Olga Rozanova ou la synthèse du rythme de l’écrit et du rythme du peint en un rythme du livre.
Olga Rozanova ou la synthèse du rythme de l’écrit et du rythme du peint en un rythme du livre.
À la mémoire de Ievguéni Kovtoune
L’histoire de l’ensemble impressionnant du livre futuriste russe entre 1912 et 1917 est maintenant bien connue et documentée. Il suffit de mentionner les travaux pionniers : en Union Soviétique, de Nikolaï Khardjiev, d’Alexandre Metchenko[1] et de Ievguéni Kovtoune ; en Europe, ceux de Vladimir Fiodorovitch Markov, de Susan Compton et de Gerald Janecek, et plus récemment, ceux de Claude Leclanche-Boulé, de Vladimir Poliakov, de Nina Gourianova, de Margit Rowell ou de Deborah Wye[2].
Je rappellerai simplement que c’est le poète et théoricien radical de la zaoum, cette langue transmentale, au-delà de la raison, „outre-entendement“ comme traduit Jean-Claude Lanne[3], Alexeï Kroutchonykh, qui créa les premiers petits livres-almanachs lithographiés futuristes russes en 1912, Kroutchonykh, ce „pionnier de l’absurde“, cet „inventeur de la poésie funk“, ce „destructeur des tabous“, ce „mixeur des genres“, selon les désignations du savant américain Vladimir Markov[4]. Au cours de sa vie, il meurt en 1968, Kroutchonykh a édité pas moins de 236 petits livres des livres-objets autographes aux petits livres imprimés, précisément de petits livres car il pensait qu’ils permettaient mieux d’en goûter la polysémie.
En octobre-décembre 1912, il fait donc paraître trois livres-objets. Leur fabrication artisanale, leur aspect extérieur „pauvre“, leurs „illustrations“ bizarres, „tranchaient avec tout ce qui apparaissait alors sur le marché du livre. Ils déconcertaient les esthètes du ‚Mir iskousstva‘ qui ne voyaient en eux rien d’autre qu’une moquerie provocatrice à l’égard du bon sens“.[5]
L’illustration, au sens traditionnel de ce mot, était remplacée par une composition de chaque page où l’écrit et le dessiné formaient une nouvelle entité formelle. Il y avait là une résurgence dans l’avant-garde du début du XXe siècle de toute une pratique russe faisant corps avec l’image dans la peinture d’icônes, dans l’image populaire xylographiée (le loubok), sur les enseignes de boutique, les carreaux de faïence, les broderies, les rouets etc.
Ces trois premiers livres édités en 1912 par Kroutchonykh sont : Starinnaya lioubov‘ [Amour ancien], poème de Kroutchonykh, ornementations (oukrachéniya) de Larionov qui a écrit à la main le texte; Mirskontsa [Mondàrebours], vers de Kroutchonykh et de Khlebnikov, écrits à la main principalement par Larionov et Kroutchonykh, dessins de Natalia Gontcharova, qui réalise la couverture avec un papier découpé collé, de Larionov, de Rogovine, de Tatline; Igra v adou [Jeu en enfer], poème de Kroutchonykh et de Khlebnikov, écrit à la main par Kroutchonykh, dessins de Natalia Gontcharova (une seconde édition de ce poème sera réalisée en 1914 avec des dessins de Malévitch et d’Olga Rozanova, nous y reviendrons).
Kroutchonykh avait eu une formation artistique et avait obtenu en 1906 de l’École d’art d’Odessa un diplôme de professeur de dessin. Il réalise ses premières publications lithographiées en 1908 en Ukraine. Dans la revue moscovite Iskry (Étincelles] (N° 13, 1912) furent reproduits neufs toiles, des paysages au style impressionniste.
Je n’insisterai pas ici sur l’activité futuriste infatigable et excentrique de Kroutchonykh, à partir de 1912, aux côtés de Khlebnikov, de Maïakovski, de Malévitch, c’est-à-dire des boudietliané, les futuraslaves, la branche la plus extrême et extrémiste du futurisme russe, appelé par ailleurs en poésie comme en peinture – cubofuturiste.
