EN HOMMAGE À PIERRE SOULAGES, 100 ans aujourdh’ui
SOULAGES – LE RYTHME ILLUMINÉ
Je suis noire et belle à voir
Ct I, 5
Farai un vers de dreyt nien […]
Fagai lo vers, no say de cuy
Ghilhem de Peitieus1
por toda la hermosura
nunca yo me perdere
se no por un no sé qué
que se alcanza por ventura
San Juan de la Cruz2
Notre face est sombre
Notre lumière est en dedans
Kroutchonykh,
La Victoire sur le soleil3
Je considère le blanc et le noir comme
étant déduits de gammes
de couleurs hautement colorées
Malévitch
le Suprématisme, 34 dessins4
Soulages est comme sa peinture : robuste – un chêne rouergat, une force de la nature. Ou plutôt : la peinture de Soulages est robuste, à l’image de l’homme et des paysages où il est né, où il a évolué, a connu ses premières émotions esthétiques, humaines, où il a travaillé. Ces paysages sont ceux de cette ancienne région gallo-romaine des Rutènes (curieuse homonymie avec les Ruthènes ukrainiens des Carpates!) dont la capitale était Rodez, la ville natale du peintre : la lumière y fuse des masses noires ou sombres, les toits sont la plupart du temps en ardoise faisant contraste avec la pierre plus claire. N’est-ce pas de là originellement que vient le trait distinctif de la création de Soulages jusqu’en 1979 et dans le tournant qu’elle a pris à partir de cette date – l’alternance qu’on y trouve invariablement entre le clair et le sombre, le lumineux et l’obscur, le noir et l’ illuminé, l’opacité et la transparence. Bien entendu, Soulages est en cela un peintre de l’universel et non de quelque particularisme que ce soit. Et son oeuvre peut être sentie par les hommes des cultures les plus diverses. C’est d’ailleurs là la force de l’Abstraction, cette Abstraction que Soulages a porté sans jamais la moindre palinodie à une intensité inconnue avant lui, tellement il la déroule souverainement, sans compromis, depuis le milieu du XX siècle, sans se soucier de la vie dominante qui se repaît plus facilement d’imagerie et d’hédonisme (ce que Malévitch appelait “la pornographie picturale”5 .
Pour en revenir à la terre occitane natale, c’est l’artiste lui-même qui s’en est réclamé pour indiquer les impulsions premières qui l’ont lancé dans l’aventure du Noir et de la Lumière (blanche, polychrome, scintillante). Dans un des textes fondateurs de la connaissance de Soulages, l’ entretien avec Jean Grenier en 1963, l’artiste précise bien que sa fidélité à ses origines n’a rien d’ethnique, de sociologique, de folklorique ou d’exotique6 . Le terrain dont une oeuvre est nourrie ne la détermine pas7. Maurice Merleau-Ponty ne disait-il pas à propos de Cézanne, pour lequel la couleur est “l’ endroit où notre cerveau et l’Univers se rejoignent”8 : “ Il est certain que la vie n’explique pas l’oeuvre, mais certain aussi qu’elles communiquent. La vérité est que cette oeuvre à faire exigeait cette vie”9 . Et Soulages à James Johnson Sweeney en 1973 : “Même dans le pays où on naît, on choisit dans ce qui vous entoure. On n’est jamais influencé par le tout.”10
Et qu’a-t-il choisi? Il n’a pas fait mystère de l’importance des forces impulsives qui l’ont traversé au matin de sa vie : “Les grands plateaux déserts, les arbres dénudés, les pierres gravées préhistoriques, les sculptures romanes, etc.; il y a tout cela dans mon pays natal mais aussi de charmants paysages, à la mesure humaine, des dentelles de pierre gothiques, de gracieux bas-reliefs renaissants. Je n’ai pas voulu les voir. Les choses qui m’étaient fraternelles, la terre, le vieux bois, les pierres, le fer rouillé, toutes ces choses m’ont sûrement marqué. Je les ai toujours préférées aux matières pures et sans vie”11 .A propos des menhirs celtiques du Musée Fenaille de Rodez, vus dans son adolescence, avec leurs striures créant des zones ombrées, Sweeney note “la parenté évidente du graphisme des pierres et du graphisme de ses peintures. Il ne s’agit pas d’une simple parenté superficielle mais d’une tension des rapports d’espace entre les éléments”12
Un autre élément qui le marquera à jamais : la monumentalité, celle de l’architecture romane et, en premier lieu, de l’abbatiale Sainte-Foy, plantée au coeur d’un paysage montagneux et forestier d’une grandeur majestueuse et stricte, dans le village aveyronnais de Conques à une vingtaine de kilomètres de Rodez. Sans savoir qu’un jour il lui reviendrait (à la fin des années 1980) de participer au mystère sacré de cette architecture, en concevant la fabrication de vitraux abstraits13 , c’est là que vers douze-treize ans, lors de sa première visite, il décida “d’être peintre”14 . La monumentalité architectonique sera une des caractéristiques des toiles de Soulages, Jean Leymarie fut un des tout premiers à la déceler15 . Et Bernard Dorival pourra écrire : “Arbres, vitraux, édifices romans, quadrillage métallique des échafaudages modernes, les toiles de Soulages partagent bien leur monumentalité”16
Sweeney fait remarquer en outre que “dans le maniement de la couleur [chez Soulages], il subsiste quelque chose qui rappelle la chaude pénombre de l’intérieur roman de Sainte-Foy. Là le noir n’était pas inanimé, mais il y avait une vivante obscurité doucement palpitante, diffuse dans la luminosité subtile qui parvenait à sa plénitude dans les rais de lumière des hautes fenêtres étroites et dans son doux reflet sur les dalles et sur les murs”17. Cela est écrit en 1973, bien avant le début du##### travail de l’artiste pour refaire toutes les vitreries de l’abbatiale (1987-1994); dans les vitraux de Conques, c’est le jeu du clair et du sombre qui est mis en oeuvre.
