Valentine Marcadé, « Art d’Ukraine » Lausanne, l’Âge d’Homme, 1990, 351 p., pi. en coul. (Slavica, Écrits sur l’art).’art).
Valentine Marcadé, Art d’Ukraine
Lausanne, l’Âge d’Homme, 1990, 351 p., pi. en coul. (Slavica, Écrits sur l’art).
La publication du livre de Valentine Marcadé Art d’Ukraine est un événement dans le processus d’approfondissement de la connaissance de la culture ukrainienne par l’Occident. L’aube de cette culture a été marquée par le brillant développement de l’art dans l’État kiévien. Cependant les péripéties néfastes de l’histoire dont le résultat fut l’appartenance du territoire de l’Ukraine à la Lituanie, la Pologne et la Russie ont produit, pour un observateur extérieur, une aberration selon laquelle la culture ukrainienne, fut amalgamée à la culture des nations voisines. La restitution de la vérité historique est le premier mérite du livre de V. Marcadé.
Son deuxième mérite est la présentation des faits esthétiques dans le large contexte de la vie sociale et la démonstration de l’enracinement profond de l’art ukrainien dans les traditions folkloriques qui remontent parfois aux époques lointaines des Scythes et des colonies grecques sur les côtes de la mer Noire. Mais la spécificité la plus importante de ce livre est le choix bien fondé des chapitres de l’histoire de l’art ukrainien que l’auteur propose à notre attention. N’ayant évidemment pas l’intention d’écrire une histoire « complète et systématique » de l’art d’Ukraine, V. Marcadé se concentre sur les épisodes cruciaux de cette histoire, sur la période kiévienne, sur le développement de l’art ukrainien aux XVlle-XVllle siècles, sur la participation des artistes ukrainiens à la vie culturelle de l’Empire russe au XIXe siècle et sur l’avant-garde ukrainienne des premières décennies de notre siècle.
Il faut dire qu’Art d’Ukraine contient beaucoup de faits et d’évaluations esthétiques qui sont nouvelles et originales non seulement par rapport aux publications sur l’art ukrainien parues en Occident mais aussi par rapport à l’ Histoire de l’art ukrainien en 6 tomes (8 volumes)1, publiée en Ukraine il y a vingt ans, considérée comme un ouvrage à la fois scientifique et représentatif, donnant la description la plus détaillée du processus du développement historique de l’art de l’Ukraine. Cependant cette œuvre, certes utile pour ceux qui s’intéressent à l’art médiéval, ne peut satisfaire la curiosité d’un lecteur fasciné par l’art moderne.
En ce qui concerne le modernisme ukrainien, la comparaison du livre de V. Marcadé avec l’Histoire de l’art ukrainien ne sera pas à l’avantage de ce dernier. Par exemple, V. Marcadé consacre plusieurs pages de son livre à l’évolution de l’œuvre sculpté d’Alexandre Archipenko en soulignant qu’il propose une nouvelle forme d’objets polychromes inspirés par l’art égyptien antique mais transposés dans l’actualité moderne et conçus comme « sculpto-peinture » (p. 182). Ce jugement se fonde sur l’analyse esthétique, mais aussi sur un article d’Archipenko lui-même et sur l’opinion de Guillaume Apollinaire exprimée dans une de ses critiques. Parallèlement, on ne trouve dans le IVe volume de l’ Histoire de l’art ukrainien que trente lignes sur ce grand sculpteur. Ses œuvres « réalistes » furent évaluées positivement (trois d’entre elles sont reproduites), mais le cubisme d’Archipenko qui lui a assuré sa place dans l’histoire de la sculpture mondiale n’est que mentionné. Les dogmes idéologiques ont poussé les auteurs vers la défiguration du processus réel du développement artistique : « L’atmosphère des recherches purement formelles dans l’art bourgeois [!?] du XXe siècle a donné naissance aux œuvres suprématistes de K. Malévitch de Kiev, aux intérêts cubistes de A. Archipenko et de V. Tatline de Kharkov et aux visions abstraites de V. Kandinsky. . .2 » Sur la même page on trouve un autre amalgame (« passéisme, esthétisme, érotisme, mysticisme ») attribué à la prose de V. Vinnytchenko, à la poésie du groupe « La Jeune Muse » et à la peinture de A. Exter qui n’ont rien de commun entre elles.
Il est également important de noter que l’ Histoire de l’art ukrainien ne mentionne point les noms des maîtres ukrainiens tels S. Férat (Yastrebtsov), L. Baranoff-Rossiné, Sonia Delaunay, David Bourliouk et de plusieurs autres fondateurs et continuateurs de l’art moderne.
Maintenant, peu à peu, l’Ukraine se libère du pouvoir de l’idéologie (une des preuves en est la parution du livre de B. Lobanovskij et P. Hovdia, l’Art ď Ukraine de la seconde moitié du XIXe et du début du XXe s., Kiev, 1989, où l’on trouve une approche beaucoup plus équilibrée du phénomène du modernisme). Dans ce processus les futurs auteurs suivront le chemin des recherches de V. Marcadé.
Tout cela ne signifie pas que chaque jugement de V. Marcadé est incontestable. Par exemple, dans la partie du livre consacrée à l’œuvre de T. Chevtchenko où il y a des observations remarquables : sur « l’accumulation des éléments insolites » dans une de ses planches graphiques, qui « créent une atmosphère « surréaliste » avant la lettre » (p. 149), l’auteur dit : « On note chez Chevtchenko une incompréhension totale de l’art byzantin » (p. 146). Je ne crois pas que l’on puisse parler dans ce cas d’incompréhension. C’est plutôt un rejet total du « byzantinisme » sous toutes ses formes qui, dans la conscience de Chevtchenko, est associé à la monarchie absolue dont le grand poète et peintre ukrainien était un ennemi résolu.
On trouve parfois dans cet ouvrage des fautes d’impression, surtout dans les transcriptions des noms propres, qu’il conviendra de corriger dans les éditions suivantes.
Plusieurs dizaines d’illustrations en couleur et en noir et blanc constituent un des nombreux atouts du livre de V. Marcadé.
Victor KOPTILOV
1 . Історія українського мистецтва в шести томах, Kyïv, AN URSR, 1966- 1 968.
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Ibid., vol. IV, p. 2.