Diaghilev et l’avant-garde russe
Diaghilev et l’avant-garde russe
Le fameux « Étonnez-moi ! » de Diaghilev à Cocteau représente-t-il, comme l’écrit Igor Markevitch (son dernier amour et découverte) « un caprice de blasé, parvenu du langage artistique »[1] ? Ou bien – et cela est plus vraisemblable- ne montre-t-il pas une caractéristique essentielle du génie de découvreur que fut celui de l’organisateur d’expositions, de concerts, de spectacles pionniers qui ont marqué tout le XIXe siècle ? Diaghilev était un résonateur des recherches esthétiques les plus novatrices de son époque et il s’est tout naturellement adressé aux peintres européens les plus originaux, faisant de ses spectacles le lieu d’expérimentation des tous les « ismes » de l’art. Et lui qui a eu l’ambition, depuis le début du XIXe siècle, de faire connaître au monde entier le renouveau artistique de son pays, la Russie, n’a pas manqué de faire appel à des représentants éminents de l’« art de gauche » russe et soviétique, ce que l’on a pris l’habitude d’appeler « l’avant-garde russe ». Ainsi les Européens purent se familiariser avec le primitivisme, le fauvisme, le cubofuturisme, le rayonnisme, l’orphisme et différentes formes du constructivisme.
Les décors et les costumes de Natalia Gontcharova pour l’opéra-ballet de Rimski-Korsakov Le coq d’or à Paris en mai 1914 marquent une rupture radicale avec l’esthétique antérieure des Ballets Russes dominée par l’art nouveau et le symbolisme. Avec Natalia Gontcharova, on assiste à la rutilance coloriste du primitivisme russe, imprégné de l’art des images populaires (les loubki), des icônes, du décorativisme propre à l’environnement d’une civilisation archaïque paysanne dominante, en particulier la chamarrure des étoffes. Sur cette structure de base venaient se greffer les principes plastiques les plus novateurs, cubofuturistes et rayonnistes, que l’artiste et son compagnon Larionov avaient montrés tout récemment à Moscou, Saint-Pétersbourg et Paris. Les rouges et les ors scintillent en une fête inconnue jusqu’alors de la palette picturale. À ce propos, Marina Tsvétaïéva a pu écrire :
« Le moment et le lieu sont venus de parler de Gontcharova en tant que passeur de l’Orient vers l’Occident – d’une peinture qui n’est pas seulement vieux-russe mais aussi chinoise, mongole, tibétaine, indienne. Et pas seulement de peinture. Notre époque prend volontiers ce qui est le plus antique et le plus reculé des mains d’un contemporain qui le renouvelle et le rapproche. »[2]
Le coq d’or inaugure la participation étroite de Gontcharova et de Larionov aux Ballets Russes jusqu’à la mort de Diaghilev en 1929.
Gontcharova exécuta une série de gouaches représentant essentiellement des sujets religieux, dans la pure tradition byzantine stylisée, pour le ballet sur musique de plain-chant, Liturgie, qui fut répété mais non réalisé en 1915.