L’artiste fut également bouleversé par la puissance expressive de la sculpture romane de Sainte-Foy de Conques ainsi que par les simples dolmens ou les objets préhistoriques exhumés des grottes de l’Aveyron lors des fouilles. La prétendue malhabileté des hommes qui avaient réalisé ces productions, qu’ils aient été motivés par la lutte pour la vie, les rituels magiques ou l’édification de leurs congénères, était, est toujours, pour Soulages une manifestation de leur authenticité première, de leur liberté. Cette liberté de l’artifex, qui ne dépend pas des possibilités technologiques de telle ou telle époque, même si elle en conditionne l’évolution (c’est d’ailleurs là le seul progrès) , fait plier la matière à sa volonté de créer ce qui n’existait pas avant. “Si j’étais dénué de tout, si par exemple je n’avais à ma disposition qu’un clou rouillé, je ferai quand même de la peinture, ou quelque chose d’analogue…”, a pu déclarer l’artiste18 . On comprend ici pourquoi il aime citer, en occitan, les vers du troubadour Guillaume IX d’Aquitaine que nous avons mis en exergue19 .
En art il n’y a pas de progrès. Parler de maladresse à propos des arts primitifs n’a pas de sens, si l’on laisse aller l’instinct du Beau qui est en l’homme et si l’on ne lui met pas le carcan des règles et critères académiques qui ne sont que des données passagères, contingentes, liées à une culture. Comme l’a écrit Maurice Merleau-Ponty, si nous ne saurions parler en peinture de progrès, “ce n’est pas que quelque destin nous retienne en arrière, c’est plutôt qu’en un sens la première des peintures allait jusqu’au fond de l’avenir”20 .
L’artiste aime énumérer les métiers qui existaient dans la rue de Rodez qu’il habitait et qu’il admirait : tonnelier, charron, forgeron, tanneur, sellier, ébéniste, etc. Tout jeune, il les a observés, a noté les gestes de ces artisans, a été attiré par les instruments utilisés. Aujourd’hui encore, il décrit avec un plaisir évident les spécificités techniques de chaque métier. Michel Ragon a fait remarquer que “sa fascination pour la technique, pour toutes les techniques, date sans doute de là; sa curiosité pour tous les métiers, pour toutes les pratiques.”21 Admirable est la précision terminologique du peintre lorsqu’il est question de telle ou telle activité humaine. Il connaît le nom des outils d’un nombre incalculable de métiers, dénominations exotiques pour le profane mais qui ont une saveur poétique à eux seuls.
Lui-même a utilisé pour le traitement de ses toiles une multitudes d’outils. Les pinceaux traditionnels y tiennent une place infime. En effet, dès le début il a pris conscience que les outils habituels du peintre vendus dans le commerce étaient standardisés et ne lui permettaient pas “ce contact qu’avaient les artistes d’autrefois avec le matériau”22 Aussi, très vite il a acquis les ustensiles des peintres en bâtiment, diverses brosses: d’imprégnation, en forme de spalter, à encoller, à bout plat, avec des touffes denses, rectangulaires, ovales ou coniques, comportant des soies23 de porc, de chèvre, de martre, en nylon. Les outils des peintres en bâtiment permettent de produire “des formes sans préciosité”, “d’obtenir d’un coup une touche qui vivait par l’étendue de sa surface”24
Dan McEnroe, qui travaille comme assistant avec le maître et a écrit une étude spéciale sur le sujet, nous apprend que “Soulages modifie chaque brosse selon la ‘griffe’ qu’il veut lui donner. Il commande également aux fabricants des brosses aux dimensions et aux caractéristiques qui ne sont pas disponibles dans le commerce. La nervosité des poils dépend de leur composition, leur diamètre, leur longueur, et de leur configuration et de l’espacement des touffes”25 . Dan McEnroe précise que certains outils créés par l’artiste ont été “improvisés […] pendant le travail d’une toile et ensuite réutilisés pour d’autres peintures”26 .
Si Soulages a répété à l’envi qu’il n’y avait pas de progrès en art, il n’a jamais méprisé le progrès évident apporté par les sciences et les techniques, bien au contraire. Son goût pour les arts archaïques, pour les matières à l’état brut, pour le primitif de façon générale, ne l’empêche pas de s’approprier de toutes les possibilités de la technique et des technologies les plus nouvelles. Preuve en est sa maison de Sète dont lui et sa femme Colette, son accompagnatrice de toujours, ont dessiné tous les plans, où se trouve depuis 1959 un de ses ateliers et qui est un chef-d’oeuvre de l’architecture civile des années 1950, réalisé avec les matériaux les plus modernes (béton, verre, fer, aluminium) et qui aujourd’hui n’a pas vieilli, tellement sa modernité est intemporelle27.
L’artiste est le premier à se servir des moyens les plus sophistiqués offerts par la civilisation contemporaine : les différentes ressources de l’électricité lui permettent de régler selon ses besoins l’éclairage de son travail comme celui des expositions dont il tient à rester le maître d’oeuvre; il en va de même pour les châssis qu’il confectionne ou fait confectionner afin d’obtenir les tensions voulues de la toile, invariablement sans cadre, ou, plus récemment, pour obtenir des polyptyques de grande dimension permettant au spectateur de “se déplacer devant eux”, “d’appréhender la toile par pans successifs, à faire vivre l’alternance des clairs et des sombres, des lumières et des silences”28.
