principale mais la peinture qui se trouvait dans l’ombre et la lumière”[12]. Si cette influence est particulièrement frappante dans l’Eglise de la Collection Costakis (Salonique, Musée d’Art moderne)[13] ou les deux Paysages du Musée national russe de Saint-Pétersbourg[14], elle se conjugue dans la Femme au journal d’ Amsterdam à une connivence avec la poétique de Bonnard. Les touches impressionnistes jouent avec les unités colorées de la nappe blanche, la blouse et la jupe rose et mauve du personnage et de l’ objet accroché à l’arbre en larges coups de pinceau avec des rapprochements chromatiques francs audacieux (les “brusques fusées de couleur franche” que l’on a notées chez Bonnard) : “Quelque chose, que l’on appelait la lumière, est devenu tout aussi étanche que n’importe quel matériau.”[15]
Le symbolisme et le style moderne
Comme nous l’avons mentionné plus haut, Malévitch n’a jamais remontré de son vivant ses eouvres de style symboliste ou “moderne” (je rappelle qu’en Russie on appelle “style moderne” ce qui ailleurs s’appelle “Art Nouveau”, “Jugendstil”, “Secessionstil” ou “Modern Style”) après leur dernière apparition au Premier Salon Moscovite de 1911[16]. Il les avait alors groupées selon trois cycles : “Série des jaunes”, “Série des blancs”, “Série des rouges”. Ce sont là trois variantes stylistiques du Symbolisme russe entre 1900 et 1910 : un style qui mêle l’esthétique nabi, celle d’Eugène Carrière, de Whistler, de Vroubel et de Borissov-Moussatov[17]; un style franchement “moderne” qui fut le fait surtout du mouvement pétersbourgeois du “Monde de l’Art”; un style primitiviste-fauviste.
La détrempe Assomption appartient à la “Série des jaunes”, qui comportait des œuvres intitulées “Saints” ou “Anges”. Il s’agit d’une collision de l’iconographie catholique, où l’on voit l’assomption de tel ou telle saint ou sainte après sa mort dans son corps charnel de gloire, et de l’iconographie orthodoxe de la “dormition” où un saint est allongé sur son lit de mort et le Christ emporte son âme au ciel sous la forme d’un petit enfant[18] (sur le modèle courant de la “Dormition de la Mère de Dieu”). Le sens théologique de la “dormition” est que la mort n’est pas l’annihilation de notre être mais le passage de la Terre au ciel, de la corruption à l’immortalité. Selon une méthode à laquelle il sera fidèle tout au long de sa création, l’artiste prend un ou plusieurs sujets et le ou les transforme en un sujet idiolectique dont on aurait de la peine à trouver un archétype précis, alors qu’on reconnaît une structure de base identique à tel ou tel archétype. Cela sera particulèrement net dans la période postsuprématiste à la fin des années 1920 quand Malévitch crée des “icônes” tout à fait idiolectiques dont la structure est, cependant, la Sainte Face ou le Pantocrator orthodoxes. Il en est de même ici où se conjuguent des “modèles mentaux” catholiques, orthodoxes, et aussi bouddhiques. La couleur jaune, en effet, a une forte consonance extrême-orientale. Elle est celle d’une lumière mystique, celle d’un soleil intérieur qui irradie tout l’espace, qui fuse de partout sans créer de clair-obscur, sans ombre portée. Le jaune se perd en mordorures et rougeoiements. C’est véritablement un espace iconique qui apparaît, non pas au sens d’une icône orthodoxe liturgique mais d’un tableau auquel serait donné le statut d’image essentielle, non mimétique de la réalité sensible. L’association des éléments plastiques ou conceptuels de l’icône et de l’art extrême-oriental constitue une synthèse profondément originale, même par rapport à la tradition française d’Odilon Redon qui opère la même synthèse chrétienne et bouddhiste. L’âme du saint s’élève au milieu d’une irisation en mosaïque comme d’un parterre floral. Tout respire ici le panthéisme avec la fusion des êtres et de la floraison du monde qui est un des traits distinctifs du symbolisme pictural russe issu de l’impressionnisme.
Méditation est proche, iconographiquement, de l’Esquisse pour une peinture de fresque. Prière du Musée national russe[19] où un personnage nu entouré d’un nimbe, la tête couverte d’une chevelure ondulante descendant le long des jambes est abîmé dans une oraison. Cette même nudité androgyne se retrouve dans notre dessin aux crayons de couleurs. Les nudités de cette série, dont la chasteté est évidente, sont plus d’ordre chrétien que païen. Dans cette confrontation d’un être humain anonyme et de l’immensité de la nature, il y a convergence avec le romantisme allemand, celui de Friedrich, de Carus ou de Dahl. L’œuvre comporte des éléments du style moderne. L’encadrement, ajouté autour du rectangle circonscrivant le dessin, indique, exotériquement, une volonté d’en faire une “icône”.
La gouache Société dans un parc d’Amsterdam appartient à la “Série des blancs”, comme Société pornographique en hauts-de-forme et Mariage. Peinture murale du Museum Ludwig, Repos. Société en hauts-de-forme du Musée national russe, ou encore Jeux d’enfant du Musée national Pouchkine. Le style est franchement moderne, dans la manière du “Monde de l’art”. Il y a, cependant, dans ce cycle une distanciation évidente par rapport à ce dernier mouvement qui se manifeste par l’ironie, l’humour, parfois la trivialité. Ajoutons-y une volonté primitiviste de hiératisme et la présence de thèmes énigmatiques, tirés parfois de diverses religions, qui sont un arrière-fond mystique confronté à la frivolité mondaine.
Dans son œuvre ultérieure, Malévitch se montrera l’adversaire acharné de tout symbolisme et ce, au nom du “nouveau réalisme en peinture”, c’est-à-dire du sans-objet absolu, du suprématisme. Et pourtant, même dans le suprématisme, il y a une charge symbolique, comme je l’ai évoqué ailleurs[20]. Quant au retour à la figure après 1927, il est traversé par de fortes et évidentes pulsions symboliques.
La période symboliste de Malévitch n’aura donc pas été un faux-pas, une “erreur de jeunesse”, elle a été une étape décisive dont les traces multiples peuvent être décelées dans toutes les phases de sa création, là où l’on s’y attend le moins.
L’embrasement des couleurs
Malévitch se révéla véritablement dans toute l’ampleur de son génie avec la série impressionnante des gouaches fauvistes-primitivistes qu’il peignit après sa participation au premier salon moscovite du “Valet de carreau” de 1910-1911. Elles avaient été précédées par des œuvres de 1909, comme les deux Cueillettes de poires ou Mère et enfants de la collection Khardjiev, encore empêtrées dans l’iconographie symboliste mais laissant percer, encore timidement et maladroitement, l’influence de Cézanne.