Dès le début des éditions lithographiées, c’est „le rythme du livre“, comme le dit Mallarmé dans sa lettre à Verlaine du 16 novembre 1885, qui préside à la création de ce qu’on pourrait appeler des „poèmes-tableaux“. Dans la pratique européenne du livre, c’est bien Mallarmé qui avait inauguré ce „rythme du livre“ avec son Coup de dés jamais n’abolira le hasard en 1897, le même Mallarmé qui avait, dix ans auparavant, photographié ses manuscrits pour composer ses Poésies complètes, attirant ainsi l’attention sur l’aspect visuel du vers.
J’ai déjà écrit ailleurs que l’insertion de lettres et de chiffres sur les toiles des novateurs russes à partir de 1911 avaient une autre motivation que chez les cubistes et les futuristes occidentaux. Cette insertion allait de pair avec une intégration de l’écriture à la main dans la constitution de la surface picturale[6]. Ainsi, chez les Russes, la lettre primitiviste, écrite à la main, utilisée sur la surface peinte a une fonction organiquement picturale en tant que liberté du trait, du geste, du pictural. Comme dans les toiles à structure de base primitiviste, dans les livres-objets, on revient par l’écriture aux sources vives du pictural, en revivifiant l’essence rythmique, tracée, gestuelle, de l’écriture-peinture. Ces livres-objets sont pour ainsi dire des antilivres dont Ievguéni Kovtoune a souligné qu’ils avaient des résonances poétiques plus profondes que celles d’une agression contre le goût dominant. Non seulement, selon Kovtoune, „il s’agit d‘une expérimentation polygraphique audacieuse, rendant caduc un maillon essentiel de l’impression du livre – la composition typographique“, mais „l’insertion de textes dans le dessin, la transformation des inscriptions en éléments de la représentation étaient traditionnelles dans l’art populaire : ce procédé se rencontre non seulement sur les enseignes, mais aussi le loubok, la peinture sur bois, les broderies“[7].
Ce sont les peintres Larionov et sa compagne Natalia Gontcharova qui sont à l’origine de la nouvelle forme d’art que représente le livre-objet futuriste russe. Le peintre devient „le co-auteur du poète ou du prosateur“[8]. Il n’illustre plus les textes en essayant de représenter visuellement le contenu verbal d’une oeuvres. Il dialogue avec lui, il le prolonge, parfois l’enserre comme un écrin une pierre précieuse. Le poète, romancier, critique littéraire et lui-même peintre, Sergueï Bobrov, pouvait écrire dans son article intitulé «De la nouvelle illustration», préface de son recueil poétique de 1913, Viertogradari nad lozami [Les jardiniers des osiers], mis en forme par Natalia Gontcharova:
«Le point central du Nouveau est dans le fait que le caractère analogique des visées du poème et du dessin et l’élucidation du poème par le dessin sont obtenus non pas par des moyens littéraires, mais par des moyens picturaux.»[9]
Olga Rozanova va, pour ainsi dire, prendre la relève de Natalia Gontcharova, poursuivre à partir de 1913 les recherches de mise en forme des textes. En juin 1913, elle écrit à sa soeur Anna :
«Dès mon arrivée à la maison, j’ai fait près de 40 dessins pour le poète Alexeï Kroutchonykh (un très bon poète – un futuriste) et il m’a récemment envoyé 3 petits livres de vers et de prose, illustrés par mes dessins et par d’autres peintres. Ces livres sont Vozropchtchem [Grrrrrondons], Boukh liessinnyi [Boum sylvain] et Vzorval’ (une bombe). Dans le premier, il y a de la prose qui m’est dédiée ainsi : ‘A la première artiste de Pétrograd’»[10]
Dans les premières mises en forme de livres artisanaux, Olga Rozanova reste dépendante de la manière de Natalia Gontcharova et de Larionov. Ainsi la couverture du recueil de textes de Kroutchonykh et de Khlebnikov, Boukh liessinnyi [Boum sylvain] paru à Saint-Pétersbourg en 1913, représente les animaux dans le style typique néoprimitiviste larionovien. Le texte lithographié est écrit à la main par Olga Rozanova.