L’artiste choisit aussi les matières de ses toiles selon les exigences des couches picturales posées avec, au fur et à mesure de la progression de son travail, le souci de la pérennisation de ses tableaux29 .
Jamais, autant qu’avec Soulages, l’art n’a été une technè et l’artiste un technitès, “un homme habile à produire, qui connaît son affaire, qui maîtrise son métier” 30 . Si Soulages connaît toutes les arcanes de la technique, s’il a une grande admiration pour l’artisan, il a conscience de ce qui fondamentalement différencie l’artisan de l’artiste. L’artisan sait déjà dès le début de son travail où, vers quoi celui-ci le mènera. L’objet est en quelque sorte programmé. alors que dans l’art l’artiste ne sait pas quel sera le résultat de son acte créateur. Heidegger rappelle que chez les Grecs anciens la déesse Athèna “règne partout où les hommes produisent quelque chose, la mènent à bonne fin, mettent en oeuvre, agissent et font” et est appelée “polymitis”, la conseillère aux multiples ressources31 .Et le philosophe de préciser d’une manière qui s’applique à l’acte de peindre de Soulages : “L’art est technè, mais non pas technique. L’artiste est technitès, mais pas plus technicien qu’artisan. Parce que l’art, comme technè, repose dans un savoir, parce qu’un tel savoir est un regard préalable dans ce qui montre la forme et donne la mesure, mais qui est encore l’invisible, et qui doit d’abord être porté dans la visibilité et la perceptibilité de l’oeuvre, pour ces raisons un tel regard préalable dans ce qui jusqu’ici n’a pas encore été donné à voir requiert singulièrement la vision et la clarté. Ce regard préalable qui porte l’art a besoin de l’illumination”32 . Illumination! Le noir illuminé, le rythme illuminé des toiles soulagiennes : à l’origine et à l’aboutissement. Et dans l’entre-deux, l’acharnée quête, par tous les moyens techniques, de la précision : “Ce n’est pas assez précis”, répète-t-il dans le processus de fabrication des vitraux de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques.
S’il est vrai que Soulages ne sait pas ce qui sortira de son face à face avec la toile, s’il professe qu’ “il y a à la base [de l’oeuvre d’art] une impulsion que je ne connais pas”33 , il sait qu’il a un désir34 , le désir que quelque chose se passe, advienne. Il est comme le poète de Malévitch qui ignore encore “quelle tempête en son intérieur surgit et disparaît, de quel rythme de quel tempo elle sera”, quel “sublime incendie” s’embrasera dans l’acte35 . Peindre est pour Soulages “une expérience poétique qui s’échafaude à mesure de la construction de la toile”36 . Il a relevé dans les Essais de Montaigne le récit que fait l’auteur des effets inattendus de Dame Fortune dans les actes humains, citant le cas particulier du peintre Protegenes qui, n’arrivant pas à représenter l’écume et la bave d’un chien las et recru, “despité contre sa besongne, prit son esponge, et, comme elle estoit abreuvée de diverses peintures, la jetta contre, pour tout effacer : la fortune porta tout à propos le coup à l’endroit de la bouche du chien, et y parfournit ce à quoy l’art n’avait peu attaindre”37 .
L’ “exploitation du hasard comme facteur positif de la création artistique”38 , qui a toujours existé, a été particulièrement féconde au XX siècle. L’histoire de l’art est pleine d’anecdotes sur l’effet de hasard. Soulages a la sienne : une éclaboussure de goudron qu’il voyait de sa chambre d’enfant de douze-treize ans sur le mur d’en face : “cette belle tache avait une partie calme, lisse, pleine de noblesse qui se liait avec naturel à d’autres parties accidentées où les irrégularités de la matière faisaient une sorte de houle qui dynamisait sa forme […] J’y lisais la viscosité, la transparence et l’opacité du goudron, la force de la projection, les coulures dues à la verticalité du mur, et à la pesanteur. J’aimais l’autorité de ce noir et sa pauvreté de salissure, alliées à la force de la pesanteur, soumises au grain de la pierre qui rappelait elle-même le plissement géologique auquel elle avait appartenu”39 . Or voici que cette tache lui apparaît un jour comme ayant une forme, celle d’un coq, “un coq dressé sur ses ergots, d’une vérité ahurissante. tout y était, le bec, la crête, les plumes”40 . Ce phénomène qui tantôt apparaissait tantôt disparaissait provoqua une déception chez l’enfant Soulages qui chercha à plusieurs reprises de se débarrasser de cette figuration pour pouvoir retrouver la force et la vérité de la tache à l’état brut. Ce récit nous fait comprendre que le peintre est resté fidèle à cette première émotion provoquée par une chose qui n’avait d’autre réalité que celle d’exister en tant que chose, en tant que matière. Et au contraire de Léonard de Vinci qui imaginait des scènes en regardant des murs41, Soulages trouva dans son expérience de la beauté brute, telle quelle, accidentelle ou non, contemporaine ou venue des siècles les plus reculés, sans autre sens que celui que provoque sa texture, le vecteur principal de sa poétique picturale, créatrice de lieux où les significations viennent se faire et se défaire. Il rejoint, pour le moins conceptuellement, Malévitch qui déclarait en 1915 futuristiquement : “Au bloc de marbre n’est pas propre la forme humaine. Michel-Ange en sculptant David a fait violence au marbre, a mutilé un morceau de magnifique pierre. Il n’y a pas eu de marbre. Il y a eu David.