L’ensemble, qui comporte les deux Autoportraits du Musée national russe et de la Galerie nationale Trétiakov, et le cycle d’Amsterdam – Baigneur, Frotteurs de parquet, Opérateur des cors au pied, Homme au sac, Jardinier, Sur le boulevard, est unique dans sa facture et sa gamme colorée. Guy Habasque a été un des tout premiers critiques à évaluer avec justesse ces gouaches, à montrer que, dès ce moment, le peintre polono-ukraino-russe s’est libéré définitivement de toutes ses hésitations antérieurs : “Le sujet n’y est déjà plus qu’un prétexte, un point de départ, le support d’une composition avant tout plastique. La couleur y est utilisée de manière purement instinctive avec une force brutale et parfois presque agressive. Les dominantes sont chaudes avec, semble-t-il, une prédilection pour le rouge, les tons vifs et saturés. Le dessin, volontairement schématisé et très appuyé, reste réaliste, mais son rôle devient essentiellement rythmique. Aucune droite, en effet, mais de grandes courbes s’opposant asymétriquement et parcourant le tableau dans toute son étendue.”[21]
Je ne reviens pas sur les filiations cézanniennes, matissiennes, picassiennes, transformées par la structure primitiviste que j’ai pu analyser ailleurs[22]. On le sait, le Néoprimitivisme russe est apparu au troisième Salon de la “Toison d’or” à Moscou en 1909[23] et fut le fait, principalement, de Larionov et de Natalia Gontcharova. Le Néoprimitivisme faisait renaître la fraîcheur naïve, le dynamisme, le vigoureux schématisme des images populaires russes (loubok), des enseignes, des planches servant de formes pour la pâtisserie, des jouets, etc. La désintellectualisation de la peinture s’accompagnait d’une désintellectualisation des sujets. En 1911-1912, Malévitch se trouve dans le sillage de Larionov et surtout de Natalia Gontcharova à laquelle il emprunte les larges contours et les aplats à la Gauguin, la robustesse des lignes, le hiératisme byzantin, en particulier dans la facture des yeux. Il les avait suivi dans leur scission d’avec les cézannistes russes du “Valet de carreau” en 1911 et participera à part entière à l’aventure du Néoprimitivisme. C’est d’ailleurs dans le groupe de Larionov, qu’il expose ses gouaches en avril 1911 à l'”Union de la jeunesse” de Saint-Pétersbourg, puis, à Moscou, à “La Queue d’âne” en mars 1912[24].
Si Larionov a eu l’importance d’un détonateur, pour Malévitch comme pour tous les novateurs russes des années 1910, c’est cependant Natalia Gontcharova qui paraît avoir eu l’influence la plus déterminante pour faire trouver à l’auteur de Femme aux seaux du Stedelijk Museum d’Amsterdam sa propre voie. On connaît sa déclaration, rapportée par Nikolaï Khardjiev : “Natalia Gontcharova et moi nous travaillions surtout sur le plan de la vie sociale. Chacune de nos œuvres avait un contenu : nos personnages, bien que représentés dans des formes primitivistes, contenaient un plan social. C’est en cela qu’était notre désaccord de principe avec le “Valet de carreau” dont la ligne remontait à Cézanne.”[25]
Les œuvres de Malévitch étaient si originales et différentes des autres néoprimitivistes russes, et cela alla en s’accentuant au fur et à mesure que la production malévitchienne s’enrichissait de nouvelles propositions plastiques, que la rupture avec le groupe de Larionov eut lieu l’année suivante 1913. Ainsi, on put lire, dans le recueil édité par ce dernier, sous la plume de Varsanofii Parkine (pseudonyme du poète Valentin Parnakh) : “K. Malévitch couvre tout un mur de grandes aquarelles aux tons criards et barbouillés de façon désordonnée, des figures fades – sans expression, avec ce style polonais de mauvais aloi dont abondent les œuvres de Vroubel.”[26]
En réalité, les flaques colorées qui “barbouillent” les surfaces peintes sont le fait du pictural en tant que tel , pour lequel les “taches de couleur bougent” et “croissent infiniment”[27] en “avalanches de teintes” sorties du cerveau en ignition du peintre[28]. Parmi les découvertes du Fonds Khardjiev d’Amsterdam, le Portrait du peintre Morgounov fait partie, avec sa marqueterie colorée, de ce cycle cézanniste-fauviste-primitiviste.
La Paysanne aux seaux est paradigmatique de la contribution malévitchienne au Néoprimitivisme russe. Il y a là la robustesse, la lourdeur expressive d’un Cimabue paysan. Le tableau, qui garde toute la saveur de l’art populaire primitif (disproportion des formes, raideur naïve, présence d’un coq en train de picorer), est construit à l’aide de larges plans géométriques juxtaposés, scandés par les lignes courbes du chemin, des arbres, de la palanche et de l’ovale des visages. Le poids de siècles de travail obscur, de souffrance anonyme et de force inflexible passe dans cette image exemplaire.
Dans une série de dessins de cette époque, Malévitch est intéressé principalement par la saisie du mouvement. Le dessin Il court se baigner [esquisse du Baigneur amstellodamois]. Il s’habille de Saint-Pétersbourg[29], comme Les frotteurs de parquet ou Portrait de ma parente de notre exposition fixent, dans une action, un moment, le figent apparemment, et pourtant le mouvement antérieur et celui qui doit suivre sont contenus dans les contours vigoureux soumis à des décalages (sdvig) qui les dynamisent. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’artiste maintiendra dans son suprématisme cet état de suspension entre statique et dynamique.
Cézannisme géométrique, cubofuturisme, alogisme
En 1912, le thème paysan s’incarne dans un nouveau style. Au schématisme et au laconisme naïf du néoprimitivisme, Malévitch combine les principes du précubisme cézannien (traitement stéréométrique des formes, construction non illusionniste de l’espace). La Récolte de seigle, le Bûcheron, le Visage de jeune paysanne d’Amsterdam, le Matin au village après la tempête de neige du Solomon R. Guggenheim répondent à une mise en pratique du fameux précepte de Cézanne dans sa lettre à Emile Bernard du 15 avril 1904 : “Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective […] La nature, pour nous, hommes, est plus en profondeur qu’en surface.” On sait la fortune que cette déclaration a eue parmi les peintres cubistes. On peut dire que l’ interprétation qu’en donne Malévitch est tout à fait originale par rapport à celle des peintres français, qu’il s’agisse des œuvres de Picasso et de Braque entre 1907 et 1909, ou encore des Nus dans la forêt (ou “Bûcherons”) (1910) de Léger, que certains critiques ont pu rapprocher des tableaux de Malévitch. Ce que Louis Vauxcelles appela en 1911 le “tubisme” de Léger n’a qu’un rapport superficiel avec les éléments iconographiques intervenant dans l’architecture des tableaux de Malévitch en 1912. La différence capitale entre le peintre russien et les peintres français tient au fait que le premier part d’une structure de base primitiviste, celle du loubok, de l’enseigne de boutique, de l’icône, alors que les Français introduisent des éléments venus des arts primitifs à une structure de base “civilisée”, cézannienne. Le peintre russien, lui, fait donc le chemin inverse des peintres français .
