Variations sur un thème quadrangulaire (Galerie Kamel Mennour, mars-avril 2011)
Variations sur un thème quadrangulaire
De la dénomination
Ce que l’on appelle communément le « Carré noir sur fond blanc » a été intitulé par Malévitch, lors de l’exposition 0, 10 à Pétrograd en 1915-1916, Četyreugol’nik, c’est-à-dire Quadrangle. Dans le mot russe, l’accent est mis sur l’angle; c’est pourquoi je rejette la traduction par „quadrilatère“ qui introduit la notion de „côté“ qui ne se trouve, ni implicitement ni explicitement, dans le mot russe. Le mot „quadrangle“ est moins usité en français, comme le mot russe utilisé par Malévitch „četyreugol’nik“, lui-même archaïque par rapport au russe moderne courant „četyrёxugol’nik“. Le „quadrangle“ est un terme de géométrie qui désigne toute figure qui a quatre angles/quatre côtés : ce peut être un carré, un losange, un parallélogramme, un rectangle ou un trapèze. Dans ses écrits et ses débats publics de 1915-1916 Malévitch nommera son oeuvre „le carré“:
„Le carré n’est pas une forme subconsciente. C’est la création de la raison intuitive.
Le visage du nouvel art.
Le carré est un enfant royal plein de vie.
C’est le premier pas de la création pure en en art. Avant elle, il y avait des laideurs naïves et des copies de la nature“ (Du Cubisme et du Futurisme au Suprématisme. Le nouveau réalisme pictural, Moscou, 1916)
De la quadrangularité
Malévitch affirme avant tout la quadrangularité en tant que telle, par opposition à la triangularité qui n’a cessé, au cours des siècles, de représenter symboliquement le divin. Dans un aphorisme des années 1920 l’artiste a cette formule :
„La forme de la modernité est le rectangle. C’est le triomphe du quatre-points sur le trois-points.“
De la géométrie
Le Quadrangle de 1915, comme les autres „carrés“ peints par Malévitch, n’est pas un carré exactement géométrique. De toutes façons, comme l’a noté Étienne Gilson, une forme géométrique entrant sur la surface d’un tableau cesse d’être de la géométrie et devient du pictural. Le problème du Suprématisme n’est pas un problème de géométrie, c’est le problème du pictural en tant que tel, en l’occurrence, la surface plane colorée, la planéité absolue.
Du cadre
Il est triste de voir beaucoup d’oeuvres suprématistes de Malévitch encadrées par les institutions qui les possèdent. C’est un parfait contre-sens sur le „suprématisme de la peinture“. Du vivant de leur créateur, les œuvres suprématistes étaient exposées sans cadre. A propos du Quadrangle noir de 1915, Malévitch écrivait à son contempteur le passéiste Alexandre Benois en 1916 :
« Moi je n’ai qu’une seule icône toute nue et sans cadre (comme ma poche), l’icône de mon temps, et il est difficile de lutter. Mais le bonheur de ne pas vous ressembler me donne des forces pour aller de plus en plus loin dans le vide des déserts, car ce n’est qu’à cet endroit qu’est la transfiguration. »
Benois avait bien noté l’absence de cadre dans le Quadrangle noir ! Il écrivait en 1916 :
« On s’ennuie à l’exposition des futuristes parce que toute leur œuvre, toute leur activité n’est que la négation totale de l’amour, que l’affirmation totale du culte du vide, des ténèbres, du « rien », du carré noir dans un cadre blanc. »
Le cadre n’est plus à l’extérieur de la surface du tableau, mais à l’intérieur, comme dans l’icône religieuse
Notons qu’à la même époque, Mondrian exposait sa Composition en ovale avec surface de couleurs I sans cadre. A cette époque, les œuvres de Mondrian ont un encadrement qui se borne à d’étroites baguettes plates de bois peint sur les bords. Nul doute qu’il s’agissait de libérer la surface peinte de son parangon traditionnel depuis des siècles, qui faisait du tableau une fenêtre par laquelle le spectateur pouvait contempler un pan du réel. De même que Mondrian dirige son attention uniquement vers l’universel […] [et] l’universel ne peut […] être exprimé purement que lorsque le particulier n’obstrue plus le chemin » (La nouvelle plastique de la nature, 1920) . Le cadre est donc une obstruction à cette révélation de l’universel.