Et il se trompait profondément s’il disait qu’il a fait sortir David du marbre. Le marbre gâché était souillé dès le début par la pensée de Michel-Ange sur David, pensée qu’il a insérée dans la pierre et ensuite libérée comme une écharde d’un corps étranger. Il faut déduire du marbre les formes qui découleraient de son propre corps et un cube taillé ou une autre forme est plus précieuse que n’importe quel David.
C’est la même chose en peinture, en littérature, en musique.”42 .
Malévitch a déblayé le terrain pour des générations de peintres lorsqu’il a créé son monochrome noir entouré de blanc, le Quadrangle, en 1915. Il a fait apparaître le monde sans-objet (bespedmietny mir), le seul réel, par un acte conceptuel et pictural d’éclipse totale de toute figuration et, dans le même temps, par la manifestation visible de l’absence d’objets. S’il y a bien chez Soulages bien des convergences avec l’acte fondateur de Malévitch, il n’en reste pas moins que sa démarche picturale est foncièrement autre et nouvelle.
Certes, il y a chez Soulages, comme chez le Malévitch suprématiste, un refus de la figuration, de la reproduction mimétique du monde visible, de toute représentation, de toute symbolique culturelle (encore qu’ici les deux artistes ne puissent échapper aux herméneutiques qu’ils alimentent d’ailleurs par leurs propos et écrits). Mais Soulages pense que les figures géométriques sont une forme de représentation et il répugnera à peindre par figure43 .
D’autre part, l’icône, qui est le substrat essentiel, le filigrane de la mémoire plastique de Malévitch, ne l’est pas pour Soulages qui n’a jamais voulu transformer un tableau en icône. Si, pour Malévitch, la toile est encore”une fenêtre à travers laquelle nous découvrons la vie”44 , c’est-à-dire l’infini du sans-objet, pour Soulages elle s’apparente au mur, un mur sans fenêtre45 . Le caractère mural des polyptyques des années 1990 est encore souligné par la façon dont, dans les expositions de son oeuvre, l’artiste en installe certains à la verticale créant des espaces de “respiration” et de “déambulation”.
La série des “Noirs sur noir”, que Rodtchenko oppose, de façon polémique, aux “Blancs sur blanc” de Malévitch à Moscou en 1919, ne peut être considérée comme ancêtre des toiles noires-lumière de Soulages. Certes, Rodtchenko s’appuie sur des phrases, comme celle de Kroutchonykh, qui pourrait s’appliquer au peintre français : “Les couleurs s’en vont – tout se mélange au noir”46 , mais aussi sur des postulats nihilistes stirnériens : le rien et la mort sont ce sur quoi le “moi” dévorant existe, – ce qui est aux antipodes de l’être même de Soulages-homme et de Soulages-peintre. D’ailleurs, en 1921, lors de la naissance effective du “Constructivisme russe”, Rodtchenko “proclame pour la première fois les trois couleurs fondamentales de l’art”47 , trois monochromes – rouge pur, jaune pur, bleu pur48 . L’on sait que Soulages s’est défendu de peindre des monochromes : “Mes peintures n’ont rien à voir avec le monochrome. Depuis 1979 […] mon instrument n’est pas le noir – ce qui entraîne une foule de conséquences sur le champ mental de celui qui regarde. Si l’on trouve que ces peintures sont seulement noires, c’est qu’on ne les regarde pas avec les yeux, mais avec ce que l’on a dans la tête”49
Soulages a été attiré dès le début par les qualités physiques et matérielles, comme l’a noté Sweeney50 . Cette démarche serait plus proche de l’ “abstraction concrète” de Tatline qui prenait pour ses reliefs de 1914-1915 des matériaux bruts, des planches de palissade, des métaux, des fragments d’objets fabriqués, du verre, utilisait le plâtre, le ripolin et le goudron51 . “J’aime la terre, dit Soulages, les métaux rouillés, la matière quand elle change de matière. Plus exactement le temps piégé dans la matière : le fer qui n’est plus fer et qui n’est pas encore rouillé. Je n’aime pas le cristal, mais les choses qui vivent”52 . Notons que chez Soulages il n’y a aucune hybridité dans le produit qui sort de son acte artistique.Alors que Tatline a proposé des objets nouveaux qui tiennent à la fois de la peinture, de la sculpture et de l’architecture, sans appartenir à aucun de ces arts en particulier, Soulages est sans la moindre ambiguïté un peintre qui peint des tableaux, qui fait triompher le pictural sur des toiles. Et si l’on peut dire qu’il bâtit ses toiles comme un architecte (Georges Duby a comparé le façonnage par l’artiste de ses peintures à l’ “ouvrage cistercien”53), il s’agit d’une analogie poétique, laquelle, selon André Breton, “a ceci de commun avec l’analogie mystique qu’elle transgresse les lois de la déduction pour faire appréhender à l’esprit l’interdépendance de deux objets de pensée situés sur des plans différents, entre lesquels le fonctionnement logique de l’esprit n’est apte à jeter aucun pont et s’oppose a priori à ce que tout espèce de pont soit jeté”54 . On pourrait autant penser que Soulages fonctionne en tant que peintre comme un tonnelier ou un charpentier, acteurs de ces métiers qu’il a observés dans son enfance rodézienne et qu’il aime évoquer en rappelant que le tonnelier emploie de multiples outils pour fabriquer un tonneau alors que le charpentier n’en a besoin que de trois55 .
