Catégorie De l’Ukraine
COLLAGES RÉCENTS D’IGOR MINAEV
By Jean-Claude on Fév 5th, 2024
LES ARTISTES DE RUSSIE ET D’UKRAINE À LA SECTION D’OR (1912-1925), juillet 2000
By Jean-Claude on Fév 2nd, 2024
LES ARTISTES DE RUSSIE ET D’UKRAINE À LA SECTION D’OR (1912-1925)
Il n’ est pas question ici de retracer dans le détail l’événement que fut l’apparition du cubisme au Salon des Indépendants, puis à celui d’ Automne, en 1911, et les sarcasmes qu’ils provoquèrent. Je voudrais simplement citer la prise de position du jeune critique français Jacques Rivière dans le numéro de juillet 1911 de La Nouvelle Revue Française où il peut, entre autres, s’exclamer :
“Le cubisme est mort, vive le fumisme” (à propos des tableaux de Le Fauconnier Chasseur et de Léger La Rue)!
Le futur directeur de la NRF récidive en mars 1912 lorsqu’il écrit un très important article dans la Revue d’Europe et d’Amérique, “Les tendances actuelles de la peinture”, dans lequel de façon très intelligente et fine il fait une magistrale analyse du cubisme qu’il prend tout à fait au sérieux mais dont il condamne la visée :
“Je n’en conclus pas que leur [celle des cubistes] tentative soit vaine et gratuite, au contraire; leur embarras me fait croire qu’il y a dans l’affaire quelque chose qui les dépasse, une nécessité toute puissante de l’évolution de la peinture, plus de vérité qu’il ne leur est possible d’en apercevoir du premier coup. Ils sont les précurseurs, comme tous les précurseurs, d’un art nouveau, dès maintenant inévitable” .
On le sait, dans cet article, Jacques Rivière “met à part” son ami André Lhote “dont les oeuvres récentes me paraissent marquer avec une simplicité admirable l’avènement décisif de la peinture nouvelle” . Comme écho-réponse légèrement ironique, Apollinaire peut déclarer :
“La peinture de M. Lhote est un compromis entre les diverses tendances que se partagent nos jeunes peintres de talent. Ses images ne pourront manquer de plaire à ce grand enfant, le public” .
André Lhote exprime bien sa position de compromis dans sa lettre à Jacques Rivière le 12 août 1911, condamnant le “renoncement à la grâce et à l’esprit”, “l’abstraction pure des Braque et Picasso” :
“D’un côté trop de complaisance pour la joie extérieure [les impressionnistes], de l’autre les ténèbres sans humanité”.
Ainsi la Section d’Or de 1912 apparaît pour une part, après tous ces soubresauts, comme un essai de montrer que la nouvelle forme d’art appelée cubisme non seulement s’appuyait sur les lois éternelles de l’art (référence implicite au Nombre d’or et à Léonard de Vinci) et était animée d’un esprit “scientifique”, mais était également plurivoque comme le souligne Maurice Raynal dans son article consacré à l’exposition . Ainsi les cézannistes géométriques Metzinger, Albert Gleizes, Alexandra Exter se confrontent aux “futurocubistes” Marcel Duchamp et Raymond Duchamp-Villon. Le “fumiste” (selon Jacques Rivière) Léger côtoie les géométries aux coloris si différents l’un de l’autre de Juan Gris ou de Jacques Villon, ou encore le primitivisme de Sofia Lewitska. Si le cubisme analytique de Picasso et de Braque de 1910-1911, au seuil de l’Abstraction mais ne s’y abîmant pas, est absent (peut-être pas pour des raisons uniquement circonstancielles), il y avait bien les masses hermétiques en mouvement de Marcel Duchamp pour représenter l’extrémisme cubiste, mâtiné ici de futurisme.
Ainsi, c’est dit :
“Les cubistes, à quelques tendances qu’ils appartiennent apparaissent […] comme les artistes les plus sérieux et les plus intéressants de notre époque” .
