MARGINALIA DE MALÉVITCH (Vitebsk, 1920)
MARGINALIA DE MALÉVITCH SUR L’EXEMPLAIRE DU TRAITÉ DES SYSTÈMES EN ART OFFERT PAR MALÉVITCH À LISSITZKY (EN ROUGE)
1)
[P. 198 de ma traduction chez Allia (les passages en gras sont les passages qui ont été pris dans la version imprimée en 1920 à Moscou sous le titre de De Cézanne au suprématisme) :]
“Que nos traces passent comme l’arc-en-ciel après la pluie”
“Nous, tels des nuées, nous enfantons les arcs-en-ciel des traces”
К.Malévitch
[“Пусть наши следы пройдут как радуга после дождя”
“Мы как тучи рождаем радуги следов”
К.Малевич]
Je vais vers…
ou-êl-oull-êl-tié-ka
ma nouvelle voie
“Que le renversement du vieux monde des arts soit gravé sur vos paumes.”
M’étant placé sur la surface plane économique du carré comme perfection de la contemporanéité, je l’abandonne à la vie comme assise (osnovaniyé) du développement économique de son acte.
Je déclare que l’économie est la mesure nouvelle, la cinquième, de l’évaluation et de la définition de la contemporanéité des arts et des créations; sous son contrôle entrent toutes les inventions créatrices de systèmes, de techniques, de machines, de constructions ainsi que des arts (peinture, musique, poésie), car ces derniers sont les systèmes d’expression du mouvement intérieur, illusionné dans le monde tangible.
-
Malévitch
Cher Lazar Markovitch, je vous salue avec la sortie de ce petit livre, il sera la trace de ma voie et le commencement de notre collectif en mouvement, j’attends de vous les habits des appareillages, pour ceux qui vont à la suite des novateurs.
Mais ordonnez-les ainsi : qu’ils ne puissent longtemps stagner en eux, – qu’ils n’aient pas le temps de former une embrouille petite-bourgeoise, qu’ils n’engraissent pas dans sa beauté.
K.Malévitch
4 décembre
1919
Vitebsk
[De la main de Lissitzky:]
Je vous demande, Kazimir Sévérinovitch, de faire pour moi les corrections de cet exemplaire.
-
Lissitzky
[Выходом этой книжечки приветствую Вас,
Лазарь Маркович, она будет следом моего пути и началом
нашего колектива [так!] движения, жду от Вас одежд
сооружений, для тех, кто идет по за новаторами.
Но стройте их так : чтобы они не могли долго
засиживаться в них, – не успели завести мещанскую сутолку [так!]
не ожирели в ее красоте.
К. Малевич
4 декабря
19 г.
Витебск
Я прошу Вас Казимир Северинович этот экземпляр прокоректировать [так!] для меня
Л. Лисицкий]
2)
[Voici les passage qu’a annotés Malévitch – extrait de ma traduction chez Allia, p. 226 :]
[…]D’un autre côté, la raison a une grande influence, elle qui est habituée au confort, qui, dans la galoche de la trace du novateur, organise pour soi-même une tanière tranquille et [в калоше следа новатора устраивает себе покойную берлогу и] craint qu’on ne la dérange par de nouvelles introductions et présente tout un tas de tomes de déductions logiques et “sensées”, ce à quoi croyait sans protester la coalition bourgeoise. Mais l’intuition accomplit sa route et exclut la forme par une nouvelle inclusion et si notre raison pouvait venir à bout de la causalité de l’inclusion intuitive, alors le nouveau serait considéré comme une marche naturelle. Il n’existe pas de cas où la raison n’ait accepté ce qu’elle avait rejeté jadis. L’opinion publique a rejeté Millet et Courbet qui a dû exposer son réalisme sur des marchés. Cézanne et Picasso sont honorés aujourd’hui et toute la société française s’incline devant Millet et l’on respecte Cézanne dont les meilleurs tableaux se trou- vent en Russie et ont été rassemblés par l’amateur d’art Sergueï Ivanovitch Chtchoukine qui a dédaigné l’opinion de la société et a collectionné “les dégénérés” (vyrodki) de l’art. Seuls les dégénérés sont porteurs du vivant criez leur votre louange car ils vous emportent dans les déserts où l’on ne vous promet ni manne ni terre promise KM. [Только выродки несут живое кричите им хвалу ибо они несут вас в пустыни, где не обещают ни манны ни обетованной земли КМ]
3)
[P. 244 de ma traduction chez Allia :]
[…] Nous sommes dans une époque à part, peut-être n’y en a-t-il jamais eu de semblable. Une époque d’analyses et de résultats de tous les systèmes qui ont jamais existé, et les siècles apporteront vers notre ligne de démarcation de nouveaux signes. Nous y verrons les imperfections qui ont conduit à la division et au désaccord et peut-être nous ne retiendrons d’eux que le désaccord pour bâtir (vystroït’) un système d’unité.
Aujourd’hui l’intuition du monde change le système de notre monde vert de la viande et des os, il se produit un nouvel ordre (poriadok) économique d’assemblage des fondrières de notre cerveau créateur pour l’accomplissement du plan ultérieur de son mouvement en avant dans l’infini ; c’est en cela qu’est la philosophie de la contemporanéité sur laquelle doivent avancer nos jours créateurs.
15 juillet 1919
NEMTCHINOVKA
À vous jeunes architectes
je confie des champs purs labourés,
sont enlevés tous les draps des siècles et dénudé
le front de la nouvelle sagesse du novateur inventeur
qui porte le calice des nouvelles bâtisses.
Tout est pur, comme la surface plane noire et blanche
du carré et ainsi installez donc de magnifiques placards
pour la vie, – installez des traces, offrez refuge,
repos et nuitée, et nous-mêmes doucement comme une ombre
allons-nous-en dans l’infini le libre l’incompréhensible,
laissant la raison à ceux qui veulent comprendre
et débrouiller les traces sclérosées
Laissez leur la langue afin qu’ils puissent aboyer
après vous, mais nous, nous n’avons pas besoin de langue nous avons besoin
d’une voie et d’une voie pure comme l’ombre.
-
Malévitch
[Вам архитекторы молодые
поручаю поля чистые изрытые,
сняты все простыни веков и обнажен
лоб новой мудрости новатора изобретателя,
который несет чашу новых строений
Чисто все, как черная и белая плоскость
квадрата, так ставьте же чуланы прекрасные
для жизни, – ставьте следы, дарите приют
покой и ночлег, а сами тихо как тень
уидемте [так!] в бесконечное свободное непонятное,
оставив разум тем, кто хочет понимать
и разобраться в застывших следах
Оставьте язык им, чтоб могли лаять
вдогонку, а нам не надо языка нам нужен
путь и путь чистый как тень.
К. Малевич]
[J’ai gardé l’orthographe la ponctuation et la disposition des lignes, car tout le passage est très poétique, dans la forme du vers libre (mutatis mutandis, à la Péguy!]