De la fin des années 1940 aux années 1980, ses toiles ont pu exiger plusieurs outils; dans les années 1990 “une toile est souvent le résultat d’un ou deux outils seulement; outils ‘taillés’ pour la toile en question”56. Les toiles d’avant 1979 sont de véritables échafaudages et armatures picturaux, les brosses de l’artiste ont inventé tout un système de lattes et de douves qui forment un corps pictural, une ossature d’une robustesse inconnue ailleurs dans les formes d’ abstraction existantes au XX siècle. L’artiste a assez dit que son geste impérieux, vigoureux, décisif, de poser la matière picturale sur la toile n’avait rien à voir avec ce qu’on appelle “la peinture gestuelle”. Ce n’est pas par une gesticulation corporelle qu’il obtient ce vers quoi il est en quête dans l’acte, mais par le rythme de la main qui trace des chemins, des lignes, des traits, continus ou syncopés, enchevêtrés ou harmonisés. Dans certaines oeuvres on trouve une convergence formelle avec les idéogrammes chinois ou japonais, à cause du caractère calligraphique du tracement des formes et de l’utilisation du noir et du blanc. Mais de toute évidence, il n’y a là qu’une coïncidence car les oeuvres les plus calligraphiques de Soulages ne comportent jamais de signes qui renverraient à une quelconque sémiologie ou sémantique57 . Elles font apparaître de pures inscriptions rythmiques. L’artiste n’a jamais cherché à jouer à l’Oriental bien que ce fût à la mode en Europe comme aux Amériques dans la seconde moitié du XX siècle58 .
Tout ce qui vient d’être dit pourrait faire croire que la peinture de Soulages “pouvait se réduire à sa matérialité”, ce que le peintre français a formellement dénié59 . Plusieurs critiques ont constaté les énergies métaphysiques qui émanent des toiles de Soulages. Georges Duby a parlé à propos de son oeuvre de “peinture cistercienne”60 et se réfère aux théologiens du dénuement et du retrait, Guillaume de Saint-Thierry et saint Bernard de Clairvaux61 . De toute évidence, le noir soulagien d’avant 1979, comme son “outrenoir” des années 1980-1990 que l’on peut considérer comme un excès de noir, un débordement du noir dans la lumière, ont une puissance que l’on pourrait dire mystique, ce qui coïncide, sans s’y identifier, avec les expériences spirituelles des ténèbres inexpugnables du divin chez les mystiques de l’Orient comme de l’Occident. “Mystique”ne veut pas dire “religieux” au sens d’une religion donnée, mais une saisie immédiate, sans l’intermédiaire de l’image ou du langage de l’être du monde, de son rythme. Bernard Ceysson a été un des premiers à déceler les fortes charges de spiritualité qui se dégagent des textures complexes de la peinture soulagienne : “La dérive poétique des mystiques pour restituer l’éblouissement de l’extase, recourt abondamment aux images où ténèbres et lumière fusionnent, l’opacité des premières nourrissant l’éclat et la transparence de la seconde : “Les mystères élémentaires, absolus, incorruptibles de la Science de Dieu, se révèlent dans la ténèbres lumineuse” (Denys l’Aréopagite), “Tu t’élèveras dans une pure extase jusqu’au rayon ténébreux de la divine suressence” (Pseudo-Denys), “La clarté de cette divine et obscure lumière” (Saint Jean de la Croix)”62 . Sans être religieux stricto sensu, Soulages a le sens du sacré et de la méditation comme en témoigne son chef-d’oeuvre, à tous les sens du terme, qu’est l’ensemble des vitraux pour l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, pour lesquels il a inventé, après plusieurs années de recherche, un verre qui permet de diffuser une lumière en harmonie avec les voûtes, les colonnes, les allées, les croisements de l’architecture romane. Laissons à ce sujet parler l’artiste : “Je voulais un verre blanc qui ne soit pas transparent mais translucide, traversé par la lumière mais opaque au regard; je souhaitai une certaine intériorité de la lumière. Je voulais aussi faire de ce lieu un lieu clos où le regard ne soit pas attiré, distrait par le spectacle extérieur; je voulais que les qualités propres à l’identité du bâtiment soient mises en évidence […] Le verre enfin obtenu n’est pas un simple transmetteur de la lumière, il la capte, la diffuse et devient alors lui-même émetteur de clarté, d’une clarté intimement liée aux variations d’intensité et de couleur de la lumière naturelle. Ces vitraux par moments sont bleus […] A d’autres heures ils sont plus chauds, quelquefois roses, quelquefois jaunes, cela varie avec la course du soleil […] Si j’ai ainsi travaillé la lumière, ce n’est pas par lubie d’artiste, mais l’importance du jeu de la lumière dans ce bâtiment est inscrite dans ses mesures et ses proportions mêmes”63.
La lumière est pour Soulages un matériau. C’est elle qui construit la toile, qui en organise le rythme. Dans les premières décennies de sa création, cette lumière, principalement sous forme du blanc, mais pas exclusivement, apparaissait dans les espaces troués du noir dominant. Le peintre nous a dit qu’il a joué du noir et du blanc pour des raisons formelles de contraste. En fait, les toiles de cette époque, avant 1979, et celles qui sont nées parallèlement au noir-lumière, timidement à partir de la toile du 25 février 1996 et de façon affirmée à partir de celle du 10 mai 1999, déroulent une poétique picturale de la lumière qui traverse le mur noir, lumière essentielle qui, pareillement au foyer brûlant de l’allégorie de la Caverne dans La République de Platon, éclaire la réalité de dos. Au noir-lumière s’oppose le blanc-lumière en espaces parfois larges, parfois réduits à des interstices scintillants. Les jeux de la lumière et de l’obscurité n’ont rien à voir ici avec le clair-obscur traditionnel qui participe plutôt d’une mise en scène du sujet. Chez Soulages, aucune théâtralité mais la révélation d’un pur rythme illuminé.