Pour le ballet de Maurice Ravel Histoires naturelles en 1916, qui, lui non plus, ne fut pas réalisé, Larionov avait imaginé « des décors mouvants et des costumes mécaniques selon des formules plastiques manifestement futuristes. »[3]
Les scènes et danses russes du ballet Le soleil de minuit en 1915 permirent à Larionov de faire triompher ce néoprimitivisme par lequel il avait bouleversé, à partir de 1908, les données séculaires de l’art académique sur sol russe. Pour cette « fête du soleil », Larionov crée des costumes multicolores (à dominantes jaune, rouge, violette), la tête des personnages est ornée de fleurs fantastiques. Comme l’écrit Waldemar George :
« La vraisemblance est sacrifiée au rythme. Les gestes sont convulsifs. Les tons sont contrastés. D’immenses soleils sont peints sur les blouses bariolées des danseurs. Tous les rapports d’échelle sont modifiés. »[4]
Dans Les contes russes en 1917, c’est toujours la vieille Russie qui apparaît dans une synthèse d’archaïsme et de modernité, avec son alternance du burlesque et du magique. Le Méridional Larionov peut ici se laisser aller à son humour débridé en créant des êtres mi-humains mi-animaux à partir des personnages du folklore russe (la méchante Kikimora, le preux Bova Koroliévitch, la sorcière Baba-Yaga) ou ukrainien (le jeu de Noël koliadka). Pour les décors, l’artiste « avait peint les herbes aquatiques, les fleurs écarlates trempées dans le brouillard, l’isba éclairée par le demi-jour vert de la forêt où se déroulaient les histoires à faire peur. » [5]
Diaghilev poursuit la plongée dans les rutilements colorés du monde slave en confiant à Sonia Delaunay en 1918 les costumes du ballet Cléopâtre, qui avait été monté en 1909 dans des décors et des costumes de Bakst qui périrent par le feu en 1917. Les décors étaient de Robert Delaunay. Ainsi, c’est l’orphisme qui se matérialisa sur la scène. C’est aussi le prisme coloré ukrainien de Sonia Delaunay qui trouva là une expression étincelante avec le jeu des rayures et des cercles solaires. L’artiste a raconté comment elle voyait le personnage de Cléopâtre « apparaître comme une momie dont on déroulait au fur et à mesure les bandelettes. Celles-ci étaient toutes différentes les unes des autres […] Quand la momie était entièrement dépouillée, les projecteurs illuminaient la reine en costume solaire : des disques armant les seins, des cercles concentriques de toutes les couleurs et sertis de perles, rayonnant somptueusement autour du nombril du monde. Ces disques figurent sur un sarcophage du Louvre. »[6]
En 1921, Le bouffon (Chout), légende russe sur une musique de Prokofiev, dans la chorégraphie, les décors et les costumes de Larionov, fut un échec. Le décor mettait simultanément sur le même plan la fenêtre donnant sur le Nord, la porte qui menait au Sud, les murs de l’Est et de l’Ouest. Les costumes étaient en papier, toile cirée et carton. C’était le triomphe du cubofuturisme russe sur une structure de base néoprimitiviste. Waldemar George, qui a vu cette représentation, témoigne :
« Le bouffon (Chout) est un spectacle d’une verve étourdissante. Il allie à l’esprit d’innocence l’esprit de dérision. Des hypothèses de mathématicien, de géomètre sensible et de jongleur y affrontent les excès d’une imagination poétique délirante. »[7]
C’est encore à un représentant russe de l’avant-garde, Léopold Survage (Stürzwage), que Diaghilev s’adresse pour les décors et les costumes de l’opéra-bouffe de Stravinsky Mavra en 1922. Le peintre, qui avait été un des pionniers de l’abstraction avec ses Rythmes colorés à Paris en 1913, avait par la suite inventé une forme originale issue du cubisme qu’il définit ainsi : « Plusieurs formes géométriques simples, enchâssées les unes dans les autres, liées par un centre général, constituent pour l’œil un ensemble organique et centralisé, capable de suggérer la profondeur, sans creuser la surface plane à traiter, sans imiter le raccourci des objets par la perspective ordinaire. »[8]
À partir de 1922, Larionov et Gontcharova vont dépouiller leurs mises en scène des chatoyances orientales avec leur cubofuturisme rayonniste et primitiviste. À partir du ballet-bouffe Le renard (en réalité « la renarde ») , dans les décors et costumes de Larionov, on peut parler d’une émergence d’un certain « constructivisme ». Certes, Larionov, comme Yakoulov, a pu dire que les décors « construits » sur les scènes russes privées existaient depuis environ 1910 ; d’autre part, avant le constructivisme théâtral systématisé par Lioubov Popova et Varvara Stépanova en 1922 au théâtre de Meyerhold, il y avait eu, dès 1916, au Théâtre de Chambre de Taïrov, les décors construits d’Alexandra Exter, de Yakoulov, d’Alexandre Vesnine. En tout cas Le renard a connu deux versions, celle de 1922 et celle de 1929. La première est plus traditionnelle, dans le style du vertep ukrainien ; la seconde marque un pas vers une