Dans la seconde publication du poème de Kroutchonykh du poème de Kroutchonykh et de Khlebnikov Jeu en enfer (Saint-Pétersbourg , Iéouy, 1914, texte écrit à la main par Olga Rozanova), l’artiste est encore sous l’influence de Natalia Gontcharova qui a fait les dessins de la première édition, mais le trait d’Olga Rozanova est là, très spécifique – un trait appuyé, semblable aux contours des vitraux occidentaux. Il va se confirmer dans la magnifique série des livres-objets qu’elle créera jusqu’à la veille de sa mort en 1918. De ce point de vue, les dessins lithographiés d’Olga Rozanova pour Explodant [Vzorval’] la vigueur, la puissance, l’énergie gestuelle du trait qui rappelle les origines chinoises de la peinture-écriture. Le contraste entre le noir et le blanc est porté à son maximum d’intensité et annonce tous les courant français et américains qui ont privilégié ces deux pôles de la gamme colorée.
Puisque nous sommes à Explodant, examinons la seconde édition de 1914 dont un exemplaire a été étudié récemment par Ada Ackerman. comme les précédents petits livres-objets miméographiés de Kroutchonykh : les textes sont écrits à la main ici par Kroutchonykh et Natalia Gontcharova ou estampés à l’aide de tampons encreurs, sans aucun souci d’une logique, avec des feuilles de différentes dimensions et couleurs. Le papier est le plus pauvre possible. Ada Ackerman a bien analysé cette utilisation artistique par Kroutchonykh de feuilles dont la finesse «laisse transparaître au verso le contenu du recto» :
«Il ne s’agit pas uniquement de destruction de codes, mais bien de création de codes nouveaux. Par exemple, la transparence du papier permet de créer des échos formels entre les pages du recueil, bien que les feuillets soient imprimés d’un seul côté […] Ainsi, en page 13 [ de Vzorval’] la lithographie néoprimitiviste de Rozanova fait écho à la lithographie cubofuturiste page 12 par un jeu d’équivalences plastiques […] Le défaut de papier est […] pleinement utilisé pour son potentiel plastique.»[11]
C’est l’arte povera avant la lettre.
Le texte de Kroutchonykh est une parfaite illustration de la zaoum’, de la langue transmentale. C’est une glossolalie qui tient compte des expériences des charismatiques de l’époque (Kroutchonykh cite la glossolalie du flagellant Varlaam Chichkov), mais aussi du langage enfantin, des comptines, des rébus et des charades populaires. Ce sont des bribes de sens qui apparaissent. Il s’agit bien comme le titre néologique Vzorval’ de faire exploser le langage. Comme le proclament en 1913 les auteurs du Mot comme tel, Kroutchonykh et Khlebnikov : «Les créateurs du langage futuraslave utilisent les mots hachés, les demi-mots et leurs combinaisons astucieuses et fantasques (langue transmentale), grâce à cela la plus grande force d’expression est atteinte, et par cela précisément se distingue la langue de l’époque contemporaine qui file de l’avant après avoir anéanti la langue figée qui l’a précédée.»[12]
Kroutchonykh rêvait d’une «langue oecuménique» (vsiélienskii yazyk)[13]. Dans le recueil-almanach Kroutchonykh fait cette annonce tonitruante : «Le 27 avril à trois heures de l’après-midi j’ai en un instant assimilé à la perfection toutes les langues Tel est le poète de la contemporanéité Je publie mes vers en japonais, en espagnol et en hébreu (p. 28) Suit une litanie de borborygmes :
ikè mina ni
sinou ksi
yamakh alik
zel
GO OSMEG KAÏD
M R BATOUL’KA
VINOUS AIÉ KSEL
VIER TOUM DAKH
GUIZ