Il n’en reste pas moins que si Malévitch a gardé la structure de base de ses tableaux primitivistes antérieurs, il n’en a pas moins opéré une mutation iconographique totale en appliquant à la lettre le principe cézannien de la réduction au cylindre, à la sphère et au cône. Bien que les contours des personnages, des objets, des motifs paysagistes restent entiérement lisibles, on se trouve, en fait, devant un nouveau réalisme, que le peintre à qualifié de “transmental“ [zaoumnyi]. En effet, si les éléments référents (paysans, seaux, hache, maisons, tronçons d’arbres, gerbes, gestes) ne présentent aucune ambiguïté sémantique et sémiotique, leur figuration sur la toile obéit non plus aux lois du “bon sens” et de la logique visuelle, mais à celles de la “création intuitive”, qui sont au-delà du bon sens et de la logique. Opposant la raison, qui développe logiquement les formes utilitaires pour l’usage quotidien, à l’intuition, comme manifestation du subconscient, le peintre écrit : “La création intuitive est inconsciente et n’a pas de but, ni de réponse précise […] Le sentiment intuitif a trouvé une nouvelle beauté dans les objets – l’énergie des dissonances qui résulte de la rencontre de deux formes.”[30]
Et aussi: “La forme intuitive doit sortir de rien.”[31]
La gamme des couleurs utilisées distingue totalement l’auteur de Récolte du seigle des artistes français de son époque. Braque et Picasso avaient réduit autour de 1910 leur palette à des ocres, des bruns, des gris et des noirs. Le peintre russien, héritier d’une tradition slave d’art populaire multicolore (en particulier dans son Ukraine natale), couvre en revanche les éléments géométriques de ses tableaux de toutes sortes de nuances rouge, rose, orange, vermillon, bleu de Prusse, vert, indigo, mauve, blanc et noir. C’est un véritable scintillement de toutes les teintes du prisme. Bien qu’appliquée franchement et avec une grande énergie, la couleur est constamment tenue dans une vibration qui intégre, comme nous l’avons noté plus haut, l’héritage impressionniste, grâce à des dégradés subtils et au jeu des ombres et des lumières. Un contraste vigoureux est aussi créé entre la rigidité sacrale et statique des gestes, figés dans l’immobilité de l’instant, et les glissements, les déplacements dynamiques de volumes géométriques assemblés comme les roues d’une machine, recouverts d’une peinture métallisée. Il y a là la première synthèse du cubisme et du futurisme.
Il semble que ce soit Malévitch qui a employé le premier, en 1913[32] , le terme de “cubofuturisme” pour désigner certains de ses travaux dont le Portrait d’une propriétaire terrienne qui est à mettre en rapport avec Kontorka i komnata [Pupitre de comptabilité et pièce] d’Amsterdam[33].
Dans son premier texte publié à Pétrograd en 1915 Du Cubisme au Suprématisme. Le nouveau réalisme pictural, le peintre emploie également le terme de “cubofuturisme” et écrit : “Le cubisme et le futurisme ont créé le tableau à partir de débris et de fragments des objets au profit des dissonances et du mouvement.”[34]
Jusqu’en 1913, Malévitch reste fidèle à la figure, dont il garde le contour néoprimitiviste de base qu’il n’a cessé d’interpréter dans différents styles. On comprend très bien comment il a pu passer en quelques mois du “réalisme transmental” (Portrait perfectionné d’Ivan Vassiliévitch Kliounkov du Musée national russe) à ce qu’il a appelé le “réalisme cubofuturiste” (Portrait du compositeur Matiouchine de la Galerie nationale Trétiakov). Dans les dessins pour le Portrait du compositeur Matiouchine, comme sur la toile, la lisibilité de la représentation est obscurcie au maximum. Des éléments figuratifs apparaissent çà et là (une portion de crâne, un clavier, les parties d’un piano etc.) mais la distribution de ces éléments ne correspond plus à aucune figuration “reconnaissable”. Nous sommes devant un équivalent sémiotique, un système de signes ordonnés uniquement en fonction des lois internes du tableau. Nous sommes en plein cubofuturisme car à l’architecture solidement construite se mêle l’interpénétration des objets et de l’homme (selon les principes et la pratique du Futurisme italien, en particulier de Boccioni et de Ballà autour de 1912).
C’est seulement en 1913-1914 que Malévitch créera un cycle d’œuvres dont l’esthétique est analogue à celle de Picasso dans le Clarinettiste (1911) ou de Braque dans Harpe et violon (1912). Samovar de la Collection McCrory, Instruments de musique et lampe, Garde, Pupitre de comptabilité et pièce, Dame à un arrêt de tramway du Steleijk Museum d’Amsterdam sont les premiers tableaux qui témoignent en Russie de l’influence du cubisme analytique parisien. Le livre théorique de Gleizes et de Metzinger Du “Cubisme” avait paru dans deux traductions russes au début de l’année 1913, et ses thèses étaient connues et débattues dans les milieux de l’art de gauche à Moscou et Saint-Pétersbourg. L’utilisation d’une gamme de couleurs très ample (sauf dans Samovar) distingue fondamentalement le cubofuturisme malévitchien de l’art des fondateurs du cubisme.
En 1914, toute une série de tableaux utilise le collage que Braque avait été le premier à incorporer en 1912 dans son dessin au fusain Verre et compotier. L’ Anglais à Moscou d’Amsterdam comportait à l’origine une cuillère de bois collée (il n’en reste plus que la trace peinte transversalement sur le carré noir du haut-de-forme). Des papiers de tapisserie et des fragments de journaux sont intégrés à la surface picturale de Dame devant une colonne d’affiches, également d’Amsterdam. Cette année 1914 consacre le triomphe de ce que Malévitch a appelé l'”alogisme”. c’est là un autre nom de la “zaoum” (traduit par “transmentalité”, “transrationnalité” ou “outre-entendement”) dont il avait qualifié ses œuvres de 1912-1913. Cette zaoum se référait à l’expérience poétique, en particulier celle de Khlebnikov et de Kroutchonykh[35]. Dans une lettre de juin 1913 au compositeur, peintre et théoricien Mikhaïl Matiouchine, il écrivait : “Nous avons rejeté la raison en nous appuyant sur le fait qu’une autre raison a grandi en nous, que, par comparaison avec celle que nous avons rejetée, nous pouvons appeler l’au-delà de la raison [zaoumnyi], mais qui elle aussi est régie par une loi, une construction, un sens, et c’est seulement en ayant sa connaissance que nous obtiendrons des œuvres fondées sur la loi de cet au-delà de la raison véritablement nouveau; cette raison a trouvé pour elle-même le cubisme comme moyen d’exprimer les objets.”[36]
Dans les dessins alogistes du Fonds Khardjiev – Bureau des pompes funèbres, Eclipse partielle [esquisse pour “Anglais à Moscou”]. Arrêt d’autobus, on note le caractère disparate des éléments figuratifs : un cochon, une carte à jouer, un rasoir, une volée d’oiseaux, une montagne dans le premier; une scie, un homme en haut-de-forme, un sabre, un poisson, une oie, une bougie, un quadrupède… L’image de l'”éclipse partielle”, comme celle du “bureau des pompes funèbres” sont des métaphores malévitchiennes (il y a encore, dans d’autres œuvres, les métaphores de la “pharmacie”, de la “mascarade”, des “détritus de la vie” etc.) pour indiquer le caractère inauthentique, illusionniste du monde des objets, du “fatras figuratif”[37], et son effacement progressif au moyen du pictural.
