« Prévoir l’avenir est très difficile »
(Jacques Attali, catalogue de l’exposition)
« J’en suis la preuve vivante »
(Jacques Attali, qui l’aurait dit s’il avait une once de lucidité)
« La prévision est difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir »
(Pierre Dac)
« Rien n’interdit de faire que la croissance française passe de 1,5 à 3,5 ou 4, c’est tout-à-fait possible ; dès la fin de 2008 ». Cette phrase, prononcée par Jacques Attali en 2008 dans une émission de Public Sénat intitulée « Conversations d’avenir » et que l’on peut entendre ici à 9’14″, devrait suffire à elle seule à déconsidérer définitivement Jacques Attali, le grand prévisionniste, l’économiste visionnaire, qui n’avait pas vu venir quelques semaines avant la crise de 2008… Mais les imposteurs médiatiques, tels les Bernard-Henri Lévy, les Alain Minc ou les Jacques Attali donc rebondissent toujours, même lorsqu’ils écrivent les pires âneries. Et Dieu sait si Attali en a écrites ou en a dites. Le 27 décembre 2012, il intervenait sur Itélé et prévoyait l’avenir immédiat : « Le pays est en état de relative convalescence », « les choses vont dans la bonne direction ». Il récidivait quelques jours plus tard, ses paroles étant rapportées par une dépêche AFP : « Il y a beaucoup de perspectives qui donnent le sentiment que 2014 et 2015 seront de bonnes années », et même : « la Chine va redémarrer ». Jacques Attali, c’est la « Madame Irma 2.0 » (il se pique de numérique), celle dont les hommes politiques s’arrachent les prédictions, même si celles-ci ne sont pas plus justes à long terme qu’à court terme ; dans un livre publié en 1990, « Ligne d’horizon », il annonçait le déclin inexorable de l’Amérique dans les dix ans à venir, alors que les États-Unis devaient connaître à partir de 1992 une des plus florissantes périodes économiques de leur histoire1.
Mais pourquoi donc parler de Jacques Attali dans La Tribune de l’Art ? Car Jacques Attali, qui prévoit l’avenir et a une opinion sur tout2, prétend également jouer au commissaire d’exposition (sous le titre, non moins ridicule, de « conseiller scientifique »). Et c’est le Louvre qui lui ouvre grand ses portes pour une exposition tirée de son livre « Une brève histoire de l’avenir », les deux commissaires portant ce titre étant Jean de Loisy et Dominique de Font-Réaulx.
Nous avons donc, préalablement à l’exposition, tenté de lire cet ouvrage. Nous avons renoncé, avouons-le honteusement, tant la prose de Jacques Attali est indigeste. Il s’agit d’un gloubi-boulga écœurant dans lequel le Mage, sans jamais rien démontrer ni de ses hypothèses, ni de ses conclusions, assène des prévisions pour les cinquante prochaines années. Et pour impressionner davantage le lecteur crédule, tout devient « hyper » sous la plume de Jacques Attali : hyperconflit, hypernomade, hypermétropole, hyperempire, hyperdémocratie, mais c’est surtout son moi qui est hypertrophié…
L’exposition du Louvre est à l’image de ce livre… Un mélange d’art de toutes les époques, relié par une prose prétentieuse et vaine3, à laquelle personne ne comprendra rien mais que tout le monde fera semblant de trouver très intéressante, et très audacieuse, car ils auront trop peur de passer pour des hyperimbéciles. Le signataire de ces lignes est hypermodeste et il ne reculera pas devant ce risque, car il n’a vraiment hyper rien compris. On verra donc des objets archéologiques mésopotamiens (venant du Louvre) confrontés à une maquette d’architecture datée de 1989 par Eilfried Huth et Günther Domenig, non loin d’une tapisserie d’après Fernand Léger, d’œuvres de Peter Cook ou de Tomás Saraceno. Tout cela est censé illustrer le chapitre « L’ordonnancement du monde » (ill. 1), mais on est hyperdubitatif. Il ne s’agit plus ici d’inclure quelques œuvres contemporaines au sein des collections anciennes. Il n’est même pas question d’une exposition transversale qui aurait un vrai propos. Le Louvre nous présente désormais une exposition d’art contemporain avec un peu d’art ancien dedans, ce qui est très différent. Le parcours se poursuit sur le thème « Instruments de l’échange ». On y voit des monnaies anciennes, un scribe assis égyptien, une Corde à proverbes du Congo. Mais cette fois, pas d’art contemporain. On ne sait pas trop pourquoi, tout comme on ne sait pas trop pourquoi il y a cette section, pas davantage qu’on ne saisit la raison d’être de la suivante, Les Jardins, où on peut admirer un Jeff Koons non loin de L’Allégorie de la Richesse de Simon Vouet. Les expositions du même genre du Musée d’Orsay (« Sade », « Masculin-Masculin »…), malgré le vide abyssal du propos, permettaient de découvrir parfois des œuvres peu connues, rien de tel ici puisqu’une grande partie vient des collections du Louvre. C’est hyperdécevant.
- 3. Manufacture Zuber
Les Zones terrestres
Dessin sur papier – 240 x 1683 cm
Paris, Musée des Arts Décoratifs
Photo : Didier Rykner
- 4. Dernière section de l’exposition
« Une brève histoire du temps »
Ça ne se voit pas, mais on est au Louvre
Photo : Didier Rykner
Seule la section suivante « Histoires cycliques » permet d’admirer des tableaux jamais vus en France, par Thomas Cole (ill. 2). Il s’agit du cycle Le Destin des Empires, daté de 1834 et conservé à la New York Historical Society. C’est beau, mais c’est maigre. « Transmission des savoirs », « L’élargissement du monde », les sections se succèdent sans qu’on ait vraiment envie de s’arrêter devant les œuvres, sauf peut-être le grand panorama de la manufacture Zuber provenant du Musée des Arts Décoratifs (ill. 3). Le parcours se termine sur « Sociétés modernes » (ill. 4), sans doute la pire de toute, où plus de la moitié des œuvres n’ont absolument rien à faire au Louvre. Et on se précipite vers la sortie, hypercontent. D’avoir enfin fini.
Commissaires : Dominique de Font-Réaulx et Jean de Loisy, avec la collaboration de Sandra Adam-Couralet et de Martin Kiefer.
Conseiller scientifique : Jacques Attali.
Sous la direction de Dominique de Font-Réaulx et Jean de Loisy, Une brève historie de l’avenir, Hazan, 2015, 384 p., 45 €. ISBN : 9782754108539.
Informations pratiques : Musée du Louvre, hall Napoléon, sous la pyramide. Tél : +33 (0)1 40 20 53 17. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9h à 18h, jusqu’à 21h45 les mercredi et vendredi. Tarifs : 15€ (exposition et musée).