De l’insondable et de l’humour
Le Polono-Ukrainien Malévitch a été nourri , il nous l’a dit, par la terre, le ciel, la polychromie de l’Ukraine. Le constructiviste Vladimir Stenberg m’a raconté que Malévitch faisait figure à Moscou de „patriote ukrainien“, s’habillant à l’ukrainienne, chantant des chansons ukrainiennes… L’Ukraine, c’est le pays de Gogol. On ne s’étonnera pas que dans l‘ oeuvre picturale de l’auteur du Quadrangle noir entouré de blanc, aussi bien que dans ses écrits, ou dans son comportement public, il y ait une oscillation entre la gravité insondable de l’enjeu (la révélation par le mouvement coloré du Rien libéré, du monde comme sans-objet) et le ludisme, les gestes provocateurs, la truculence débridée. La photographie de Malévitch se promenant au centre de Moscou avec une cuillère paysanne à la boutonnière ou bien la joyeuse mise en scène des participants des spectacles cubofuturistes au Luna-Parc de Saint-Pétersbourg en 1913 (Maïakovski Tragédie et La Victoire sur le Soleil) avec le piano renversé collé au plafond au-dessus de leurs têtes, permettent de na pas s’étonner du texte absurdiste écrit en 1916 :
„L’oeuvre artistique suprême est écrite quand la raison est absente.
Extrait d’une telle oeuvre:
-
Je viens de manger des pieds de veau.
Il est terriblement dur de s’adapter au bonheur en ayant traversé la Sibérie.
J’envie toujours le poteau télégraphique. Pharmacie.
Bien entendu, beaucoup penseront que c’est absurde, ils ont tort.
Il suffit seulement d’allumer deux allumettes et de mettre un lavabo.“ (« Les vices secrets des académiciens »)
N’oublions pas que Malévitch est le fondateur de l‘ alogisme en peinture, cette variante de la zaum‘, la transmentalité, l’outre-entendement, l’au-delà de la raison. Ainsi un vache naturaliste, venue tout droit d’une enseigne de boucherie, est plaquée sur un violon, lui aussi naturaliste, le tout sur un fond strictement cubiste abstrait. Souvenons-nous encore que sur le Réserviste de première catégorie [Ratnik pervogo razrjada] du MoMa un thermomètre est collé à un endroit du „corps“ du personnage, susceptible de toutes les variations de température… Dans la mise en forme du poème de Khlebnikov et de Kroutchonykh Jeu en enfer, on voit trois diables qui font subir des supplices atroces à une femme nue – l’un a posé ses postères sur la tête de cette dernière, les deux autres sont en train de la découper à la scie, tandis qu’elle rôtit sur un brasier…Parodie des légendes ornant les vies des martyrs chrétiens! Quant au célèbre tableau Composition avec Mona Lisa de 1914, sous le collage d’une représentation de la Joconde on peut lire une coupure de journal qui dit : „appartement à céder à Moscou“!
Dans les écrits de Malévitch se rencontre constamment la collision du style et du lexique très soutenus avec les notations comiques. Un exemple pris dans le traité Des nouveaux systèmes en art (1919) :
„Nous devons porter notre regard sur ce qui est pictural et non pas sur le samovar, la cathédrale, la citrouille, la Joconde.“
Dans la lettre à Alexandre Benois de mai 1916, on lit :
„Vous qui avez l’habitude de vous chauffer auprès d’un gentil minois, vous avez de la peine à vous réchauffer auprès du visage d’un carré.
Une vénus serait plus chaude, je l’admets, mais un poêle hollandais est encore plus brûlant.