Le Suprématisme
Le Quadrangle de 1915 (le fameux “Carré noir sur fond blanc” de la Galerie nationale Trétiakov) est, d’un certain point de vue, l’éclipse totale du monde des objets, la manifestation apophatique du sans-objet (bespredmetnost’). La naissance du Suprématisme à la “Dernière exposition futuriste de tableaux 0,10” à Pétrograd à la toute fin de 1915 est aujourd’hui bien connue et documentée grâce aux travaux pionniers d’Evguéni Kovtoune[38]. Je rappellerai qu’une étape décisive vers la totale abstraction du sans-objet a été le travail de Malévitch pour la mise en scène, les décors et les costumes de l’opéra de Matiouchine La Victoire sur le Soleil en décembre 1913[39] où le soleil, symbole de l’illusion, n’éclaire que des ombres. Dans le livret du poète transmental Kroutchonykh, le chœur chante[40]: “Nous sommes libres/Le soleil est brisé/Salut ténèbres”.
L’avènement de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler par la suite le “Carré noir”, et qui lors de l’exposition “0, 10” s’appelait Tchétyreougol’nik, c’est-à-dire “Quadrangle”, frappe par son caractère abrupt, inattendu, imprévisible, aussi bien dans la création de Malévitch jusque là, que dans l’art en général. Si l’on suit la progression des quadrilatères dans les œuvres de 1913-1914, on remarque que les tableaux sont tous, sans exception, saturés de formes. Au regard de ces dernières, les formes pures, nues, du quadrilatère, du cercle et de la croix, qui vont désormais habiter les surfaces suprématistes, frappent par leur minimalisme.
Certes, en 1912-1913, la représentation des “rythmes colorés”, des “sons intérieurs”, était à l’ordre du jour, conduisant plusieurs artistes européens à la non-figuration et à l’abstraction[41]. Cependant, l’absence de tout référent figuratif dans le sans-objet suprématiste apparaît, en 1915 comme une radicalité abstraite sans équivalent dans le concert des arts européens.
Dans un article de 1919 “Sur la poésie”, Malévitch a développé l’idée que la poésie “se construit sur le rythme et le tempo” : “C’est au rythme et au tempo que s’ajustent les choses, les objets, leurs particularités, leur caractère, leur qualité etc.
C’est la même chose en peinture et en musique.”[42]
Le peintre fait apparaître ce qui n’apparaît pas, l’excitation sans-objet du monde. Pour la première fois dans l’histoire de l’art universel, il y a une tentative de fondre l’art pictural et l’acte philosophique en un seul acte qui manifeste l’inapparent. Le peintre déclare : “A un de ses stades, le suprématisme est un mouvement purement philosophique, un mouvement cognitif à travers la couleur.” Ou bien encore : “Ce système dur, froid, sans sourire, est mis en mouvement par la pensée philosophique.”[43]
Pour Malévitch, qui développera sa philosophie dans de nombreux écrits, le seul monde vivant est le monde sans-objet. Il affirme le primat de la cinquième dimension – l’économie. L’économie est une notion que Malévitch manie avec une ambiguïté voulue. Au-delà de tous ses sens habituels (gestion, organisation, production, non-dépense inutile), l’économie a le sens théologique de distribution du divin dans le visible et l’adaptation du visible, – en grec oikonomia[44]. Or oikonomia se dit en russe domostroitel’stvo -construction de la maison. Et que nous dit Malévitch dans Suprématisme, 34 dessins? -” Le carré blanc porte le monde blanc (la construction du monde) en affirmant le signe de la pureté de la vie créatrice humaine.”[45] Et quand il affirme que la culture est un effort de l’homme pour “répartir le poids dans des sytèmes d’apesanteur” (Dieu n’est pas détrôné, § 16[46]), n’est-ce pas une belle citation de l’oikonomia?
Malévitch, après la réduction des formes à zéro, explore, au-delà du zéro les espaces du Rien : “Le carré égale la sensation, le fond blanc égale ‘le Rien’ en dehors de cette sensation”[47]. “J’ai troué l’abat-jour bleu des limitations colorées, je suis sorti dans le blanc, voguez à ma suite, camarades aviateurs, dans l’abîme”[48]
L’acte créateur n’est pas mimétique, c’est un “acte pur” qui saisit l’excitation universelle du monde, le Rythme, là où disparaissent toutes les représentations figuratives de temps, d’espace et ne subsistent que l’excitation et l’action qu’elle conditionne, excitation sans but.[49] Du Quadrangle de 1915 aux “Blancs sur blanc” de 1918, c’est l’espace du monde qui émerge à travers le sémaphore de la couleur dans son abîme infini”[50]
Le carré de base (non géométrique) se désintègre , dans le chef-d’œuvre absolu que sont Huit rectangles rouges, en différentes formes quadrangulaires qui se tiennent, telles les planètes d’un nouvel Univers, en état de suspension, de flottaison, dans l’espace blanc de la toile, ou bien s’agglomèrent comme mues par une force magnétique dans Suprématisme. 18ème édification.
Ou alors Malévitch expérimente des superpositions de plans comme dans cette composition (44, 5 x 34, 5) où sur un quadrilatère tendant au carré de couleur jaune vient planer un rectangle rouge vertical sur lequel s’étire horizontalement un quadrilatère trapézoïdal vert sur lequel passent deux petites barres rectangulaires noires. Aucun volume n’est créé par cette combinaison d’espaces. La planéité reste totale. L’ensemble ainsi créé fait penser à un chevalet de peintre qui se serait décomposé en plans, démembré sous la sensation du sans-objet. Mais la “reconnaissance”d’un objet de notre environnement, pas plus que les titres figuratifs donnés ne proviennent que d’une association fortuite entre la réalité autonome qui se déroule en lui et la réalité environnante, et non le contraire. Nous sommes pleinement dans un espace non-euclidien.
De petite sphères viennent parfois rompre les plans rectilignes, comme dans la composition 80 x 62 cm (identifiée comme Autoportrait en 2 dimensions) ou dans Match de football (identifié comme Réalisme pictural d’un footballeur. Masses colorées dans la 4ème dimension). La tentation est de voir dans l’ “autoportrait” et le footballeur des équivalents sémiologiques d’une figure réelle. Ainsi, dans un cas, la tête serait le quadrilatère tendant au carré et, dans l’autre, – la petite dirconférence verte… Mais il ne faut pas perdre de vue que le suprématisme se refuse à donner des succédanés du réel. Le réel n’a cessé d’être désintégré depuis le cubofuturisme primitiviste jusqu’à sa seule présentation spatiale sans-objet. Ainsi, si à l’exposition “0, 10”, Autoportrait à 2 dimensions avait le “carré-visage” noir en haut, tandis que Réalisme pictural d’un foootballeur. Masses colorées dans la 4ème dimension avait la circonférence verte en bas. Alors que dans d’autres expositions organisées avec la participation du peintre, ces mêmes tableaux sont inversés dans leur accrochage. De toute évidence, Malévitch voulait montrer le caratère accessoire et tout à fait secondaire d’une association de ses figures géométriques planes avec des figures vivantes ou des objets de l’environnement.