Le choix d’un intitulé qui rappelle les rapports de mesure les plus antiques et les plus classiques indique – selon Apollinaire – que les cubistes “ne se croient pas isolés dans l’art et qu’ils se rattachent à la grande tradition” . Les artistes russes ou russo-ukrainiens présents à la Section d’or de 1912, comme à celles qui auront lieu en 1920 et 1925 répondent pleinement à cette exigence esthétique revendiquée.
Archipenko, qui participe aux trois manifestations, faisant la recension du Salon des Indépendants de 1911 pour un journal russe de Paris, déclare :
“Le groupe [des modernistes] se tient aux traditions des anciens maîtres et construit ses chefs-d’oeuvre sur des principes extrêmement intéressants. Le géométrisme des formes qui se répète rythmiquement sur leurs toiles témoigne de ce que les peintres de cette École ont étudié non seulement les classiques mais aussi le grand style égyptien dans lequel l’architecture des corps était construite à partir des figures géométriques presque exactes. Dans leurs oeuvres, dans cet étalement des figures géométriques, on voit leur logique étonnante, surtout dans la grande toile de Le Fauconnier. Ils étalent ces figures en fonction du clair-obscur, de la coloration de l’objet et de l’anatomie. Leurs toiles sont extrêmement riches en formes et ont plutôt un caractère sculptural. Leurs couleurs ne ressemblent pas aux couleurs gaies et vives de fête de Van Dongen chez qui plusieurs toiles sont divisées en deux ou trois tons. Leurs tableaux présentent une tache rigoureuse entière, leur gamme variée de couleurs est réduite à un ton clair, tranquille. cette École a un très grand avenir” .
De 1910 à 1912 l’oeuvre sculptée d’Archipenko utilise essentiellement le bois et le plâtre, alors qu’à la Section d’or de 1912 il montre une “statuette en ciment” Danseuse. Ce matériau a été peu utilisé par l’artiste ukrainien. La toute petite Salomé en ciment, qui fut exposée à l’Armory Show en 1913 , semble être, au moins par le sujet, la plus proche de ce sujet.
“Regardons cette Salomé, écrira Apollinaire en 1914 , ses désirs languissants presque brutalement éclairés”.
La danse est un des sujets privilégiés par Archipenko autour de 1912, car dans sa volonté de sortir du réalisme psychologiste de Rodin l’artiste ukrainien y voit un élément essentiel de la sculpture : le mouvement, le rythme dans l’espace (voir : Danse rouge (plâtre coloré de 1912, La Danse (bronze de 1912, reproduit sur la couverture de la revue anglaise Sketch le 29 octobre 1913) . L’utilisation du ciment est déjà un “geste” novateur, puisque dans la ligne des conceptions des novateurs russes et ukrainiens des années 1910, la faktoura (i.e. la texture) est un élément essentiel de la création artistique. D’autre part le mouvement penché et amplement arrondi de la Salomé est celui qu’Archipenko donne à ses figures à cette époque (voir le célèbre Penché) ne sera pas sans conséquence pour ses compatriotes Tatline (pour lequel David Bourliouk parlait de “rondisme”), voire Naum Gabo dans son fameux Torse en carton .