Mais je n’aime pas la chaleur de la première.
Cela pue affreusement la sueur des césars!
Mais quel rapport la chaleur a-t-elle avec la création?“
Beaucoup d’oeuvres suprématistes portent des titres humoristiques. Le „carré rouge“ du Musée national russe de Saint-Pétersbourg s’appelle dans le catalogue de 1915 Réalisme d’une paysanne en deux dimensions; les „deux carrés noir et rouge “ du MoMA sont originellement intitulés Réalisme pictural d’un garçonnet avec sac à dos. Masses colorées dans la quatrième dimension…L’artiste nous prévient cependant dans le catalogue :
“En nommant quelques tableaux, je ne veux pas montrer que l’on doit y chercher leurs formes mais je veux montrer que les formes réelles ont été surtout considérées par moi comme des tas de masses picturales sans forme, à partir desquelles a été créé un tableau pictural qui n’a rien à voir avec la nature.”
Sur un dessin alogique de 1915, Malévitch a écrit Pud. Le poude désignait une mesure d’un peu plus de 16kg et, également, le poids d’une balance de la même mesure. Le mot « poude » entre dans de nombreuses expressions proverbiales pour indiquer ce qui pèse lourd, qui a la force d’une masse, le coup de massue : c’est ici le carré qui est ainsi désigné… En dialogue avec lui, une échelle – sans doute, celle du peintre en bâtiments, aimée par les artistes de l’avant-garde russe. Et puis – deux paires de lunettes, l’une, minuscule, comme désarticulée, et l’autre affublée d’un proéminent nez-poisson. On connaît la connotation phallique du nez dans la célèbre nouvelle éponyme du compatriote ukrainien de Malévitch – Gogol ! Quant au poisson, qui apparaît à plusieurs reprises chez Malévitch, il peut être aussi bien un symbole chrétien ou, comme ici, un nez-phallus : Malévitch ou l’art du camouflage !
Du visage
S’il subsiste dans le Suprématisme une charge symbolique, elle passe à travers la sensation [oščuščenie], mot-clef de Malévitch:
« Ainsi, l’artiste, pour rendre sa sensation du monde, n’élabore pas la couleur et la forme avant que ne pénètre dans son imagination la lumière dont il a la sensation, car la sensation détermine couleur et forme; il convient donc de parler de correspondance de la couleur à la sensation plutôt qu’à la forme, ou bien de la correspon- dance de telle ou telle sensation. »
On peut ainsi interpréter le noir du Quadrangle de la Galerie nationale Trétiakov ou de la Croix noire du MNAM comme celui des ténèbres inexpugnables de la mystique apophatique, du Deus absconditus impénétrable à toute connaissance des sens ou de l’intellect, même à la vision angélique. L’image de l’homme et l’image du monde, qui s’étaient interpénétrées à partir du “réalisme transmental”, se sont définitivement réunies dans le Quadrangle noir, Visage sans visage absolu, Face impénétrable. On pense à ce passage de Denys l’Aréopagite :
“Figure qui fait toute figure dans ce qui n’a pas de figure, parce qu’elle commande à toute figure, mais infigurable dans ce qui a une figure parce qu’elle surpasse toute figure.”
Dans le Quadrangle noir, l’image du monde a englouti l’image de l’homme, poussant ainsi à l’extrême la visée des cubistes qui, selon Apollinaire, était “l’expression de l’Univers” à travers la fameuse “quatrième dimension”, laquelle “figure l’immensité de l’espace s’éternisant dans toutes les directions à un moment déterminé”, “est l’espace même, la dimension de l’infini.”