Ici il faut faire une remarque générale qui touche le problème du sens dans lequel “doivent” être accrochés les tableaux suprématistes. Nous possédons des photographies de plusieurs expositions, faites du vivant de l’artiste et avec sa participation. Nous constatons que certains tableaux sont dans des sens différents selon les cimaises[51]. On sait que Malévitch pensait que les œuvres suprématistes n’avaient ni haut ni bas, ni droite ni gauche, elles pouvaient être vues sur n’importe quel endroit du cube d’une pièce d’exposition. Cela correspondait à ce que les œuvres voulaient faire apparaître – “le monde comme sans-objet” : “L’infini n’a ni plafond, ni sol, ni fondations, ni “horizon”[52]. Ainsi, Huit rectangles rouges et la composition du MoMa 79, 3 x 79, 3 (“Sensation de vol” selon un dessin avec le même sujet) sont dans un sens à “0, 10” et dans un autre sur une phographie d’une autre exposition. Supremus N° 50 est vertical dans la rétrospective de 1919 à Moscou et lors de celle de Berlin en mai-septembre 1927; il est horizontal lors de l’exposition à l’Hôtel Polonia à Varsovie en mars 1927. Nous avons noté plus haut les différents accrochages de Réalisme d’un footballeur. Masses colorées dans la 4ème dimension ou de l’ Autoportrait à 2 dimensions.
Rectangle noir et triangle bleu est placé horizontalement dans la rétrospective de 1919. Suprématisme 18ème édification porte une inscription au dos qui semblerait en donner le sens, mais c’est dans une autre position qu’il est montré à la rétrospective berlinoise de 1927. La peinture 88 x 70, 5 cm d’Amsterdam a son carré bleu vers le haut droit dans la rétrospective moscovite de 1919 et à l’Hôtel Polonia, tandis que ce même carré est inversé à l’exposition berlinoise de 1927. La toile carrée de la Fondation Peggy Guggenheim à Venise est toujours présentée avec la forme trapézoïdale noire, qui en forme l’axe, verticale, alors que sur la cimaise de la rétrospective berlinoise elle est horizantale, l’autre forme trapézoïdale verte étant dans l’axe oblique du tableau. Il n’y a pas jusqu’au “Carré blanc sur fond blanc” du MoMA qui n’ait pas été accroché dans un autre sens qu’ il ne l’est aujourd’hui.
Dans un stade ultérieur, ces diverses formes quadrilatères et ces triangles se combinent, se chevauchent, créant ainsi des zones intermédiaires (Supremus N° 50).
Avec le “suprématisme dynamique” de 1916 on assiste à un grouillement, un éparpillement de formes qui occupent l’espace comme des constellations l’espace cosmique. Aux formes précédentes viennent s’ajouter des courbes, des fragments d’ellipse, des sphères, des éléments oblongs.
S’ouvrant à la “sensation de la dissolution, du non-être”, les œuvres de 1917-1918 montrent des plans colorés qui se perdent dans une nébuleuse blanche (Parallélogramme jaune sur fond blanc d’Amsterdam); ou encore, avec la série des “Blancs sur blanc”, ce sont simplement des contours qui apparaissent ou disparaissent dans l’énergie du blanc pour ne laisser vivre que “le mouvement purement coloré”.
Le peintre a donné, a posteriori, des explications du phénomène suprématiste. Ainsi dans un texte inédit du début des années 1920, il écrit : “Le suprématisme n’est plus un phénomène pictural dans le sens d’un processus de constructions dans la couche picturale des tons. Sa tâche première principale était dans la couleur, ‘la suprématie de la couleur’ (sa première période) […]
Le stade suprématiste, en tant que nouvelle circonstance, m’a montré que dans son prisme se sont produits trois stades, un coloré et deux stades de distinctions du sans-couleur, du noir et du blanc, selon les formes des trois carrés. Cela a été accompli instinctivement [stikhiino] en dehors des argumentations de leurs significations que j’essaie d’éclaircir aujourd’hui. J’ai vérifié […] ma ligne suprématiste et la ligne de la vie en général, en tant qu’énergie, et j’ai trouvé leur identité avec le graphisme sur le mouvement de la couleur. Trois stades ont été élucidés dans le Suprématisme : du coloré, du noir et du blanc, ce qui m’a donné la possibilité de construire un graphique et d’élucider l’avenir dans le carré blanc, en tant que nouvelle époque blanche de la construction du monde du Suprématisme sans-objet.”[53]
Après le Suprématisme
Dans cet article, l’accent a été mis essentiellement sur les années 1910 car c’est là que Malévitch a donné sa pleine mesure, c’est là qu’il apparaît aujourd’hui comme le créateur qui a, de fond en comble, bouleversé les données séculaires de l’art. Cependant, l’activité de Malévitch dans les années 1920 est capitale pour comprendre son œuvre dans son ensemble. Le travail pédagogique à l’ Ounovis [ = Affirmation du Nouveau en art] de Vitebsk en 1919-1922 et au Ghinkhouk [=Institut national de la culture artistique] de Pétrograd-Léningrad en 1923-1926 est immense et n’est encore que partiellement connu[54]. Il est à mettre en parallèle avec l’activité du Bauhaus de Gropius. Le suprématisme s’étend à tout l’environnement, il apparaît sur les objets manufacturés, il crée des formes utilitaires (service à thé, robes, broches, affiches…). Dans une feuille de l’exposition présente comptant huit dessins hétérogènes, on lit sous les deux dessins en haut à droite : “pour une broderie radeau”. Sans doute s’agit-il là de projets pour les ateliers paysans des villages ukrainiens de Verbivka et de Skoptsy qui firent en 1916-1917 des broderies suprématistes sous la direction de Natalia Davydova, d’Eléna Prybylska et d’Alexandra Exter[55].
Plusieurs dessins de notre exposition témoignent du travail du fondateur du Suprématisme dans le volume (alors que le “suprématisme de la peinture” était la stricte planéité”) et l’architecture. On se souvient de ce passage de Suprématisme 34 dessins en 1920 : “L’évolution ultérieure du suprématisme, désormais architectural, je la confie aux jeunes architectes.”[56]. Dans un texte tardif, alors que le style gréco-romain ou “ecclésiastique” stalinien tend à s’imposer en Russie soviétique, l’artiste revendique une “architecture artistique” : “L’architecture artistique, ce n’est pas, bien entendu, ni le cube, ni le parallélépipède. Ce ne seront là que les tiroirs de base qui devront prendre une forme artistique dans les proportions spatiales du développement du thème.