différenciation des personnages très sommaire (inscription de leur nom brodée sur leurs maillots), comme dans le théâtre médiéval ou élisabéthain. Danseurs et gymnastes se meuvent au milieu de trapèzes, de tréteaux et de plans inclinés. Écoutons Larionov : « Le perchoir sur lequel le coq était juché en 1922, s’élargit en 1929 aux proportions d’une plate-forme soutenue par un poteau et fixée au sol par quatre fils d’acier, sur laquelle venaient se poser alternativement les quatre personnages-danseurs et les trois personnages acrobates qui les doublaient sous le même costume. Cette plate-forme qui rappelait celles qu’emploient au cirque les acrobates était reliée au plateau par une échelle. Des cintres pendaient des fils de chanvre, dont les acrobates se servaient pour s’élancer des coulisses jusque sur la plate-forme en exécutant le pas–de-géant ou pour grimper aux cintres. »[9]
D’après Boris Kochno, Diaghilev demanda à Gontcharova pour le ballet Les noces, « mouvements chorégraphiques en quatre tableaux » de Stravinsky en 1923, de copier la coupe des costumes sur celle des vêtements de travail réglementaires que portaient les danseurs de la troupe lors des répétitions. On a là un écho de la prozodiejda, l’habit de production, introduit par Popova et Stépanova au théâtre de Meyerhold en 1922, pour détruire la couleur locale. Cependant, Gontcharova donnera une tonalité russe en allongeant les tuniques des danseuses en forme de sarafanes, tandis que les chemises des hommes recevaient une encolure à la russe. H.G. Wells nota que ce ballet, qui ne montrait pas des paysans déguisés en paysans mais simplement vêtus de noir et de blanc, était une transcription visuelle et sonore de l’âme russe. Dans un très bel article, Paul Dukas a noté que « comme spectacle [cette œuvre] brise tous les cadres, déroute toutes les classifications et se range d’emblée et délibérément à part de toutes les sortes de ballet connus […] Dans quel village de Russie vit-on jamais des noces semblables ? Sommes-nous même en Russie encore et dans celle même de la préhistoire ou dans un monde encore plus reculé, au-delà des temps et des réalités terrestres, dans ces limbes obscurs où des larves humaines célèbrent symboliquement leurs mornes épousailles ? »[10]
Désormais, les Ballets Russes proposeront des scénographies où l’élément constructiviste sera présent dans différentes variations, et ce sera le « réalisme constructeur » et le cinétisme de Gabo et de Pevsner, le constructivisme romantique de Yakoulov, le constructivisme surréalisant de Tchélitchev.
En 1926, quand ils abordent la mise en forme du ballet d’Henry Sauguet La chatte, Gabo et Pevsner ont une expérience de sculpteurs bien affirmée. L’utilisation de cercles et de rectangles en celluloïd crée une texture transparente totalement inédite. Ces formes étaient mises en mouvement par les danseurs qui les introduisaient sur la scène au fur et à mesure du déroulement de l’action. Ce cinétisme avait déjà été mis en œuvre par Popova à Moscou dans Le cocu magnifique. Le plateau et le rideau étaient en toile cirée noire. Kochno se souvient :
« La réalisation du décor de La chatte ne fut pas aisée. Gabo et Pevsner devaient exécuter eux-mêmes les parties métalliques de ce décor, entièrement construit, et leur apparition dans les paisibles hôtels et les pensions de famille monégasques où ils s’installaient pour travailler, provoquait une panique générale et faisait fuir les clients habituels. En les voyant circuler dans les couloirs, avec des lampes à souder, portant d’étranges masques de protection qui les faisaient ressembler à des scaphandriers, et en entendant le bruit infernal qui retentissait dans leurs chambres, la Direction les expulsait aussitôt après leur arrivée ».[11]
Diaghilev ne se contenta pas de cette incursion dans un constructivisme purement artistique et fit appel au peintre arménien Yakoulov pour les décors et les costumes du ballet de Prokofiev Le pas d’acier. Ce « ballet industriel » se substituait définitivement aux « cygnes mourants » et devait résumer aux yeux de l’Europe les conquêtes du constructivisme soviétique. La mise en forme de Yakoulov tenait compte de ses propres mises en forme chez Taïrov (Giroflé-Girofla, 1922), mais aussi des décors mécanistes de Popova pour Le cocu magnifique ou La terre cabrée chez Meyerhold (1922-1923). Ainsi, on trouvait chez Yakoulov des échelles, des plates-formes, des roues qui tournaient, des transmissions, des marteaux de toutes dimensions dont le bruit se fondait avec l’orchestre, des signaux lumineux qui oscillaient clignotaient et éclataient de feux et de couleurs. Les recherches scénographiques du Pas d’acier laissèrent des traces dans plusieurs réalisations ultérieures, aussi bien dans Les temps modernes de Chaplin (1936), que dans des ballets comme Nucléa, mis en forme par Calder (1952) ou L’éloge de la folie, mis en forme par Tinguely en 1967.