De la même façon, le rouge intense de Réalisme pictural d’une paysanne en deux dimensions est comme la sensation suprême du monde paysan russien. Ce “carré rouge” est comme le visage, la face du monde paysan russien. Notons un premier trait lexical, en russe on parle du “visage de la Terre” (lico zemli). Notons encore que le rouge est identifié au Beau dans l’inconscient collectif russien : le même adjectif désignait l’un et l’autre, ce qui a laissé des traces lexicales dans la langue russe, par exemple dans le nom de la “Place Rouge” (Krasnaja ploščad’) à Moscou qui s’appelait ainsi, bien avant la Révolution de 1917, parce qu’elle était la “Belle Place”. Le “Beau Coin” (krasnyj ugol), l’endroit des icônes au haut de l’encoignure orientale de la pièce principale de toutes les maisons paysannes orthodoxes russes, est le “Beau Coin Rouge”. Le “Beau” au sens de l’esthétique est, étymologiquement, le “Très-Rouge” (pre-krasnoe). Il est probable que dans la pensée picturale de Malévitch cette sensation rouge ait trouvé toute sa justification dans les couleurs si chantantes et si brûlantes de la peinture d’icônes. Le même rouge soutenu se retrouve dans plusieurs tableaux du suprématisme statique, comme dans Suprématisme aux huit rectangles(Stedelijk Museum, Amsterdam). Le jeu du noir, du rouge et du blanc dans les tableaux suprématistes est comme la quintessence picturale de ces mêmes rapports colorés dans la peinture d’icônes, en particulier dans l’École de Novgorod.
De la chaise
Dans la célèbre photographie du « suprématisme de la peinture » à la Dernière exposition de tableaux futuristes 0, 10 à Pétrograd en 1915-1916, on aperçoit un objet insolite par le contraste que sa trivialité concrète constitue par rapport à l’iconostase où se manifeste la radicalité du monde précisément sans-objet – une chaise. Une chaise vide. Une chaise qui offre à qui le veut bien un lieu propice au repos et à la contemplation méditative. Cette chaise a peut-être été déjà utilisée. Peut-être par Malévitch qui est venu se reposer sous le Beau coin rouge avec son icône quadrangulaire noire entourée de blanc – une icône hétérodoxe, car monophysite…. (Mais Malévitch est un peintre, pas un iconographe) Peut-être par un gardien (pour protéger l’iconostase des agressions éventuelles de Tatline qui s’était installé dans une salle à part introduite par une pancarte où était écrit : « Les peintres professionnels »…). En tout cas, elle est là, cette chaise, adossée à la cimaise et elle n’a pas été écarté par le photographe, à moins que ce photographe l’ait lui-même placée ?
Écoutons Paul Klee :
« Sag nicht Feuerbach, zum Verstehen des Bildes gehöre ein Stuhl ? Wozu der Stuhl ? Damit die ermüdeten Beine den Geist nicht stören.» :
« Feuerbach ne dit-il pas que pour comprendre un tableau on a besoin d’une chaise. Pour quoi faire une chaise ? Pour que les jambes fatiguées ne troublent pas l’esprit. » (Schöpferische Konfession, 1920)
Jean-Claude Marcadé
Le Pam, février-mars 2011
VARIATIONS
ON A quAdRANguLAR THEME
JEAN-CLAUDE MARCADé is the emeritus Director of Research at the CNRS [National Centre for Scientific Research, in France], President of the association ‘Les Amis d’Antoine Pevsner’ and translator of Russian, German and Ukranien. He is the curator of several exhibitions, which recently have included La russie à l’avant-garde, 1900-1935 at the Palais des Beaux-Arts in Brussels in 2005-2006; the Malevich retrospective at La Pedrera in Barcelona and the Bilbao Fine Arts Museum in 2006; and the Rodtchenko retrospective at La Pedrera in Barcelona in 2008 – 2009.
He is a contributing author to the monograph « Malévitch » (Paris, Casterman, 1990), to « l’Avant-garde russe: 1907-1927″(Paris, Flammarion, 1995, 2007), and to »Nicolas de Staël » (Paris, Hazan, 2008).
On naming
The piece commonly known as Black Square on a White Background was, for the “0,10” exhibition held in Petrograd in 1915–16, entitled by Malevich Četyreugol’nik, meaning Quadrangle.
Kazimir Malevich, Quadrangle, 1915. Trétiakov Gallery, Moscow.