En travaillant à l’expérimentation d’un développement spatial du cube, j’ai obtenu des enrichissements assez complexes. Ce cube s’est défait dans l’espace, dans ses proportions il a créé un corps très complexe que j’ai nommé “architectone” – L'”architecture” peut désormais servir de prototype de l’architecture artistique.
De la sorte, le cube ne s’est pas avéré être une forme pleine d’appauvrissements, mais il a été l’élément initial du développement de l’architecture artistique. L’appauvrissement total, il ne faut pas le chercher ni dans le cube, ni dans le parallélépipède, ni dans la sphère, mais dans la pensée créatrice architecturale.”[57]
Quant au corpus imposant des écrits de Malévitch, je me contenterai ici de le mentionner à travers cette citation du philosophe Emmanuel Martineau : “L’œuvre intégrale de Malévitch – l’écrit et le peint – posséde cette propriété unique que, pour la première fois depuis que les peintres sont entrés en rapport avec la littérature, l’écrit y est d’une égale importance strictement égale à celle du peint – au point même que l’autonomie de celui-ci, sans devoir naturellement être révoquée en doute, devient essentiellement digne de question.”[58]
Le retour à la figure après 1927 est représenté ici par quelques dessins. Des visages, des mains ou des pieds marqués de différents signes symboliques : croix orthodoxes russes à huit extrémités, cercueils, faucille et marteau. Des visages sans visage. Des orants. Dès 1918, dans ses dessins pour Opéra de guerre[59], , comme, selon le témoignage de Mansouroff[60], dans les esquisses, perdues, pour la pièce de Maïakovski Mistère-Bouffe en 1918, Malévitch avait inauguré le type iconographique des faces noires ou stigmatisées (Dans le dessin Bass, donne-moi un verre[61], le personnage, traité à la manière cubofuturiste de La Victoire sur le Soleil, a un visage sur lequel s’inscrit un quadrilatère irrégulier (le futur cercueil de la fin des années 1920?).
Les figures christiques se font de plus en plus insistantes à la fin des années 1920 et, surtout après l’emprisonnement (avec tortures) de l’artiste de septembre à décembre 1930[62], l’angoisse et la déréliction de l’homme se traduisent en formes simplifiées à l’extrême, à la manière des dessins d’enfants.
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Malévitch, dont nous mesurons aujourd’hui toute l’ampleur, a fulguré par son art pendant une dizaine d’années après 1911. Ce sont les années cruciales où l’année 1913 est un pivot autour duquel se sont formées les novations les plus radicales de l’histoire de l’art (cubisme, futurisme, abstraction). En Russie, ce pivot est l’année 1915 (cubofuturisme, sans-objet suprématiste, contre-reliefs). Malévitch déroule, pendant ces dix années, une œuvre qui procéde plus par sauts, on pourrait dire par découvertes plastiques soudaines. Il transforme souverainement le cézannisme, le fauvisme, le primitivisme, le cubisme et le futurisme, crée l’alogisme et, brusquement, plonge dans l’abîme du sans-objet suprématiste. La monochromie et le conceptualisme sont là en germe. Il n’y a pas de transitions entre ces coups d’éclat, au grand dam de l’Histoire de l’ Art qui est perdue lorsqu’elle ne décèle pas des continuités, des coutures, des articulations, des “influences”. Pour Malévitch (comme d’ailleurs chez beaucoup d’autres grands artistes), il s’agit plutôt d’impulsions qui, tels des chocs électriques, transfigurent les données colorées et formelles. Rien n’annonce la maîtrise absolue des gouaches de 1911. Il n’y a aucune transition entre ces gouaches violentes et les loubki hiératiques et amples (à la Cimabue) de Femme aux seaux ou Femmes à l’église (sur l’autre côté de la toile Bûcheron), et entre ce cycle et celui, cubofuturiste cézanniste, de Récolte du seigle ou de Bûcheron. On pourrait continuer jusqu’au saut final, que rien ne laissait entrevoir, qu’est le Quadrangle noir entouré de blanc de 1915, l'”enfant royal”, l'”icône de notre temps”.
Le mysticisme que l’on a toujours prêté, non sans raison à l’auteur de Monde sans-objet ou le repos éternel ( dont Dieu n’est pas détrôné est une partie[63]) se manifeste peut-être le mieux dans le fait que pendant la décennie où il a donné au monde une série de chefs-d’œuvre absolus, il a procédé plus par illuminations successives que par une logique évolutive, ce qui explique l’assimilation en un temps record, entre 1911 et 1914, des cultures picturales novatrices de cette époque.
En ce début du XXI siècle, la “réhabilitation” du retour malévitchien à la figure après 1927 est accomplie, car notre contemporain y trouve des accents, uniques sous cette forme, dénonçant par les moyens silencieux du pictural, l’horreur engendrée par l’hydre totalitaire du XXème siècle.
C’est, cependant, la révolution suprématiste qui, par le peint et l’écrit, a fait apparaître dans l’histoire universelle de l’art un “nouveau réalisme”, celui du sans-objet, du “Rien libéré”, de l’authenticité des rythmes du monde.
Jean-Claude Marcadé
Septembre-octobre 2002
[1] Troels Andersen, Malevich. Catalogue raisonné of the Berlin Exhibition 1927 Including the Collection in the Stedelijk Museum; with a General Introduction to His Work, Amsterdam, The Stedelijk Museum, 1970
[2] Trois tomes de Sobranié sotchiniénii v piati tomakh [Œuvres en cinq volumes], Moscou, “Guiléya”, 1995, 1998, 2000; voir aussi l’anthologie : Kazimir Malévitch, Jivopis’. Téoriya [Peinture. Théorie], Moscou, “Iskousstvo”, 1993; Kazimir Malévitch, Tchornyi kvadrat [Le carré noir], Saint-Pétersbourg, “Azbouka”, 2001
[3] Rappelons un passage du testament holographe de Malévitch, du 30 mai 1927, laissé avec ses manuscrits à ses amis Alexandre von Riesen et Hugo Häring : “Dans le cas de ma mort ou d’un emprisonnement définitif, et dans le cas où le propriétaire de ces manuscrits désirerait les publier, il faudra les étudier à fond et, après cela, les éditer en une autre langue.”, in : Kasimir Malewitsch, Suprematismus – Die gegenstandslose Welt, Cologne, DuMont Schauberg, 1962, p. 37
[4] Les traductions principales disponibles sont : Die gegenstandslose Welt, Munich, AlbertLangen, 1927 (éd.-tr. A. von Riesen); Suprematismus – Die gegenstandslose Welt, op.cit. (éd.-tr. H. von Riesen); Essays on Art (4 volumes), Copenhague, Borgen, 1968-1978 (éd. Troels Andersen); O nepredmetnom svete [Du monde sans-objet], Bratislava, Tatran, 1968 (éd.-tr. Nad’a ¢epanova); Ecrits (4 tomes), Lausanne, L’Age d’Homme, 1974-1994 (éd.-tr. Marcadé); Scritti, Milan, Feltrinelli, 1977 (éd. Nakov); Suprematizam. Bespredmetnost [Suprématisme. Sans-objet], Belgrade, 1980 (éd. Slobodan Mijuskovi†).