Une compatriote kiévienne d’Archipenko, Alexandra Exter, est présente à la Section d’or de 1912 . Sans doute, les oeuvres mentionnées dans le catalogue comme “Le Pont” (N° 180) et “ Étude pour ‘Le Pont’ “ (N° 181) sont-elles le célèbre Pont (Sèvres) [huile sur toile, 145 x 115 cm] du Musée National des Arts Plastiques de Kiev et le Dessin pour le tableau Pont (Sèvres) de la collection privée kiévienne Koutchérenko. Ce sont des oeuvres typiquement “cézannistes géométriques” comme la toile de la même époque Bords de Seine du Musée d’Art de Yaroslav ; on y trouve une magistrale et originale interprétation du fameux précepte cézannien concernant le traitement de la nature “par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective”. Les contours des motifs paysagistes restent lisibles, la perspective n’est pas encore totalement abandonnée mais elle perd son statut illusionniste. La gamme de couleurs est ici très retenue (ocres, blancs, gris), dans l’esprit du cubisme parisien mais avec quelques touches discrètes de bleu et de vert qui indiquent bien que le tempérament pictural d’Alexandra Exter va bientôt sortir de cette modération coloriste et également des espaces aérés et légers comme des aquarelles et que va, immédiatement après, fuser une gamme exubérante et une tendance au baroque, issus de la tradition populaire et architecturale ukrainienne. C’est le cas des Ponts de Paris(vers 1912, coll. part., Italie), de Ville (Musée d’Art Moderne, Saint-Etienne), de Ville de Kiev (coll. part., Allemagne), de Gênes (ancienne coll. galerie Gmurzynska) pour lesquels on a pu parler de “poèmes architectoniques” avec les éléments futuristes qui s’accentuent dans Ville et La ville de Kiev, et font se courber telles des vagues les ensembles architecturaux (c’est à partir de ce moment-là que l’on commence à parler en Russie de “cubofuturisme”).
La troisième artiste de la Section d’or de 1912, issue de l’ Empire Russe, est l’Ukrainienne Sofia (ou Sonia) Lewitska qui fut remarquée à plusieurs reprises par Apollinaire dans ses chroniques d’art. Au Salon des Indépendants de 1910, alors qu’il trouve “très vilains” les nus de Duchamp et que Kontchalovski est dit peindre “à coup de bottes”, le poète cite, à la suite,
“Lewitska dont un tableau représentant un couple nu dansant dans un parc est assez joyeux” .
Dans sa recension du Salon des Indépendants de 1912, Apollinaire cite Sofia Lewitska entre Alexandra Exter et Kandinsky :
“L’envoi de Mme Lewitska est un des meilleurs envois féminins du Salon. Elle a regardé les paysages du Douanier, mais sa personnalité est restée entière et le sentiment qui anime sa toile La Campagne, est large comme ces choeurs que chantent les villageois de son pays” .
A propos des paysages du Roussillon de Sofia Lewitska aux Indépendants de 1913, Apollinaire parle d’ “art délicat qui confine au cubisme par la vérité des derniers plans” et, à l’occasion du Salon d’Automne de la même année, il note que “Mme Lewitska a un talent lyrique et simple qui me semble de plus en plus personnel et séduisant” .
Nous voudrions mieux apprécier la peinture de Sofia Lewitska qui reste à découvrir. En revanche, son oeuvre gravée est davantage connue. L’artiste y montre une richesse de composition (par exemple, dans La Cueillette des pommes) qui en fait l’héritière des complexes compositions végétales sculptées du baroque ukrainien mais aussi de la haute tradition de la gravure ukrainienne qui “fut un domaine privilégié du génie ukrainien à toutes les époques” .
Quand la Section d’or est “renouvelée” en 1920 sous forme d’association, de ses trois fondateurs (Archipenko, Gleizes, Survage) deux viennent de l’ancien Empire Russe, le Kiévien Archipenko et le Moscovite Survage. Notons encore,dans le bureau de cette association, l’ancien étudiant de l’École d’art de Kiev Serge Férat. On y est frappé par la présence relativement nombreuse parmi les exposants d’artistes russes : François Angiboult (la baronne Eléna Frantsevna Oettingen), Natalia Gontcharova, Larionov, Marie Vassilief . Il y avait là, outre un des théoriciens français du cubisme (Gleizes dont le livre de 1912, écrit avec Metzinger – absent du Salon de 1920 – Du “Cubisme” avait été traduit deux fois en russe en 1913), des artistes qui furent entre 1910 et 1915 des novateurs de premier plan. La présence de Jacques Villon et, de façon posthume, de sculptures de Raymond Duchamp-Villon montre la filiation de cette Section d’ or de 1920 avec “le groupe de Puteaux” . Le même esprit qu’en 1912 semble animer les organisateurs : prouver que le cubisme est une forme d’art qui puise ses principes esthétiques dans l’art du passé. C’était ce que s’était ingénié de démontrer depuis 1912 aussi bien Gleizes, Metzinger, Apollinaire que Maurice Raynal ou Daniel-Henry Kahnweiler. La Section d’or de 1920, comme celle de 1912, semble se diriger vers un cubisme d’école; il semble devenir chez les anciens révolutionnaires de 1907-1914 une discipline, et non plus une poétique totalisante, ayant l’ambition de créer un univers pictural nouveau en embrassant dans un seul mouvement l’apparent et ses sources inapparentes.