Et la dernière page, qui, elle, fait sens, est une provocation d’une impertinence évidente : il s’agit du mot CHICH en lettres cyrilliques calligraphiées comme des lettres hébraïques. Ada Ackerman a bien analysé tout le contexte étymologique : la lettre cyrillique «cha» a été empruntée à la lettre de l’alphabet hébraïque «chin» qui, elle-même provient d’un modèle égyptien avec les trois branches stylisant les tiges des papyrus. CHICH est un palindrome et peut donc se lire à la manière russe de gauche à droite ou à la manière hébraïque de droite à gauche. De plus le mot «Chich» a le sens en russe de «nique», comme «figa» ou «koukich». En français, d’ailleurs, on dit «faire la nique» ou «faire la figue» avec une connotation obscène alors qu’en russe cette expression et ce geste ne le sont pas. Ainsi Explosant se termine – nous dirions, en équivalence, par un pied de nez, pan de nas, en occitan! Dans un petit livre imprimé de 1923, Kroutchonykh intitule un texte «Koukich prochliakam» que l’on pourrait traduire, très librement certes et un peu anachroniquement, : «Niquons les beaufs passéistes»[14]
Si dans les secondes éditions de Jeu en enfer et d’ Explosant, Olga Rozanova reste encore dans le sillage des réalisations dans l’art du livre de Larionov et de Natalia Gontcharova, elle va inventer dans toutes les productions ultérieures dans ce domaine des procédés totalement nouveaux. Déjà dans Explosant elle procède au coloriage à l’aquarelle des pages lithographiées. Tous les exemplaires n’ont pas été coloriés. Comme il s’agit d’une fabrication artisanale, on constate des différences dans les couvertures ou les pages des livres-objets futuristes. Ainsi, il y a quelques exemplaires d’ Explosant qui ont été aquarellés par Olga Rozanova (exemplaires au Musée Maïakovski, au RGALI, au Fonds Khardjiev-Tchaga à Amsterdam[15]). l’intervention directe de la peinture sur les surfaces des pages était une innovation qui aura des prolongations dans tout le XXe siècle. Le travail d’Olga Rozanova est contemporain de celui de Sonia Delaunay qui avec la mise en forme du poème de Blaise Cendrars La prose du transsibérien et de la petite Jéhanne de France sous forme d’un dépliant (clin d’oeil à la pratique extrême-orientale), fait à partir d’une feuille de 2 mètres sur 36 centimètres. Les 21 plis horizontaux, une fois pliés, forment un livre, le tout étant logé dans une couverture peinte au pochoir en chevreau noir ou en parchemin. L’impression du texte en caractères typographiques de différentes couleurs était faite au pochoir? Il s’agissait d’une interprétation «synchrome» simultanée du texte de Cendrars. La maquette, une toile qui servit pour l’impression se trouve au MNAM. Elle a été exposée au Deutscher Herbstsalon berlinois en octobre 1913[16]. On connaissait le travail de Sonia Delaunay dans le milieu artistique russe. Le peintre Yakoulov, qui expose justement au Deutscher Herbstsalon, est pendant l’été 1913 en étroit contact avec les Delaunay. Il participera à la conférence du 23 décembre 1913 au caveau artistique «Le Chien errant» à Saint-Pétersbourg sur «le simultané dans l’art contemporain. Peinture-Poésie»[17]. On sait aussi qu’une autre artiste de l’art de gauche, Alexandra Exter, qui fut le passeur par excellence des novations parisiennes en Russie et en Ukraine, connaissait le travail des Delaunay. D’autre part, avant la guerre de 14, une osmose s’était opérée entre les milieux parisiens et l’art de gauche russe. L’idée d’allier la peinture et le texte poétique était donc dans l’air. L’ami de Sonia Delaunay, Alexandre Smirnov, venait régulièrement à Paris et il ne fait pas de doute qu’il l’a tenue au courant de la vie artistique de Saint-Pétersbourg en ces années cruciales 1912-1913.
Olga Rozanova a pu donc recevoir une impulsion supplémentaire du tableau-poème de Sonia Delaunay-Cendrars pour son livre-objet Tè li lè, recueil de Kroutchonykh et de Khlebnikov qui parut au tout début de 1914. Mais le seul point commun, c’est l’utilisation de caractères polychromes et l’association du peint et de l’écrit en une nouvelle forme d’art. Mais on pourrait dire la même chose de Sonia Delaunay qui a pu recevoir une impulsion de la création par les peintres et les poètes russes dès 1912 de l’union «osmotique» du pictural et de la poésie.