Enfin, peu avant sa mort, Diaghilev confie à Tchélitchev les décors du ballet de Nicolas Nabokov Ode. Tchélitchev avait travaillé en 1918-19 à Kiev dans l’atelier d’Alexandra Exter et exécuté ses premiers décors et costumes pour la scène, non réalisés, chez le metteur en scène Mardjanov. Puis le peintre a continué ses expériences théâtrales à Berlin où il est l’ami de Pougny en 1922-1923. Diaghilev a vu en 1923 son ballet Bojarenhochzeit (Noces de boyards) dont les éléments scéniques étaient dans un esprit cubiste-expressionniste.[12] Le travail de Tchélitchev pour Ode était d’une grande originalité : la boîte scénique, habillée de tulle bleu, était géométrisée à l’aide d’un réseau de fils métalliques qui créaient des objets, le tout étant traversé par la lumière d’une lanterne magique et des projections cinématographiques. L’emploi de projections cinématographiques sur la scène théâtrale était encore très nouveau. Picabia l’avait inauguré pour la mise en forme du ballet d’Eric Satie Relâche, en 1924[13] aux Ballets Suédois ; le peintre ukrainien Pétrytsky et le metteur en scène Ioura avaient, en 1925, utilisé le collage d’un écran de cinéma pour une adaptation théâtrale de la nouvelle de Gogol au Théâtre dramatique national Franko à Kharkiv[14]. Le critique français J.P. Crespelle a parlé, à propos de Tchélitchev du « style réticulé » de sa peinture, ce qui s’applique tout à fait aux décorations pour Ode. Le même critique assure que l’artiste russe « appartenait au monde des alchimistes, des astrologues et des magiciens » et que cette « magie […] s’efforçait à rendre sensibles les mystères et les drames de l’homme face au cosmos ».[15]
Ainsi, la scène des Ballets Russes a assimilé, en particulier grâce aux peintres issus de l’Empire Russe ou de l’Union Soviétique, les techniques scénographiques les plus récentes. Jusqu’au bout, Diaghilev resta à l’écoute des « bruits du temps ». Le recours aux expérimentations novatrices de l’avant-garde russe en est un témoignage éclatant.
Jean-Claude Marcadé
Le Pam, janvier 2009
[1] Igor Markevitch, Le testament d’Icare, choix d’écrits présenté par Jean-Claude Marcadé, Paris, Bernard Grasset, 1984, p. 153
[2] Marina Tsvetaeva, Nathalie Gontcharova, sa vie, son oeuvre, Paris, Clémence Hiver, 1990, p. 132 (trad. Véronique Lossky)
[3] Victor Breyer, in catalogue : Les Ballets Russes de Serge de Diaghilev. 1909-1929, Strasbourg, À l’ancienne douane, 1969, p. 141
[4] Waldemar George, Larionov, Paris, La Bibliothèque des Arts, 1966, p. 92
[5] Boris Kochno, cité par Victor Breyer, op.cit., p. 148
[6] Sonia Delaunay, Nous irons jusqu’au soleil, Paris, Robert Laffont, 1978, p. 78-79
[7] Waldemar George, op.cit., p. 100
[8] Survage, Essai sur la synthèse plastique de l’espace et son rôle dans la peinture [1920], in Ecrits sur la peinture, Paris, L’Archipel, 1992, p. 35
[9] Larionov, cité par Waldemar George, op.cit., p. 102
[10] Paul Dukas, «Noces d’Igor Stravinsky» [juin 1923], in Chroniques musicales sur deux siècles 1892-1932, Paris, Stock, 1980, p. 158, 159
[11] Boris Kochno, cité ici par Pierre Brullé dans le catalogue Pevsner 31 dessins, Paris, Galerie Pierre Brullé, 1998
[12] Cf. Donald Windham, «The Stage and Ballet Designs of Pavel Tchelitchew» [1944], in catalogue Pavel Tchelitchew 1898-1957. A Collection of Fifty-four Theater Designs c. 1919-1923, Londres, The Alpine Club, 1976, p. 4-6
[13] Cf. Denis Bablet, «Le photomontage de l’image à la scène», in Collage et montage au théâtre et dans les autres arts, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1978, p. 100-101
[14] Cf. Valentine Marcadé, Art d’Ukraine, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1990, p. 246
[15] J.-P. Crespelle, «Pavel Tchelitchew 1898-1957», in catalogue Hommage à Tchelitchew, Paris, Galerie Lucie Weill, 1966
Сергей Дягилев и русский авангард
Жан-Клод Маркадэ
Знаменитое восклицание «Étonne-moi!» («Удиви меня!»),
брошенное Сергею Дягилевым Жану Кокто – было ли оно, как
пишет Игорь Маркевич (его последнее открытие и последняя
любовь), «капризом скептика и парвеню
художественного языка»?