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J’ai commencé mon essai par une comparaison de la morphologie physique du peintre et de sa peinture. Oui, Soulages est un colosse de la peinture. “C’ est le propre des grands hommes d’être de la stature des grandes choses”, dit quelque part Victor Hugo. Au physique, il y a quelque chose de lui qui l’apparente à Nicolas de Staël, mais en plus rude (il y a du rugbyman dans Soulages; le baron Nikolaï Staël von Holstein a été, lui, un adepte du football…). Plus proche, peut-être, physiquement – Maïakovski, à la puissante stature, un mélange de brutale franchise, de vitalité, d’énergie impérieuse, et de délicatesse, de sens de l’amitié, de pudeur.
La peinture de Soulages, elle, ne s’apparente à rien. Il y a, bien entendu des amers (au sens de Saint-John Perse, un des poètes aimés par le peintre) qui, de loin en loin, signalent quelque rivage connu devant la pure jubilation-illumination du rythme toujours le même et toujours recommencé.
Ce n’est pas du côté des Russes (Malévitch, Rodtchenko), ni du côté des Américains (Rothko, Newman, Reinhardt, Motherwell, Kline) que l’on trouverait des affinités aux jeux soulagiens des noirs (opaques ou lumineux), des blancs, des bleus, des rouges, des marrons, mais du côté des Espagnols (surtout Zurbaran, Vélasquez et Goya), d’un Hollandais comme Franz Hals64 et chez ceux des Français qui ont justement quelque chose à voir avec les Espagnols – Courbet65 , surtout Manet dont on pourrait dire que Soulages a quintessencié les rapports colorés noir-blanc, noir-rouge, noir-bleu, noir-brun, pour finalement ne retenir que le noir velouté, le noir-lumière, comme il a quintessencié sur ces toiles les striages musicaux de la sculpture romane et leurs jeux d’ombre et de lumière.
Merleau-Ponty a bien décrit la situation de l’art et de l’artiste, héritiers de siècles de création. Cela s’applique parfaitement à la situation de Soulages : “Si nulle peinture n’achève la peinture, si même nulle oeuvre ne s’achève absolument, chaque création change, altère, éclaire, approfondit, confirme, exalte, recrée ou crée d’avance toutes les autres. Si les créations ne sont pas un acquis, ce n’est pas seulement que, comme toutes choses, elles passent, c’est aussi qu’elles ont presque toutes leur vie devant elles”66 .
La première exergue de ce texte est celle de la Sulamite du Cantique des Cantiques qui dit aux filles de Jérusalem qu’ “elle est noire et belle à voir”. Comme une toile de Soulages. Et ici je songe à une réflexion de Pierre Daix citant un autre grand Occitan, Ingres, pour qui “le meilleur moyen de posséder une femme, c’est de la peindre”. Soulages “manifeste la même volonté de conquête”67, conquête de la peinture elle-même, conquête de la toile.
1)“ Ferai un vers de rien[…]
Ai fait ces vers, ne sais de quoi”, Guillaume IX d’Aquitaine, comte de Poitiers
2)“pour toute la beauté
jamais ne me perdrai
sinon pour un je ne sais quoi
qu’on saisit d’aventure”, San Juan de la Cruz,Obra poetica seguida de fragmentos de sus declaraciones, Barcelone, Montanery Simon, 1942, p. 31
3)K. Malévitch,Le Suprématisme 34 dessins [1920] in : K.Malévitch, Ecrits I. de Cézanne au Suprématisme, Lausanne, L’Age d’Homme, 1993, p. 121
4)K. Malévitch, Du Cubisme au Suprématisme en art, au nouveau réalisme de la peinture en tant que création absolue [1915], in : Ecrits I. de Cézanne au Suprématisme, op. cit., p. 38
(5)Cf. Jean Grenier, Entretiens avec dix-sept peintres non figuratifs, Paris, Calmann-Lévy, 1963, p. 178 : “C’est bien d’une fidélité qu’il s’agit, mais ni à un pays ni à un milieu, seulement à des goûts qui s’y sont formés. Il ne faut pas confondre le pays
6)Cf. Bernard Ceysson, “Entretien avec Soulages”, in : Soulages, Paris, Flammarion, 1979, p. 82
7)Merleau-Ponty, L’Oeil et l’’Esprit [1960], Paris, Gallimard- folio, 1986, p. 67
8)Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens, Paris, Nagel, 1948, cité ici d’après le catalogue Cézanne dans les musées nationaux, Paris, Musées Nationaux, 1974, p. 18
9)James Johnson Sweeney, “Pierre Soulages” [1973], in : Pierre Daix, James Johnson Sweeney, Pierre Soulages. L’oeuvre 1947-1990, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1991, p. 28
10)Jean Grenier, “Entretien avec Soulages”, op.cit., p. 178
11)James Johnson Sweeney, “Soulages”, op.cit., p. 27
12)Sur Conques, son abbatiale, ses paysages, les vitraux de Soulages, voir le beau livre : Marie Renoue, Renaud Dengreville, Conques moyenâgeuse mystique contemporaine, Rodez, éditions du Rouergue, 1997
13)James Johnson Sweeney, “Soulages”, op.cit., p. 27
14)Jean Leymarie, “Préface” du catalogue Gravures de Soulages, Ljubljana, Moderna Galerija, 1961