The pronunciation of the Russian word puts the stress on “angle”; that is why I reject its translation as “quadrilateral,” which introduces the notion of “side,” a notion found neither implicitly nor explicitly in the Russian word. If the word “quadrangle” is not very commonly used, then nor, in Russian, was the word chosen by Malevich, četyreugol’nik, which was archaic compared to the everyday word četyrëxugol’nik. “Quadrangle” is a geometrical term which designates any figure that has four corners and four sides: this can be a square, a lozenge, a parallelogram, a rectangle or a trapeze. In his writings and public statements from 1915–16, Malevich referred to his work as the Square:
“The square is not a subconscious form. It is the creation of intuitive reason. It is
the face of the new art. The square is a living, royal infant. It is the first step of pure creation in art. Before it, there were naïve deformities and copies of nature.” 1
Cover of Kazimir Malevich »s book, « From Cubism and Futurism to Suprematism: The New realism in Painting », Moscow, 1916.
On quadrangularity
Malevich was affirming, above all, “quadra gularity” as such, in opposition to the “triangularity” that had, throughout the centuries, symbolically represented the divine. In the 1920s, he aphoristically asserted that:
“The form of modernity is the rectangle. In it, four points triumph over three points.”
On geometry
The « Quadrangl »e of 1915, like the other Squares painted by Malevich, is not an exactly geometrical square. Besides, as Étienne Gilson has noted, when a geometrical form enters the surface of a painting it ceases to be geometry and becomes pictorial. The problem of Suprematism is not a problem of geometry, it is the problem of the pictorial as such, and specifically, the coloured flat surface: absolute planarity.
On the frame
It is sad to see that many of Malevich’s Suprematist works have been framed by the institutions that own them. This is in complete contradiction with “Suprematism in Painting.” During their maker’s lifetime, the Suprematist works were exhibited without a frame. Regarding the black « Quadrangle » of 1915, Malevich wrote to his detractor, the traditionalist Alexandre Benois, in 1916:
“I have only a single bare and frameless icon of our times, but my happiness in not being like you will give me the strength to go further and further into the empty wilderness. For it’s only there that transformation can take place.”
Benois had certainly noted the absence of a frame on the black « Quadrangle ». In 1916 he wrote:
“One is bored at the Futurist exhibition because all their work, all their activity, is nothing more than the negation of love, the total affirmation of the cult of the void, of darkness, of ‘nothing,’ of the black square in a white frame.”
The frame was no longer outside the surface of the painting, but inside it, as in a religious icon.
Note that at this same moment Mondrian was exhibiting his « Composition in Oval with Colour Planes 1 » without a frame. At this time, the frames
on Mondrian’s works were limited to thin beads of painted wood around the edges. The point, without a doubt, was to free the painted surface of what had for centuries been its traditional parangon, making the painting a window through which the beholder could contemplate a section of reality. In the same way, Mondrian’s attention was focused exclusively on the universal, and “the universal cannot be expressed purely so long as the particular obstructs the path.”2 The frame, then, obstructed the revelation of the universal.
On the unfathomable and the humorous
The Polish-Ukrainian Malevich was, so he told us, nourished by the land, the sky and the colours of Ukraine. The constructivist Vladimir Stenberg told me that in Moscow Malevich adopted the persona of the “Ukrainian patriot,” dressing in the Ukrainian style and singing Ukrainian songs. Ukraine is the land of Gogol. It will therefore come as no surprise that the creator of the black « Quadrangle » surrounded by white was a man who, whether in his paintings, his writings or his public behaviour, oscillated between the fathomless gravity of the issues (coloured movement as a means of revealing “liberated nothingness,” the “world without objects”) and playfulness, provocation and unbridled truculence. The photograph of Malevich walking round the centre of Moscow with a wooden spoon in his buttonhole, and the rowdy pantomime of the Cubo-Futurist shows at the Luna Park in Saint Petersburg in 1913 (Mayakovski a Tragedy and Victory over the Sun), with the upside-down piano stuck to the ceiling over their heads, make this absurdist text from 1916 seem rather less surprising:
1. Kazimir Malevich, From Cubism and Futurism to Suprematism: The New realism in Painting, Moscow, 1916.
2. Natural reality and Abstract reality, 1919.
Kazimir Malevich, Painterly realism of a Boy with a Knapsack, 1915. MoMA-Museum of Modern Art, New york.