Il y avait eu en 1918 le petit livre d’Ozenfant et de Jeanneret [Le Corbusier] Après le Cubisme qui prônait le retour à la nature, ce qui ne signifiait nullement la copie de la nature puisque la règle préconisée était la géométrisation du monde des objets . Et puis en 1919 nous retrouvons La Nouvelle Revue Française et André Lhote qui, dans sa recension d’une exposition de Braque dans le numéro de juin, parle de la nécessité d’un “rappel à l’ordre” (l’expression est bien celle-là!), ce qui sera repris à la fin des années 1920 par Cocteau, cette fois sous la forme d’une constatation, comme “retour à l’ordre”. L’on sait que cette idéologie détestable n’a cessé de faire florès de façon larvée ou explicite jusqu’à aujourd’hui…
Ce contexte explique sans doute qu’il n’y ait ni puristes ni Lhote à la Section d’or de 1920, bien qu’il n’y ait pas non plus d’extrémistes. Pierre Albert-Birot éprouve le besoin, en annonçant l’exposition dans un entrefilet de L’Intransigeant du 27 février 1920, que “le groupe dit ‘Dada’ ne fait pas partie de la ‘Section d’or’ “. Donc ni pré-constructivistes (ils sont essentiellement en Allemagne ou en Russie soviétique – en particulier Alexandra Exter – à ce moment-là) ni, surtout, le nihilisme dadaïste.
En fait, si l’on en juge par les seuls Russes présents, cette Section d’or de 1920 est sous le signe d’Apollinaire. Serge Férat [Yastrebtsov], on s’en souvient, ainsi que François Angiboult [Eléna Oettingen] furent les éditeurs-chroniqueurs de la revue cubiste Les Soirées de Paris en 1913-1914, dont Apollinaire était le rédacteur en chef. Archipenko qui, en 1912, était au seuil de ses expérimentations, avait derrière lui, en 1920, ses sculpto-peintures, ses constructions polychromes faites avec les matériaux les plus divers, il avait inventé dans la sculpture moderne la “trouée” de la masse (voir le bronze Figure debout, 1917, MNAM) et le concave. Il avait reçu le soutien appuyé d’Apollinaire qui, dans sa préface à l’exposition du sculpteur ukrainien à Der Sturm en mars 1914, tient à souligner qu’ “on perçoit dans son art une adaptation totale à la tradition”, qu’il “a été nourri du meilleur de la tradition”25 .