[ Igor Markevitch, Le testament d’Icare, choix d’écrits
présenté par Jean-Claude Marcadé, Paris, Bernard Grasset,
1984, стр. 153.]
Либо – и это кажется более вероятным – не было ли
оно проявлением свойства гения, первооткрывателя, устроителя
выставок, организатора концертов и новаторских спектаклей,
оставивших след на протяжении всего XX-го века? Дягилев был
камертоном самых новаторских эстетических устремлений своей
эпохи, и совершенно естественно, что он обращался к наиболее
оригинальным европейским художникам, превращая свои
спектакли в место для экспериментирования с художественными
«измами» всех мастей. Намереваясь с самого начала ХХ века
познакомить весь мир с художественными новшествами родины,
России, он не преминул обратиться с призывом к выдающимся
представителям «левого искусства», русского и советского – того
искусства, которое принято называть «русским авангардом».
Европейцы смогли при этом познакомиться с
примитивизмом, фовизмом, кубофутуризмом, лучизмом, орфизмом и контруктивизмом в разных его формах.
Декорации и костюмы Наталии Гончаровой для оперы-балета
Римского-Корсакова Золотой петушок, показанной в мае 1914
года в Париже, знаменовали собой радикальный разрыв с
эстетикой предыдущего периода Русского балета, где
господствовали символизм и Арт Нуво. Гончарова воплотила
колористический блеск русского примитивизма,
присутствовавший в народных картинках-лубках, в иконописи, в
декоративизме, присущем культуре древней и по преимуществу
крестьянской, для которой характерна, в частности, пестрота
тканей. На эту структурную основу прививались самые
новаторские пластические принципы, кубофутуристические и
лучистские, которые художница, вместе со своим спутником
Михаилом Ларионовым, незадолго до того продемонстрировала
в Москве, в Петербурге и в Париже. Красные и золотые цвета
сверкают в невиданной ранее праздничной феерии
красочной палитры. По этому поводу Марина Цветаева сумела
написать:
«Здесь время и место сказать о Гончаровой –
проводнике с Востока на Запад – живописи не столько старо-
русской: китайской, монгольской, тибетской, индусской. И не
только живописи. Из рук современника современность охотно
берет – хотя бы самое древнее и давнее, рукой дающего
обновленное и приближенное».
[Marina Tsvetaeva. Nathalie Gontcharova, sa vie, son
oeuvre, Paris, Clémence Hiver, 1990, стр. 132 (trad.
Véronique Lossky). Здесь цитируется по Марина
Цветаева, Наталья Гончарова. Жизнь и творчество;
Марина Цветаева, Избранная проза в двух томах. 1917–
-
Том первый, New York, Russica Publishers, 1979,
стр. 327.]
С Золотого петушка начинается
тесное сотрудничество Гончаровой и Ларионова с Русским
балетом, которое продолжилось до самой смерти Дягилева в
1929 году.
Гончарова выполнила также серию гуашей, преимущественно на
религиозные сюжеты, в стилизованном под византийскую
традицию стиле, для балета на церковную музыку под названием
Литургия, работа над которым шла в 1915 году, и который
остался неосуществленным.