Cependant, remarquons aussitôt ce qui différencie l’entreprise des coauteurs russes et des coauteurs français. En premier lieu, le livre de Sonia Delaunay est un livre de luxe, pour bibliophiles, avec des tirages de luxe – les exemplaires numérotés de 1 à 18 sont en parchemin, de 9 à 36 en japon, de 37 à 150 en simili japon. Tout un arsenal publicitaire est inventé par Sonia Delaunay avec bulletin de souscription, prospectus dépliant et affiches, le tout envoyé à plusieurs revues et journaux français et étrangers.[18] Quel contraste avec les petits livres-objets russes lancés par Kroutchonykh avec des matériaux pauvres, précisément pour «faire la nique» aux éditions luxueuses de l’époque. En second lieu, l’utilisation des caractère colorés est radicalement différente dans les productions d’Olga Rozanova pour certains exemplaires d’ Explosant et dans les deux chefs-d’oeuvre absolus que sont La poussinière des gros mots , qui se comprend dans la langue russe du XXème siècle comme «Le petit nid de canards des gros mots»[19], et Tè li lè.
Dans La poussinière des gros mots le texte de Kroutchonykh est écrit à la main par Olga Rozanova, dans Tè li lè de Kroutchonykh et Khlebnikov – ils sont de la main d’Olga Rozanova et de l’autre illustrateur Nikolaï Koulbine. Cette différence est de taille. C’est tout le geste néoprimitiviste, initié dans l’art russe par Larionov et Natalia Gontcharova, qui traverse la poétique peinte cubofuturiste d’Olga Rozanova. Toute l’originalité de l’avant-garde russe est là. Ievguéni Kovtoune a souligné l’originalité et «le pas en avant que représente La poussinière des gros mots par rapport aux réalisations précédentes de Larionov : «Rozanova donne une sorte de partition colorée, mettant l’accent sur les illustrations des pages où la couleur et l’image picturale acquièrent une signification universelle. L’action simultanée du mot sonore et de la couleur enrichit, approfondit l’image poétique, transforme les vers en une chromopoésie originale, analogue d’une chromomusique. L’action transperçante de la couleur, en faisant irruption dans le tissu imagé du vers, restructurée sur de nouveaux principes tout l’organisme du livre.»[20]
Dans le recueil de Kroutchonykh et de Khlebnikov Tè li lè, il s’agit d’une hectographie colorée. L’hectographie est un procédé permettant avec un mélange de glycérine et de gélatine de reproduire, en principe en cent exemplaires, des textes manuscrits; comme la lithographie, l’hectographie pouvait être coloriée à la main. La couverture de Tè li lè montre un paysage urbain cubofuturiste – hectographie en trois couleurs; le titre est hectographié en deux couleurs; z stikhotvoréniya – composition hectographiée en trois couleurs; Paysage (?) ou deux personnages hectographiés en deux couleurs. Dans une lettre de 1915, Kroutchonykh écrit au sujet de Tè li lè : «Beaucoup de gens ont déjà remarqué que le génie de la beauté extérieure est ce qu’il y a de plus haut; ainsi, si plaît à quelqu’un par dessus tout la manière dont Tè li lè (du côté pictural) est peint et non son sens (sens édenté qui d’ailleurs n’existe pas chez les transmentaux) et non plus le côté pratique (il n’existe pas non plus dans la zaoum’), il me semble bien qu’un tel amateur a raison et n’est pas du tout un hooligan.
Bien entendu, le mot (la lettre) ont subi ici de grands changements, il se peut que ce mot soit même arrangé à sa manière (podtassovano) par la peinture – mais qu’est-ce qu’a à fiche un ‘enivré du paradis’ de toute cette prose [kakoïé diélo p’yanitelyou raya do vsiey ètoy prozy]? Et j’ai déjà rencontré des personnes qui ont acheté Tè li lè sans rien comprendre à dyr-boul-chtchyl, mais ont été enthousiasmés par sa peinture […] A propos de l’écriture momentanée :
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La première impression – en corrigeant 10 fois, nous la perdons et perdons tout par là même
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en corrigeant, en réfléchissant, en polissant, nous privons nos oeuvres de ce qui est le plus précieux, car nous ne laissons que ce qui est remâché, solidement assimilé, et toute la vie de l’inconscient s’en va à vau-l’eau [vsia jizn’ biessoznatel’novo idiot nasmarkou][21]