La grande Natalia Gontcharova avait eu une rétrospective de plus de 700 oeuvres à Moscou en 1913, avait avec le compagnon de sa vie Larionov contribué à la formation fulgurante et éphémère du Rayonnisme entre 1912 et 1915, mouvement non-figuratif et abstrait dont Apollinaire écrivit dans Les Soirées de Paris de juillet 1914 qu’ il fut “un raffinement nouveau” dans la peinture . On peut dire que Natalia Gontcharova a marqué de sa forte personnalité tous les mouvements importants qui ont bouleversé en Russie les données esthétiques traditionnelles (impressionnisme, gauguinisme, primitivisme, cubofuturisme, rayonnisme). A partir des décors qu’elle fit pour l’opéra burlesque Le Coq d’or de Rimski-Korsakov aux Ballets Russes de Diaghilev (Opéra de Paris, 1914), elle mettra en oeuvre tous les procédés inventés en peinture dans ses esquisses des décors et des costumes de théâtre, faisant une synthèse du cubofuturisme, du rayonnisme et du primitivisme, servie par des couleurs opulentes qui feront date dans l’évolution de l’art scénique. Son oeuvre proprement picturale après 1916 oscille entre des tentatives purement géométriques (proches de De Stijl et du Bauhaus) et des séries d’ “Espagnoles”, de “Magnolias” ou d’ “Orchidées” qui se distinguent par une construction très rigoureuse et la finesse du coloris, avec un parti-pris de figuration stylisée et décorative.
Larionov, qui n’est jamais passé par la stricte discipline cubiste, développera aux Ballets Russes de Diaghilev à partir de 1916 ce que l’on pourrait appeler un “futuroprimitivisme”. La force d’expression, la luxuriance des couleurs de ses décors et costumes, la richesse de leurs formes, puisées dans l’art populaire russien, ont marqué l’histoire universelle de l’art. Dans son travail public d’après 1918, Larionov hésite entre plusieurs styles mais reste fidèle dans toutes ses recherches au primitivisme de base, lequel se traduit dans l’absolue liberté du geste de tracement des lignes, dans son immédiateté. On peut observer cela dans la magnifique Nature-morte aux carafes et aux rideaux de la collection Thyssen-Bornemisza qui me paraît de façon évidente être de cette période .
François Angiboult est encore peu connue. Elle fut cependant remarquée par Apollinaire, Rémy de Gourmont, Pierre Albert-Birot qui parle de son style “quatrième dimension” et qualifie sa création picturale de “vastes fantaisies de toutes couleurs”. Son esthétique est souvent proche des paysages urbains de Survage, qui fut son ami dans les années 1910, avec la fragmentation des plans . Sa gamme colorée, par exemple dans la Composition au cadre peint30 est très proche de la gamme “slave” de Sonia Delaunay. Ce qui est le cas aussi de Serge Férat dont Valentine Marcadé a écrit que
“son oeuvre délicate se conçoit facilement si on la compare avec les motifs ukrainiens des broderies et des oeufs colorés extrêmement ouvragés et riches en variations rythmées” .
Elle reproduit à l’appui une Composition cubiste de 191332 . Cette même joyeuseté russo-ukrainienne s’exprime dans les décors que Serge Férat fit pour la pièce burlesque d’Apollinaire Les mamelles de Tirésias en 1917.
On le sait, Apollinaire fut celui qui lança dans un calligramme “Survage”, connu juqu’alors par le nom finnois-suédois de son père Stürzwage. Quittant le primitivisme à forte charge symboliste de ses débuts moscovites, passé par la synthèse abstraite couleur-musique de ses “Rythmes colorés” en 1913-1914, l’artiste russe invente, à partir de 1914, un cubisme ornemental idiolectique très complexe :
“Nul, avant Survage, n’a su mettre dans une seule toile une ville entière avec l’intérieur des maisons”, s’exclame Apollinaire en 1917 .
Survage lui-même a pu définir de façon convaincante la poétique si singulière de son oeuvre “paysagiste” de l’époque :
“J’élargis et je complète le cubisme, en définissant la base plastique comme une ‘synthèse plastique de l’espace’. Le cubisme se borne au volume, n’allant pas jusqu’au bout du problème : la base de notre vision n’étant sûrement pas le volume (terrain de la nature-morte), mais l’espace (le paysage). ainsi le volume nécessite-t-il l’éclairage et, le paysage, la lumière. ces deux côtés formels contiennent l’élément primordial de tous les arts : le rythme qui, lui, étant morcellement de l’uniforme de l’infini, nous ramène finalement à ce qu’on nomme ‘la Création du Monde’. C’est là le côté cosmique de l’art dont la seule expression possible est la métaphore” .