15)Bernard Dorival, Soulages, Paris, Musée National d’Art Moderne, 1967
16)James Johnson Sweeney, “Soulages”, op.cit., p. 27
17)Bernard Ceysson, “Entretien avec Soulages”, op.cit., p. 89
18)Henri Meschonnic commente de façon pertinente ce vers du troubadour occitan :” ‘Farai un vers de dreyt nien’[Je ferai un vers de rien]. Le ‘pur rien’ du projet ne signifie pas une réalité du néant, mais le refus des thèmes. L’aventure de l’art elle-même. du poème lui-même”, “Pierre Soulages l’imprévisible”, in catalogue Soulages, Toulouse, les Abattoirs, 2000, p. 33
19)Merleau-Ponty, L’Oeil et l’Esprit [1960], op.cit., p. 92
20)Michel Ragon, Les Ateliers de Soulages, Paris, Albin Michel, 1990, p. 29
21)Diane Daval “Entretien avec Pierre Soulages dans son atelier parisien”, Voir, 1990, N° 5, p. 22-23, cité ici d’après : Dan McEnroe, Les outils et le matériel dans la peinture de Soulages, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, Université de Paris IV Sorbonne, 1991, p. 87
22)“La soie de porc est relativement rigide et nerveuse; le poil de martre est fin et souple; et celui de chèvre souple, plutôt adapté à l’encre, mais employé par Soulages pour dépoussiérer les surfaces, non pour peindre”, Dan McEnroe, Ibidem, p. 156
23)Cf.France Huser, “La neige était noire”, Le Nouvel Observateur, 12 mai 1981
24)Dan McEnroe, Les outils et le matériel dans la peinture de Soulages, op.cit., p. 158. L’auteur donne des photographies commentées des différents outils de Soulages p. 146-159
25)Ibidem, p. 113
26)Voir : Michel Ragon, Les Ateliers de Soulages, op.cit., p. 115-122
27)Pierre Daix, James Johnson Sweeney,Pierre Soulages. L’oeuvre 1947-1990, op.cit., p.11
28)“A ses débuts, Soulages avait peint sur des draps ou des chiffons ou toiles de jute – des surfaces bon marché et facilement disponibles – mais l’intention de voir durer ses oeuvres l’aurait rapidement conduit à un choix plus traditionnel – la toile de lin” Dan McEnroe, Les outils et le matériel dans la peinture de Soulages, op.cit., p. 59
29)Heidegger, “La provenance de l’art et la destination de la pensée. Conférence tenue le 4 avril 1967 à ‘Académie des Sciences et des Arts d’Athènes”, in : Martin Heidegger, Paris, L’Herne, 1983, p. 85
30)Heidegger, Ibidem
31)Ibidem
32)“Soulages”, in : ces peintres vous parlent (par les soins de louis goldaine et pierre astier), Paris, le temps, 1964, p. 170
33)“Comme mon travail n’est jamais organisé rationnellement et que c’est de désir en désir, et aussi par l’attention que je porte à ce qui peut arriver fortuitement que l’évolution se fait, il est difficile de trouver un fil conducteur qui en rendrait compte”, in : Jean-Louis Andral, “Peinture, chose concrète”, Connaissance des arts, avril 1996
34)K. Malévitch, “De la poésie”[1918] in : Ecrits II. Le Miroir suprématiste, Lausanne, L’Age d’Homme, 1993, p. 77
35)ces peintres qui parlent, op.cit., p. 168
36)Montaigne, Essais, Livre I, ch. XXXIV
37)Cf. Philippe Junod, Transparence et opacité. Essai sur les fondements théoriques de l’art moderne, Lausanne, L’Age d’Homme, 1976, p. 247 : la question du hasard en art est bien posé dans ce livre, passim.
38)Bernard Ceysson, “Entretien avec Soulages”, op.cit., p. 84
39)Ibidem
40)“Si tu regardes des murs souillés de beaucoup de taches, ou faits de pierres multicolores, avec l’idée d’imaginer quelque scène, tu y trouveras l’analogie de paysages au décor de montagnes, rivières, rochers, arbres, plaines, larges vallées et collines de toute sorte. tu pourras y voir aussi des batailles et des figures aux gestes vifs et d’étranges visages et costumes et une infinité de choses, que tu pourras ramener à une forme nette et compléter”, Léonard de Vinci, Traité de la peinture (traduction et présentation d’André Chastel), Paris, Berger-Levrault, 1987, p. 332. La peinture du peintre odessite Philippe Hossiason, qui fut par ailleurs un ami de Soulages, correspond à ce programme.
41)K. Malévitch, Du Cubisme au Suprématisme en art, au nouveau réalisme de la peinture en tant que création absolue [1915], op.cit., p. 43
42)Larionov, polémiquant violemment avec Malévitch et ne voulant pas voir les enjeux du Quadrangle noir, s’exclamera : “Le carré[…] est une forme académique tirée d’un manuel scolaire.Le carré est un objet et une forme”, in : K. Malévitch, EcritsI.De Cézanne au Suprématisme, op.cit., p. 72, notes 76, 77
43)K. Malévitch, Le Suprématisme, 34 dessin [1920], in : Ecrits I. De Cézanne au Suprématisme, op.cit., p. 120. Malévitch ajoute : “La toile suprématiste représente l’espace blanc et non l’espace bleu […] L’infini suprématiste blanc permet aux rayons de la vue d’avancer sans rencontrer de limite”.