[5] “16-aya gos. Vystavka. Personal’nya vystavka K.S. Malévitcha. Iévo pout’ ot impressionizma k souprématizmou” [16-ème Exposition nationale. Rétrospective de K.S. Malévitch. Son itinéraire de l’impressionnisme au suprématisme], cf. Troels Andersen, Malevich, Catalogue Raisonné of the Berlin Exhibition 1927, op.cit., p. 163, N° 270
[6] On sait aujourd’hui, grâce aux recherches de l’historien de l’art Dmytro Horbatchov, que Malévitch est né en 1979 (et non en 1978, comme on croyait jusqu’ici). La date de naissance de Malévitch est indiquée dans Metritcheskaya kniga Kievskoï prikhodskoï tserkvi. Tchast’ pervaya o rodivchikhsya na 1879 g. [Registre des actes de naissance de l’église paroissiale kiévienne. Partie I sur les naissances en 1879], Archives nationales de Kiev, fonds 312, inventaire 1, dossier 113, feuilles 13 verso, 14. Je remercie Dmytro Horbatchov pour ces références. D’autre part, Malévitch était “noble héréditaire” du côté de son père polonais (voir la lettre manuscrite du 5 août 1905 du “noble Kazimir Sévérinovitch Malévitch, habitant de la ville de Koursk” au directeur de l’Ecole de Peinture, Sculpture et Architecture de Moscou pour lui demander de l’autoriser d’être auditeur libre de l’Ecole – Moscou, RGALI, fonds 680, inventaire 1, unité de conservation 82.1). Sa mère était ukrainienne, s’appelait Loudmila Galinovska (information reçue par Dmytro Horbatchov de la sœur de Malévitch, Viktoria); le prénom polonais de Ludwika a été adopté, de toute évidence, après son mariage.Dans les Archives d’Anna Léporskaya à Léningrad dans les années 1970 se trouvaient des vers manuscrits de la mère de Malévitch en russe.
[7] K. Malévitch, “Enfance et adolescence. Chapitres de l’autobiographie de l’artiste” (réd. Nikolaï Khardjiev), in : Malévitch, Actes du Colloque International tenu au Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne, Lausanne, L’Age d’Homme, 1979, p. 161
[8] Ibidem, p. 162
[9] Cf. Jean-Claude Marcadé, “De quelques impulsions méridionales dans l’œuvre de Larionov”, in catalogue Nathalie Gontcharova – Michel Larionov, Paris, Centre Georges Pompidou, 1995, p. 195-196
[10] K. Malévitch, “Enfance et adolescence”, op.cit., p. 167
[11] Ibidem
[12] K. Malévitch,”Des nouveaux systèmes en art” [Vitebsk, 1919], in : Ecrits I. De Cézanne au Suprématisme, Lausanne, L’Age d’Homme, 1993, p. 102
[13] Cf. Angelica Zander Rudenstein, Russian Avant-Garde. The George Costakis Collection, Londres, Thames and Hudson,
p. 252, N° 474
[14] Voir le catalogue raisonné du Fonds Malévitch du Musée national russe : Kazimir Malevich in State Russian Museum, Saint-Pétersbourg, Palace Editions, 2001, pl. 1 et 2 (le catalogue existe également en russe et en suédois)
[15] K. Malévitch, “La lumière et la couleur” [début des années 1920], in : Ecrits IV. La lumière et la couleur, Lausanne, L’Age d’Homme, 1993, p. 68
[16] Les œuvres de style symboliste et moderne ont été révélées pour la première fois dans toute leur ampleur dans l’exposition mémorable hollando-soviétique de 1988-1989 au Musée national russe, à la Galerie nationale Trétiakov, au Stedelijk Museum d’Amsterdam. Entre temps, la Galerie Jean Chauvelin avait exposé en 1977 Arbre et dryades de l’ancienne collection N. Manoukian, cf. catalogue Suprématisme, Paris, Galerie Jean Chauvelin, 1977, p. 115; la rétrospective Malévitch au Centre Georges Pompidou en 1978 montra aussi une série de dessins symbolistes et modernes de l’ancienne collection Anna Léporskaya, voir : Malévitch, Actes du Colloque International, op.cit., N° 21-36
[17] J’ai essayé de montrer qu’il y avait bien un style symboliste russe spécifique qui se distinguait du symbolisme dans l’Art Nouveau européen et du symbolisme dans le Fauvisme, cf. Jean-Claude Marcadé, “Le Symbolisme russe dans les arts plastiques”, in catalogue Le Symbolisme russe, Bordeaux, Musée des Beaux-Arts, 2000, p. 11-17
[18] Voir, par exemple, La dormition de Saint Spyridon d’Emmanuel Tzanfournaris (1595) au Musée des icônes de l’Istituto Ellenico de Venise.
[19] Cf. Kazimir Malevich in State Russian Museum, op.cit., pl. N° 3
[20] Cf. Jean-Claude Marcadé, Malévitch, Paris, Casterman, p. 154-155
[21] Guy Habasque, “Documents inédits sur les débuts du Suprématisme”, Aujourd’hui, septembre 1955
[22] Cf. Jean-Claude Marcadé, Malévitch, op.cit., p. 51 sq.
[23] Cf. Valentine Marcadé, Le Renouveau de l’art pictural russe. 1863-1914, Lausanne, L’Age d’Homme, 1972, p. 295-296
[24] Cf. Valentine Marcadé, Ibidem, p. 318, 322
[25] N. Khardjiev, Maïakovski i jivopis’ [Maïakovski et la peinture], 1940, p. 359, cité ici d’après : Valentine Marcadé, op.cit., p. 205
[26] Varsanofii Parkine, “Oslinyi khvost i Michen'”[ La Queue d’âne et la Cible], in : “Oslinyi khvost” i “Michen’“[“La Queue d’âne” et “La Cible”], Moscou, 1913
[27] K. Malévitch, “Des nouveaux systèmes en art”, op.cit., p. 102
[28] K. Malévitch, “De la poésie” [1919], in : Ecrits II. Le miroir suprématiste, Lausanne, L’Age d’Homme, 1993, p. 74
[29] Cf. Kazimir Malevich in State Russian Museum, op.cit., p. 368, N° 111. L’œuvre est intitulée arbitrairement “Deux baigneurs” alors que le sujet est bien indiqué sur l’œuvre même.