La présence de Marie Vassilief à la Section d’or de 1920 se justifiait pleinement. N’avait-elle pas de façon convaincante donné une interprétation originale du cézannisme géométrique (par exemple dans son Paysage d’Espagne, ancienne coll. Gregor et Brasseur ) et du cubisme stricto sensu ( par exemple la vigoureuse Femme à l’éventail de la coll. Thyssen-Bornemisza ou Portrait de femme de la coll. Bernes) entre 1913 et 1916. N’oublions pas que Marie Vassilief avait fait venir en 1914 Fernand Léger à son Académie de l’avenue du Maine pour y faire sa conférence “Les origines de la peinture et sa valeur représentative” qui fut fondatrice de son enseignement ultérieur, prenant comme base les règles initiées par la pratique cubiste :
“La valeur réaliste d’une oeuvre est parfaitement indépendante de toute qualité imitative […] Le réalisme pictural est l’ordonnance simultanée de trois grandes quantités plastiques : les lignes, les formes et les couleurs.”
Marie Vassilief s’adonne pleinement à la déconstruction cubiste transformant la surface picturale en un amas de blocs, un éboulis, un peu dans l’esprit des Nus dans la forêt de Léger. Dans le même temps, à partir de 1914, son style se fait moins hermétique, affleure alors le primitivisme puisé aux sources populaires de sa Russie natale, comme en témoignent des oeuvres comme l’ Autoportrait et autoportrait-poupée de 1915 ou La Danse de 1920. On a affaire ici avec une poétique épurée où la rigueur compositionnelle, voire la géométrie dépouillée sont mises au service d’une image proche du loubok ou des jouets répandus dans l’Empire Russe avant la Révolution de 1917.
La participation russe et ukrainienne aux expositions de la Section d’or n’est pas fortuite. En effet l’“École russe” s’était signalée entre 1906 et 1914 de façon éclatante comme ayant fourni une contribution de premier plan à la révolution plastique de cette époque. Sans les préoccupations socio-politiques de leurs compatriotes de la Russie et de l’Ukraine soviétiques après 1917, les artistes restés en France affirment la continuité de leur aventure purement plastique, certes assagie par rapport aux luttes d’avant la guerre de 1914, mais persévérant avec opiniâtreté dans la création d’une beauté “moderne”, c’est-à-dire non asservie aux canons académiques de la restitution mimétique de la réalité.
Jean-Claude MARCADÉ
Le Pam, juillet 2000
L’oeil d’Ania Staritsky
By Jean-Claude on Jan 20th, 2024
Extraits d’archives
By Jean-Claude on Jan 17th, 2024
SYLVIANE SIGER (1949-2023)
By Jean-Claude on Déc 18th, 2023
SYLVIANE SIGER (1949-2023)
Je viens d’apprendre le décès, en mars 2023, de Sylviane Siger qui a fait partie du cercle familial autour de moi-même et de Valentine. Son départ me plonge dans une tristesse insondable. Nous avons eu tout d’abord Sylviane (que nous appelions affectueusement “Toto”, “Totochka” à cause de son côté garçon manqué) comme étudiante de russe aux Langues O’.