44) A. Rodtchenko, “Le système de Rodtchenko” [1919], in : K. Malévitch, Ecrits II. 45)Le Miroir suprématiste, op.cit., p. 166Cf. Georges Duby, “Soulages, le temps, l’espace, la mémoire”, in catalogue Soulages, Lyon, Musée Saint-Pierre, 1987
46)Cf. Gérard Conio, Le constructivisme russe, Lausanne, L’Age d’Homme, 1987, t. I, p. 387
47)Voir : Jean-Claude Marcadé, “De Malévitch à Rodtchenko : les premiers monochromes du XX siècle (1915-1921)”, in : La couleur seule, Ville de Lyon, 1988, p. 63-67
48)Pierre Encrevé, “Les éclats du noir”, in : Pierre Soulages, hors-série Beaux-Arts Magazine, Paris, mars 1996
49)James Johnson Sweeney, “Soulages”, op.cit., p. 29
50)James Johnson Sweeney, “Soulages”, op.cit., p. 29
51)“Soulages”, in : ces peintres qui vous parlent, op. cit., p. 168
52)Georges Duby, “Soulages”, op.cit., p. 108: “Mise en ordre de l’espace, une telle architecture [cistercienne] ordonne aussi le parcours du temps […] Méditation sur les imperfections de l’homme, la vision cistercienne assigne un rôle, fondamental, à l’anxiété. Mais pour l’introduire dans un ensemble ordonné. Pour le gouverner, dans le dépouillement et l’humilité. Pour la dominer.
Le propos de Soulages n’est-il pas, semblablement, d’endiguer? Il a bâti sa propre maison sur une trame d’harmonies numériques et dans la pureté de matériaux dont les tonalités dominantes sont le noir, le blanc, le gris.Cette demeure érige les rigueurs de ses structures devant la mobilité de l’horizon marin et la perpétuelle agitation des ramures. Un asile, mais que pénètre le mouvement du monde, encadré”, p. 107, 109-110
53)André Breton, Signe ascendant, Paris, Gallimard-poésie, 1975
54)Une autre “analogie poétique”, celle du peintre en tant que jardinier : “Pierre Soulages fait remarquer que l’on ne peut exécuter, par exemple, le tracé d’une ellipse avec un compas, alors qu’il suffit au jardinier de son cordeau pour le faire, en constituant avec les piquets et la corde une équerre continûment variable”, Gilbert Dupuis, “Une particularité physionomique”, in : Une oeuvre de Pierre Soulages, op.cit., p. 25-26
55)Dan McEnroe, Les outils et le matériel dans la peinture de Soulages, op.cit., p. 89. L’auteur donne l’exemple de la toile Peinture 222 x 157 cm, 19 février 1991, “entièrement issue de trois traits tracés par un bâton de bois industriel censé servir comme interstice pour un polyptyque pas encore monté”
56)Ce que l’on appelle abusivement et confusément calligraphie chez Paul Klee, Arp, Braque, Miro, Mathieu, Hartung, etc. n’est rien d’autre qu’un emprunt parmi d’autres à une pratique extrême-orientale dont sont méconnues les nécessités organiques. L’écrivain René Étiemble a bien montré l’abus dans la critique d’art des références à l’écriture idéogrammatique, lorsqu’elle parle de l’art occidental, cf. Étiemble, “Calligraphie orientale et calligraphie occidentale”, Art de France, 2, 1962, p. 347-356
57)Voir à ce sujet : Bernard Ceysson, “Entretien avec Soulages”, op.cit., p. 76-81
58)“Ni image, ni langage. C’est ainsi que très tôt j’ai jamais pensé la peinture – mais je n’ai jamais pensé cependant que la peinture pouvait se réduire à sa matérialité” [1973], cité ici d’après le catalogue Soulages, Toulouse, les Abattoirs, 2000, p. 97
59)Georges Duby, “Soulages”, op.cit., p. 96
60)“Car bien évidemment, ce qui dans l’intention de Bernard de Clairvaux et des bâtisseurs cisterciens, me semble devoir éclairer le dessein de Soulages ne relève pas d’une adhésion à tel ou tel corps de croyances non plus que du choix d’une certaine façon de mener sa vie, mais s’enracine beaucoup plus profondément, dans l’attitude de l’homme à l’égard de son ouvrage et des relations de celui-ci à la réalité, c’est-à-dire au mystère du monde”, Ibidem,p. 97
61)Bernard Ceysson, Soulages, op.cit., p. 18-25
62)“Entretien public de Pierre Soulages”, in : Une oeuvre de Pierre Soulages, op. cit., p. 40-41
63)Voir Michel Ragon, Les Ateliers de Soulages, op.cit., p. 105-111. L’auteur cite Elie Faure à propos de la dernière période de l’oeuvre de Hals : “Tout à coup on voit sa palette non s’assombrir (elle garde son éclat limpide, sa transparence, sa franchise) mais supprimer toutes les notes intermédiaires du clavier, ramener au blanc, au noir, tous deux infinis de nuances, de timbres, de sonorités, tout le répertoire expressif des couleurs de la nature”. La même constatation pourrait être faite à propos du tournant qu’a pris la création de Soulages après 1979
64)C’est Georges Duby qui a insisté sur les correspondances entre l’oeuvre de Soulages et celle de Courbet, en particulier dans L’enterrement à Ornans, cf. “Soulages”, Cahiers du Musée National d’Art Moderne, 1980, N° 3; repris dans : Une oeuvre de Pierre Soulages, op.cit., p. 95-113
65)Merleau-Ponty, L’Oeil et l’Esprit [1960], op.cit., p. 92-93
66)Pierre Daix, “Soulages 1979 : un nouveau ‘principe’ de la peinture”, in : Pierre Daix, James Johnson Sweeney, Soulages. L’oeuvre 1947-1990, op.cit., p. 15