Oleksa Hrychtchenko (Alexeï Grichtchenko, Alexis Gritchenko) ,1967
Oleksa Hrychtchenko (Alexeï Grichtchenko, Alexis Gritchenko)
<La collection d’Ivan Morozov>[1]
Avant mon voyage à Paris, j’avais entendu parler de la collection d’Ivan Morozov située rue Pretchistenka. Aussi, en retournant à Moscou, je me suis rappelé de cette collection et un dimanche avec la carte d’Apollinariï Vasnetsov, je sonnai à la porte d’une belle bâtisse où le riche mécène me reçut avec bienveillance, comme s’il me connaissait depuis des dizaines d’années. Ce qui m’étonna immédiatement dans cette collection, c’était le paysage de Cézanne que j’avais vu récemment chez Pellerin à Neuilly. « Comment cela se fait, demandai-je ?
– En vérité je l’ai acheté chez Pellerin et je viens de l’amener de Paris, me raconta Morozov satisfait. »
La collection Morozov n’était pas ordinaire. Toute une salle avec des Bonnard, à droite et à gauche de la porte, deux statues grandeur nature de Maillol, tout un ensemble de compositions de Maurice Denis de la vie de Sainte Ursule [Sic!!!]. Ces œuvres peintes sur toiles furent collées au mur et ressemblaient à des fresques décoratives de couleur claire. J’ai rencontré Denis plusieurs fois à la galerie Druet où j’ai exposé pendant une dizaine d’années. Encore une peinture remarquable de Matisse. Le tableau entièrement bleu sur un fond outremer avec une jeune Marocaine dans un habit vert rendait toute la chaleur et le caractère mystérieux du Maroc.
« Parfois, me racontait Morozov, il arrive que j’achète toute l’exposition de la galerie Druet. Ce qui n’est pas à mon goût se trouve là, il ouvrit la porte des toilettes, je le mets en réserve ».
Dans les pièces en enfilade du rez-de-chaussée, n’étaient exposées, comme dans un magasin, que les œuvres des artistes russes. Nous nous arrêtâmes un instant, devant le portrait du propriétaire de la galerie peint par Konstantine Korovine. Voilà, me dit Morozov, qu’un groupe, tel la bohème artistique, arriva chez moi à 4 heures du matin. Konstantine comme en transe, fit mon portrait en deux heures. Il était le frère de Sergueï Korovine, membre du célèbre groupe des « 36 »[2]. Konstantine était davantage un Parisien. Après la révolution bolchevique, je l’ai rencontré pour la dernière fois à Paris à son exposition, rue Royale, où il exposait son Paris la nuit. Nous évoquâmes Moscou, Maïakovski, Brik. Korovine hocha sa tête grise et me dit : « Combien de gens a-t-il envoyé dans l’autre monde, ce terrible Brik ! [3] »
La collection Morozov était le contraire de celle de Chtchoukine. Tous les deux étaient de grands personnages, fabricants de textiles à Tvier. Et quelle merveille ! Tous les deux étaient attirés par l’art et quel art ! Et quel destin a connu Morozov lui-même et sa collection exceptionnelle ! Six ans plus tard, ce même Morozov m’invita cordialement dans sa petite chambre : « Les bolcheviques ont fait de moi un conservateur pour veiller à ma galerie, me raconta-t-il, la demeure, les tableaux, les antiquités, ne furent jamais leur propriété ». Cependant, ce qu’il avait vu et ce qui arrivait dans son entourage lui était insupportable. Un jour, il s’enfuit en Suisse en passant par la Finlande en laissant tout. Ce fut environ deux semaines après la discussion que j’ai évoquée. En Suisse, il maigrit énormément et mourut rapidement. Les experts parisiens de sa femme évaluèrent sa collection à des dizaines de millions.
Traduction de l’ukrainien de Jean Bergeron