Для балета Естественные истории 1916 года на музыку Мориса
Равеля, также не реализованного, Ларионов задумал
«движущиеся декорации и механические костюмы на основе
пластических формул ярко футуристического толка».
[ Victor Breyer, в каталоге Les Ballets Russes de Serge de
Diaghilev. 1909–1929, Strasbourg, À l’ancienne douane,
1969, стр. 141.]
Декорации и русские танцы балета Полуночное солнце 1915 года
дали Ларионову возможность реализовать свои
неопримитивистские устремления, ради которых он
ниспровергал, еще с 1908 года, вековые устои русского
академического искусства. Для этого «праздника солнца»
Ларионов создал красочные костюмы (с доминирующими
цветами желтым, фиолетовым и красным), а головы артистов
украсил фантастическими цветами. Как писал Вальдемар Жорж,
«правдоподобие было принесено в жертву ритму. Жесты были
конвульсивны. Тона – контрастными. Огромные солнца были
нарисованы на пестрых блузах танцоров. Все пространственные
взаимоотношения оказались модифицированы».
[ Waldemar George, Larionov, Paris, La Bibliothèque des
Arts, 1966, p. 92.]
В Русских сказках 1917 года представлена была старая Россия, но
в синтезе архаизма и современности, с чередованием волшебства
и шутовства. Южанин Ларионов мог здесь дать волю своему
юмору, ярко проявившемуся при создании фантастических
существ – полу-людей и полу-зверей – на основе персонажей
русского фольклора (например, злой Кикиморы, доблестного
Бовы-королевича и колдуньи Бабы-Яги), а также и украинского
(персонажей рождественских колядок, например). При создании
декораций художник «изобразил водоросли, пунцовые цветы,
покрывшиеся росой в тумане, избу, освещенную полуденным
зеленым светом леса, где развертываются устрашающие
сюжеты».
[ Борис Кохно, цит. по Breyer 1969, стр. 148.]
Дягилев настаивал на том, чтобы все было проникнуто сияющим
многоцветием славянского мира. В 1918 году он поручил Соне
Делонe сделать костюмы для балета Клеопатра, котoрый был
поставлен в 1909 году с декорациями и костюмами Льва Бакста,
погибшими потом при пожаре в 1917 году. Декорации были
выполнены Робером Делоне. Так на сцене материализовывался
орфизм. Украинская цветовая гамма Сони Делоне также
получила там блестящее воплощение, с игрой перемежающихся
солнечных окружностей и лучей. Художница рассказывала,
какой виделась ей Клеопатра – «она казалась мумией, с которой
постепенно снимают повязки. Все они разные. … Когда мумия
оказывалась полностью распеленутой, прожектора освещали
царицу, одевая ее в световой костюм: диски на груди,
концентрические круги всех цветов и с жемчугом как украшение
на животе. Эти диски есть на одном саркофаге в Лувре».
[ Sonia Delaunay, Nous irons jusqu’au soleil, Paris, Robert
Laffont, 1978, стр. 78–79.]
В 1921 году постановка Шута – русской фантазии на музыку
Сергея Прокофьева, с декорациями и костюмами Ларионова –
обернулась полным провалом. Декорации представляли
одновременно окно на Север и дверь на Юг, а стены были
Востоком и Западом. Костюмы были выполнены из бумаги,
клеенки и картона. Это был триумф русского кубофутуризма на
основе неопримитивизма. Жорж, который видел эту постановку,
свидетельствует:
«Шут – спектакль совершенно
ошеломляющий. В нем дух невинности перемешивается с духом
насмешки. Гипотезы математика, чувствительного геометра и
жонглера соревнуются здесь в эксцессах горячечного
поэтического воображения».
[Waldemar George 1966, стр. 100.]
И еще к одному представителю русского авангарда – Леопольду
Сюрважу (Штюрцваге) – обратился Дягилев с заказом на
декорации и костюмы: для оперы-буфф Игоря Стравинского
Мавра, в 1922 году. Художник, который был одним из пионеров
абстракционизма, показавшим в 1913 году в Париже свои
Цветные ритмы, впоследствии изобрел оригинальную форму
кубизма, которую определил следующим образом:
«Множество
простых геометрических форм, вставленных одна в другую,
связанных единым центром, на глаз кажущимся органичной
централизованной группой, способной намекать на глубину, но
без взламывания плоскости, без имитации ракурса предметов в
обычной перспективе».