Kazimir Malevich, Painterly realism of a Peasant Woman in Two Dimensions, 1915. Russian Museum, Saint Petersburg .
3. The Secret Vices of Academicians.
“The supreme artistic work is written when reason
is absent. Excerpt from such a work:
–I have just eaten calves’ feet.
It is terribly hard to adapt to happiness when you have travelled through Siberia.
I still envy the telegraph pole. Pharmacy.
Of course, many will think it absurd. They are wrong.
You only need light two matches and put out a washbasin.” 3
We should not forget that Malevich was the founder of alogism in painting, that variant on zaum standing for transmentalism, outer- understanding, and what is beyond reason. He slapped a naturalistic cow straight from a butcher’s sign on top of an equally naturalistic violin against a strictly Cubist background. And let us also remember that on MoMA’s « Reservist of the First Division » (Ratnik pervogo razrjada), a thermometer is stuck on a part of the figure’s “body” exposed to every variation in temperature. In one of his illustrations for the poem by Khlebnikov and Kruchenykh, « A Game in Hell », we see three devils subjecting a naked women to the most atrocious torture: one of them has sat its posterior on her head and the other two are busy sawing her in pieces while she roasts on a brazier. A nice parody of the legends of Christian martyrs. As for the famous collage from 1914, Partial Éclipse with Mona Lisa, underthe reproduction of the famous painting we read a press cutting advertising an “Apartment for sale in Moscow.”
Malevich’s writings are constantly colliding refined style and vocabulary with comical notations. Here is an example from « On New Systems in Art » (1919):
“We must set our gaze on what is painterly, and not on a samovar, a cathedral, a pumpkin, the Mona Lisa.”
In a letter to Alexandre Benois dated May 1916 we read:
“You who are used to the warm glow of a nice little facikins, you find it hard to take warmth from the face of a square. A Venus would be warmer, I admit, but a Dutch stove would be even more burning hot. But I do not like the heat of the former. It stinks terribly of the sweat of the Caesars! But what has heat got to do with art?”
Many Suprematist works have humorous titles. In the catalogue from 1915 the « Red Square » now at the Russian Museum in Saint Petersburg is called « Painterly Realism of a Peasant Woman in Two Dimensions ».
The « Black Square and Red Square » at MoMA were originally given the title « Painterly Realism of a Boy with a Knapsack. Colour Masses in the Fourth Dimension »… Still, the artist had given warning in the catalogue:
“By naming a few paintings I do not mean to show that one is supposed to look for the forms, but I do mean to show that I have considered real forms above all as formless painterly masses, out of which a painterly picture was created that has nothing to do with nature.”
On an alogical drawing from 1915, Malevich wrote the word pud. The pud was a unit of weight representing a little more than 16kg, and also the weight of scales for the same measurement. The word “pud” crops up in many proverbial
expressions to refer to something that weighs a great deal, that has the weight of a sledgehammer, the power of a sledgehammer blow. What Malevich is referring to here is the square. In dialogue with it there is a ladder – no doubt the housepainter’s ladder favoured by Russian avant-garde artists. In addition there are two pairs of spectacles, a tiny one that seems broken, and another complete with a protuberant fish-like nose. We know all about the phallic connotations of the nose in the famous short story of that name by Malevich’s fellow countryman Gogol. As for the fish, which crops up several times in Malevich’s work, it can just as well be a Christian symbol or, as here, a nose-cum-phallus. Malevich and the art of camouflage.
