Un chef-d’oeuvre absolu : « La Vierge en gloire » du Maître de Moulins, à Moulins
forum Marine d’Avel, écrivain
Passant par Moulins…
Ne demande jamais ton « chemin à quelqu’un qui le connaît, d i s a i t R a b b i Nachman de Bratslav, car tu pourrais ne pas t’égarer. » Nous n’avons demandé notre chemin, ni aux rares personnes qui le connaissaient, ni aux autres dont le nombre était considérable, et nous sommes passés par Moulins. Moulins, son beffroi, ses ruelles pavées et ses maisons de guingois, son abbatiale et son retable marial…
La Vierge du Maître de Moulins valait à elle seule non seulement un détour, mais qu’on traverse la France pour aller la contempler. Pour l’élégance de ses couleurs, pour la finesse des mains et pour le glacis de mystère qui émane du panneau central, elle bat à plate couture La Joconde . Mais la première se trouve à Moulins, tandis que la seconde est au Louvre. La première se mérite : une fois entrés dans la cathédrale, il faut trouver la salle latérale, dont la porte est ordinairement fermée, trouver les 3 € en petites pièces car le guide n’a pas de monnaie, supporter l’attente dans un vestibule étroit.
Le dernier des imbéciles qui ne saurait pas où se trouve la Joconde trouverait dans toutes les salles du Louvre une image de Mona Lisa en noir et blanc pour lui flécher le chemin, assortie d’interdictions de photographier ou de pickpocketter. Contempler le Triptyque de la Vierge en gloirecommence par un doux supplice : le commentaire du guide. Il nous apprend beaucoup de choses, ce guide zélé, on ne peut même pas lui en vouloir : il nous apprend que le panneau central du retable représente le couronnement de la Vierge par deux séraphins, tandis que le disque d’or sur laquelle elle se détache, ainsi que le croissant de lune à ses pieds s’inspirent d’une citation de l’Apocalypse, partiellement reprise sur un ruban tenu par les deux anges du bas : « Voici celle dont les Écritures saintes chantent l’éloge : enveloppée de soleil, ayant la lune sous ses pieds, elle a mérité d’être couronnée de douze étoiles. »
La Vierge présente au monde son fils : il s’échappe de son giron et esquisse avec désinvolture un geste de bénédiction. Les yeux mi-clos de sa mère enchâssent une intériorité silencieuse, en elle s’accomplissent l’ancienne et la nouvelle Alliances, ce que suggèrent les sept cercles d’un arc-en-ciel représenté dans la totalité. La ronde des douze chérubins, aux visages chafouins, pétris encore par le charme gracile de l’enfance, montent autour d’elle une garde de feu, une girandole de prière et de joie. Le guide évoque les deux donateurs à droite et à gauche du panneau central, mais on souhaiterait le silence. On voudrait rester là comme un arbre planté dans un champ qui voit s’incurver vers la terre la courbe de la Voie lactée, et descendre en gerbe dans les nuits d’été des incandescences d’étoiles filantes.
La Vierge à l’Enfant vient vers nous, comme un étrange vaisseau spatial, propulsée hors du temps et de la galaxie par le disque d’or eucharistique sur lequel son trône de gloire est suspendu. Les premiers jours de la Genèse qui virent la création des grands luminaires, les premières pages des Évangiles, qui narrent la naissance du Verbe, consonent avec les dernières pages de l’Apocalypse et le triomphe tranquille de la Jérusalem céleste. De la peinture jaillit la symphonie de la Parole, qui se déverse elle aussi vers les spectateurs, sous la forme d’invisibles météorites. Des bribes de prophéties ou de psaumes semblent choir du retable : « pour vous qui craignez mon Nom, le soleil de justice se lèvera, portant la guérison dans ses rayons » , ou encore « jusqu’aux cieux ta splendeur est chantée », et aussi : « à voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme que tu en prennes souci ».
C’est souvent quand on ne cherche plus qu’on trouve…
La Vierge à l’Enfant vient vers nous, comme un étrange vaisseau spatial, propulsée hors du temps et de la galaxie par le disque d’or eucharistique sur lequel son trône de gloire est suspendu.
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