[ Léopold Survage, «Essai sur la synthèse plastique de
l’espace et son rôle dans la peinture» [1920], in Écrits sur
la peinture, Paris, L’Archipel, 1992, стр. 35.]
Начиная с 1922 года Ларионов и Гончарова больше не
используют в своих мизансценах восточные радужные переливы
с их лучистскими и примитивистским кубофутуризмом. С
работы над балетом-буфф Лиса [Байка про Лису, Петуха, Кота да Барана] можно говорить о
возникновении некоего «конструктивизма» в декорациях и
костюмах Ларионова. Конечно, Ларионов, как и Якулов, мог
сказать, что «построенные» декорации уже существовали на
русских частных сценах уже около 1910 года. С другой стороны,
еще до театрального конструктивизма, разработанного Любовью
Поповой и Варварой Степановой в 1922 году в театре Всеволода
Мейерхольда, он уже существовал, с 1916 года, в Камерном
театре Таирова, где декорации делали Александра Экстер,
Якулов и Александр Веснин. В любом случае, постановка
Лиcица была осуществлена в двух версиях: 1922 и 1929 года.
Первая – более традиционная, в стиле украинского «вертепа»,
вторая – это шаг к дифференциации слишком обобщенных
персонажей (имя каждого наносится вышивкой на его трико), как
в средневековом или елизаветинском театре. Танцовщики и
гимнасты передвигаются среди трапеций, сеток и наклонных
плоскостей. Послушаем Ларионова:
«Насест, на котором сидел
Петух в 1922 году, в 1929 был увеличен до размеров платформы,
поддерживаемой столбом и закрепленной только с одной
стороны четырьмя стальными прутами. На платформе время от
времени размещались по очереди четверо персонажей-
танцовщиков и трое персонажей-акробатов, которые их
дублировали в тех же костюмах. Эта платформа, напоминающая
те, что используется в цирке акробатами, на поверхность ее ведет
лестница. Сверху подвешены пеньковые веревки, которые
акробаты используют для прыжка из-за кулис на сцену,
выполняя па-де-жеан, или для того, чтобы вскарабкаться
наверх».
[ Ларионов, цитируется у Вальдемара Жоржа в Waldemar
George 1966, стр. 102.]
Согласно Борису Кохно, Дягилев попросил Гончарову в 1923
году
для балета Стравинского Свадебка, («изображения хореографических движений в четырех картинах»),
скопировать покрой костюмов с одежды, которую танцовщики
труппы обычно носили на репетициях. В этом есть отголосок
«прозодежды» – производственной одежды, введенной Поповой
и Степановой в театре Мейерхольда в 1922 году, чтобы
упразднить местный колер. Тем не менее, Гончарова придаст
всему русский оттенок, удлинив туники балерин до длины
сарафанов и наделив блузы танцовщиков-мужчин застежкой как
у русской косоворотки. Г. Дж. Уэллс отметил, что этот балет, где
крестьян изображали не в крестьянской одежде, а одетыми
просто в белое с черным, был визуальным вополощением
русской души. В своей замечательной статье Поль Дюка заметил,
что «как спектакль [эта постановка] ломает все рамки,
переиначивает всякую классификацию и сразу демонстративно
занимает свое место вне всех известных видов балета. … В
России видели ли когда-нибудь в деревне подобную свадьбу?
Сами мы еще ли в России, в доисторический период, или в мире
еще более отдаленных веков, за гранью земного времени и
земной реальности, в темных чертогах, где человеческие
личинки символически празднуют свою мрачное
бракосочетание?».
[ Paul Dukas, «Noces d’Igor Stravinsky» [июня 1923], in
Chroniques musicales sur deux siècles 1892–1932, Paris,
Stock, 1980, стр. 158 и 159.]