[30] K. Malévitch, “Du Cubisme au Suprématisme. Le nouveau réalisme pictural” [Pétrograd, 1915], in : Ecrits I. De Cézanne au Suprématisme, op.cit., p. 40, 41
[31] K. Malévitch, “Du Cubisme et du Futurisme au Suprématisme. Le nouveau réalisme pictural” [Moscou, 1916], in : Ibidem, p. 61
[32] Exposition de l'”Union de la jeunesse” à Saint-Pétersbourg, novembre 1913-janvier 1914, cf. Valentine Marcadé, op.cit., p. 333
[33] Je renvoie à mon commentaire de ce tableau dans mon Malévitch, op.cit., p. 98-100
[34] K. Malévitch, “Du Cubisme au Suprématisme. Le nouveau réalisme pictural”, op.cit., p. 42
[35] Cf. Rainer Crone, “A propos de la Gegenstandslosigkeit chez Malévitch et son rapport à la théorie poétique de Khlebnikov”, in: Malévitch. Cahier I, Lausanne, L’Age d’Homme, 1983, p. 45-75
[36] Lettre de Malévitch à Matiouchine de juin 1913, Département des manuscrits du Musée national russe, fonds 25, dossier 9, p. 7-8
[37] Cf. K. Malévitch, Du Cubisme et du Futurisme au Suprématisme. Le nouveau réalisme pictural, op.cit., p. 56
[38] Voir “The Publications of Yevgeny Kovtun”, in : Devoted to Russian Avant-Garde. In Memory of Yevgeny Kovtun, Saint-Pétersbourg, Palace Editions, 1998, p. 65 sq., N° 47, 49, 57, 61, 67, 70, 122, 124, 135, 141
[39] Cf. l’édition bilingue de La Victoire sur le Soleil, Lausanne, L’Age d’Homme, 1976 (avec la première publication du Fossoyeur, dont le corps est un carré noir)
[40] Ibidem, p. 36
[41] Pour un panorama précis du contexte des arts plastiques avant 1914, voir le catalogue Robert Delaunay. 1906-1914. De l’impressionnisme à l’abstraction (par les soins de Jean-Paul Ameline et de Pascal Rousseau), Paris, Centre Georges Pompidou, 1999
[42] K. Malévitch, “Sur la poésie” [1919], in : Ecrits II. Le miroir suprématiste, op.cit., p. 74
[43] K. Malévitch, “Le Suprématisme” [1919], in : Ibidem, p. 83
[44] Sur le concept patristique d’ économie et ses relations avec l’icône, voir : Marie-José Mondzain, Image, icône, économie. Les sources byzantines de l’imaginaire contemporain, Paris, Seuil, 1996 , en particulier p. 25-147. Notons que dans le grec byzantin, comme dans le grec moderne, oikonomia et eikonomia sont homophones et se prononcent “ikonomia”.
[45] K. Malévitch , “Suprématisme, 34 dessins”[1920], in : Ecrits I. De Cézanne au Suprématisme, op.cit., p. 123
[46] K. Malévitch, Dieu n’est pas détrôné. L’Art. L’Eglise. La Fabrique [1922], Lausanne, L’Age d’Homme, 2002
[47] K. Malewitsch, Die gegenstandslose Welt, Munich, Albert langen, 1927, p. 74
[48] K. Malévitch, “Le Suprématisme”, op.cit., p. 84
[49] K. Malévitch, Dieu n’est pas détrôné, op.cit., §§ 1-5
[50] K. Malévitch, “Le Suprématisme”, op.cit., p. 83
[51] Dans ma monographie Malévitch, op.cit., j’ai, intentionnellement, reproduit 7 peintures suprématistes dans un sens différent de leur accrochage canonisé par les musées.
[52] K. Malévitch, Dieu n’est pas détrôné, op.cit., § 5
[53] K. Malévitch, “K II tchasti Suprematizm kak bespredmetnost’, absoliout, otdykh” [Pour la Iième partie du Suprématisme comme sans-objet, absolu, repos], carnet manuscrit du début des années 1920, Archives privées, Saint-Pétersbourg, p. 43
[54] On trouvera en français une bonne introduction au travail de Malévitch à l’Ounovis et au Ghinkhouk, dans : Frédéric Valabrègue, Kazimir Sévérinovitch Malévitch, Marseille, Images En Manœuvres, 1994, p. 150-211; voir aussi : Jean-Claude Marcadé, L’avant-garde russe 1907-1927, Paris, Flammarion, 1995, p. 18-20, 325-343 et passim.
[55] Sur l’activité des ateliers de Verbivka (près de Kharkiv) et de Skoptsy (près de Poltava) et leur utilisation du design suprématiste, en particulier celui de Malévitch, voir : D. Gorbatchov [Horbatchov], “Avant-propos”, dans le catalogue L’Art en Ukraine, Toulouse, Musée des Augustins, 1994, p.24-25; voir aussi : Jean-Claude Marcadé, L’Avant-garde russe 1907-1927, op.cit., p. 193-195
[56] K. Malévitch, “Suprématisme 34 dessins”, op.cit., p. 123
[57] K. Malévitch, Voprossy arkhitektoury [Questions d’architecture], tapuscrit signé de la main de l’auteur et daté du 2 octobre 1932 (Léningrad), Moscou, RGALI, Fonds 634 (Litératounaya gazéta). Parmi les récents travaux consacrés aux problèmes de l’architecture chez Malévitch, voir les excellents articles de Patrick Vérité, “Malevi© et l’architecture : à propos des objets-volumo-constructions suprématistes“, Cahiers du Musée national d’art moderne, N° 65, 1998, p. 39-53; “Sur la mise en place du système architectural de Malevi© “, Revue des Etudes Slaves, Paris, LXXII/1-2, 2000, p. 191-212
[58] E. Martineau, Malévitch et la philosophie, Lausanne, L’Age d’Homme, 1977, p. 78. Je me permets de renvoyer aussi à mon article pour les catalogues de l’exposition sur le “Suprématisme de Malévitch”, organisée en 2003 par le Salomon R. Guggenheim à Berlin et à New York, “Malevich, Painting and Writing: On the Development of a Suprematist Philosophy” (en anglais et en allemand)
[59] A la suite de La Victoire sur le Soleil, le librettiste Kroutchonykh médita en 1914 un nouvel opéra sous le titre Voyennaya opiéra [Opéra de guerre] avec, également, la musique de Matiouchine. Il n’en subsiste que des fragments, publiés par Nina Gourianova dans Iz litératournovo naslédiya Kroutchonykh [ Quelques textes du Nachlass littéraire de Kroutchonykh], Berkeley Slavic specialities, 1999, p. 398-400. Ces fragments ne nous permettent pas d’interpréter les dessins du Fonds Khardjiev censés se rapporter à cette œuvre.
[60] Cf. Malévitch, Actes du Colloque international tenu au Centre Pompidou, op.cit., p. 114
[61] Rien n’indique, jusqu’à plus ample informé, que ce dessin appartienne aux esquisses de l’Opéra de guerre.
[62] Sur cette période tragique de la vie de Malévitch, voir Frédéric Valabrègue, Kazimir Sévérinovitch Malévitch, op.cit., p. 240 sq.
[63] Cf. Jean-Claude Marcadé, “Postface” de : K. Malévitch, Dieu n’est pas détrôné. L’Art, L’Eglise, La Fabrique, op.cit.Malévitch aujourd’hui