On the face
If Suprematism has any symbolic impact left, it is channelled through sensation [oščuščenie] – a key word in Malevich:
“The artist seeking to express the entirety of his sensation of the world does not elaborate colour in form, but forms the sensation, since the sensation determines the colour and form, so that one should rather speak of the correspondence of colour to sensation than its correspondence to form, or indeed of the correspondence of colour and form to sensation.”
We can thus interpret the black of the « Quadrangle » at the Tretiakov State Gallery or of the black « Cross » at the MNAM as that of the impregnable darkness of the apophatic mystery, of the Deus absconditus impenetrable to any kind of knowing by the senses or intellect, and even to angelic vision. The image of man and the image of the world, which interpenetrated in “trans-mental realism,” are definitely united in the black Quadrangle: absolute face without face, impenetrable Face.
The following passage from Pseudo-Dionysius the Aeropagite comes to mind:
“Figure that makes all figures in what has no figure, because it commands all figures, but unfigurable in what has a figure because it surpasses all figures.”
In the black « Quadrangle », the image of the world has swallowed up the image of man, pushing to its limits the goal of Cubism, which, according to Apollinaire, was “the expression of the Universe” through the famous “fourth dimension,” which “the immensity of space eternalized in all directions at a given moment […] space itself, or the dimension of infinity.”
In the same way, the intense red of « Painterly Realism of a Peasant Woman in Two Dimensions » is like the supreme sensation of the Russian peasant world. This « Red Square » is like the figure, the face of the peasant worldof the Rus’. Note the Russian expression “face of the earth” [lico zemli]. Note also that red is identified with beauty in the collective unconscious of the Rus’. Originally, the same adjective meant both, and lexical traces of this have remained in the language today, notably in the name Red Square [Krasnaja ploščad’] in Moscow, which bore this name well before the Revolution: it was the “Beautiful Square.” The “beautiful corner” [krasnyj ugol], the place where icons were kept at the top of the eastern corner in the main room of all Russian Orthodox peasant houses, was the “beautiful red corner.” Beauty in the aesthetic sense is, etymologically, the “very red” [pre-krasnoe]. It is likely that in Malevich’s pictorial thinking this red sensation was fully justified by the hot, incantatory colours of icon painting. The same fulsome red is found in several paintings in the static Suprematism manner, notably « Suprematism with Eight Rectangles » (Stedelijk Museum, Amsterdam). The interplay of black, red and white in the Suprematist paintings is like the pictorial quintessence of those same colour relations in icon painting, and especially the Novgorod School.
On chairs
In the famous photograph of Suprematism in painting, taken at “0,10 The Last Futurist Painting Exhibition” in Petrograd (1915–16), we can make
out an object that seems rather surprising given its physical triviality in relation to the nearby iconostasis manifesting the radicalism of a world that is, indeed, without objects. It is a chair. An empty chair. A chair offering whoever wishes to avail themselves the prospect of rest and meditative contemplation. Perhaps the chair has already been used. Perhaps by Malevich, come to rest below the “beautiful red corner” with its black quadrangular icon surrounded by white – an unorthodox, monophysite icon. (But then Malevich is a painter, not an icon maker.) Perhaps by an attendant (there to protect the iconostasis
in the case of aggression from Tatlin, who has taken up quarters in a separate room signalled by a placard saying “Professional painters”). In any case, the chair is very much there, against the picture wall, and it was not removed by the photographer – in fact, perhaps he even placed it here?
Here is what Paul Klee has to say:
“Sagt nicht Feuerbach, zum Verstehen des Bildes gehöre ein Stuhl ? Wozu der Stuhl ? Damit die ermüdeten Beine den Geist nicht stören.”
“Does not Feuerbach [the painter, Anselm Feuerbach] say that in order to understand a painting you need a chair. A chair? What for? So that the mind will not be distracted by tired legs.”4
JEAN-CLAudE MARCAdÉ
Le Pam, February-March 2011
“0,10 The Last Futurist Painting Exhibition”, Nadiejda Dobytchina Gallery, Petrograd, 1915-1916.