В дальнейшем Русский балет предложит сценографию, где
конструктивистский элемент будет присутствовать в разных
вариациях, и это будет или «конструктивный реализм», и
кинетизм Наума Габо и Антона Певзнера, или романтический
конструктивизм Георгия Якулова, или сюрреалистический
конструктивизм Павла Челищева.
В 1926 году, когда Габо и Певзнер приступили к постановке
балета Анри Соге Кошка, они уже были известны как
скульпторы. Использование целлулоидных кругов и
прямоугольников создало совершенно необычную прозрачную
текстуру. Эти формы приводились в движение танцовщиками,
которые вводили их на сцену постепенно, по ходу действия.
Подобный кинетизм уже практиковался Поповой в Москве в
постановке Великодушного рогоносца. Сцена была покрыта
черной клеенкой, занавес также был из черной клеенки. Кохно
вспоминал:
«Построить декорации для Кошки было нелегко.
Габо и Певзнер должны были самостоятельно выполнить
металлические части этой декорации, полностью составной, и их
появление в мирных отельчиках и семейных пансионах Монте-
Карло, где они остановились на время работы, вызывало общую
панику и разгоняло традиционную клиентуру. Все видели, как
они кружили в коридорах с паяльными лампами в руках, в
странных защитных масках, которые делали их похожими на
водолазов, а когда, вскоре после их приезда, из их комнат стал
раздаваться еще и адский шум, дирекция выставила их вон».
[Борис Кохно цитируется здесь Пьером Брюлле; см. в
каталоге: Pevsner 31 dessins, Paris, Galerie Pierre Brullé,]
Дягилев не удовольствовался этим вторжением в область чисто
художественного конструктивизма и пригласил армянского
художника Якулова для работы над декорациями и костюмами к
балету Прокофьева Стальной скок. Этот «индустриальный
балет» решительно вытеснил «умирающих лебедей» и призван
был представить пред очи Европы достижения советского
конструктивизма. Здесь в оформлении Якулов учитывал свою
предыдущую работу у Александра Таирова (Жирофле-Жирофля,
1922 г.), но также и механистические декорации Поповой для
Великодушного рогоносца, как и для Земли дыбом у Мейерхольда
(1922–1923 гг.). И у Якулова были лестницы-стремянки,
платформы, крутящиеся колеса, трансмиссии, молоты всех
размеров, удары которых смешивались с музыкой оркестра,
световые сигналы, которые вибрировали, мигая и вспыхивая
огнем и цветом. Поиски сценографических решений для
Стального скока оставили след во многих последующих
постановках, не исключая Новые времена (1936 г.) Чарли
Чаплина и такие балеты, как Нуклея (1952 г.), который оформил
Кальдер, или Похвала глупости, поставленный Тэнгли в 1967
году.
Под конец, незадолго до смерти, Дягилев поручает Челищеву
создать декорации к балету Николая Набокова Ода. В 1918–1919
годах Челищев работал в Киеве в ателье Экстер, где и выполнил
свои первые декорации и эскизы костюмов для одной сцены в
постановке режиссера К.А. Марджанова [Марджанишвили], оставшейся
неосуществленной. Позже художник продолжил свои
театральные эксперименты в Берлине в 1922–1923 годах, где он
подружился с Иваном Пуни. В 1923 году Дягилев увидел
оформленный им балет Bojarenhochzeit (Боярская свадьба), со
сценическими элементами в кубистско-экспрессионистком
духе.
[ См. Donald Windham, «The Stage and Ballet Designs of
Pavel Tchelitchew» [1944], в каталоге Pavel Tchelitchew
1898–1957. A Collection of Fifty-four Theater Designs c.
1919–1923, London, The Alpine Club, 1976, стр. 4–6.]
Работа, сделанная Челищевым для Оды, была
исключительно оригинальной: сценическое пространство,
убранное синим тюлем, было геометризировано посредством
сети из металлических прутьев, которые создавали предметы, и
все было пронизано светом волшебного фонаря и проекцией
кинофильма. Использование кинопроекции на театральной сцене
было еще абсолютным новшеством. Францис Пикабиа обновил
этот метод для оформления балета Сати Отдых в 1924 году
[ См. Denis Bablet, «Le photomontage de l’image à la
scène», in Collage et montage au théâtre et dans les
autres arts, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1978, стр. 100–]
-
для