Elle était très brillante, assimilait très bien les langues étrangères qu’elle avait la propriété de saisir sur ordinateur (outre le russe, elle était capable, par exemple, de saisir des textes en arabe). Elle nous a aidés, Valentine et moi, dans notre travail : c’est elle qui dactylographiait nos articles, qui a créé en particulier le tapuscrit de ma thèse sur Leskov, celle de Valentine sur l’art ukrainien, celle d’Alvaro Vargas sur Octavio Paz, de ma monographie de Malévitch chez Casterman. Elle a aidé aussi d’autres professeurs, nos collègues des Langes O’. Elle a traduit avec moi le quatrième tome des Écrits de Malévitch à l’Âge d’Homme, La lumière et la couleur et Le nouveau Moyen-Âge de Berdiaev, elle a traduit une petite nouvelle d’Andreenko. Elle était très avide de connaître et de faire connaître la monde russe, sa littérature, son art, son mode de vie et a voyagé à travers la Russie de Saint-Pétersbourg et Moscou à Irkoutsk. Elle était amie de nos amis peintres, sculpteurs, historiens de l’art (Maria Gortchilina, Maxime Arkhanghelski, Evgéni Kovtoune, Chémiakine, Andreenko, Ania Staritsky). Elle a hébergé chez elle Mikhaïl Chémiakine, sa femme Rebecca et leur fille Dorothée, quand Dina Verny les a chassés de chez elle, au début des années 1970; elle a hébergé aussi le peintre et sculpteur Alexandre Nejdanov, avant son départ pour les États-Unis où il a pris le nom de Ney.
C’est donc une partie de notre histoire à Valentine et à moi qui s’en est allée.
J’ai retrouvé quelques photos anciennes :
APRÈS LA SOUTENANCE DE THÈSE DE VALENTINE MARCADÉ SUR L’ART UKRAINIEN, LE 17 OCTOBRE 1981, DANS LES SALONS DES LANGUES O’ : SYLVIANE SIGER TENANT PAR L’ÉPAULE VALENTINE DEVANT LE PROFESSEUR FRANÇOIS DE LABRIOLLE; ADMINISTRATEUR DES LANGUES O’ , DU PROFESSEUR MARCEL FERRAND ET DE JEAN-CLAUDE MARCADÉ
APRÈS LA SOUTENANCE DE THÈSE DE VALENTINE MARCADÉ SUR L’ART UKRAINIEN, LE 17 OCTOBRE 1981, DANS LES SALONS DES LANGUES O’ : SYLVIANE SIGER À DROITE AVEC, DEVANT ELLE, LE PROFESSEUR MICHEL CADOT , LE PROFESSEUR MARCEL FERRAND ET LA PROFESSEURE D’UKRAINIEN MARIE SCHERRER-DOLGOROUKY,
Exposition ANNA STARITSKY à l’Archipel Michel Butor à Lucinges, 2023
By Jean-Claude on Oct 30th, 2023
ANNA STARITSKY
Le sens pictural acéré d’Anna Staritsky se manifeste dans des séries de gouaches, spontanées, aux couleurs vives et aux textures transparentes, dans des dessins à l’encre de Chine, dans la technique mixte des poèmes-objets, dans ses constructions de « livres-objets », dans ses objets-sculptures, pour triompher dans le collage dont elle a été un des maîtres les plus conséquents de la seconde moitié du XXème siècle.
En cela elle est pleinement une artiste de son temps. Plus qu’à une autre époque, le peintre du XXème siècle, une fois libéré de la représentation mimétique du monde, est en quête de moyens toujours nouveaux de présentation, il est en quête de métamorphoses perpétuelles.
Certes, il a pu arriver qu’à certaines époques – et cela est surtout vrai à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, que les artistes aient mis leur talent au service des arts dits « mineurs » ou des arts appliqués. La nouveauté avec le XXème siècle (et la Russie des Ateliers d’art et de technique, les Instituts de la culture artistique picturale[1], autant que le Bauhaus en Allemagne ont joué un rôle de premier plan dans cette association des différentes formes d’art ou d’artisanat), c’est que la distinction entre arts mineurs et ce qu’on appelait « le grand art » s’amenuise chez les artistes d’envergure. Plus de quatre siècles d’académisme renaissant avaient imposé le tableau de chevalet comme étant le genre noble par excellence. On a pris conscience que le pictural en tant que tel, notion plus vaste que celle qui recouvre l’histoire de la peinture, existait avant l’apparition historique du tableau de chevalet. Quel que soit le matériau utilisé, le pictural en tant que tel peut être manifesté.
Ania Staritsky n’eut aucune difficulté à s’inscrire dans ce mouvement. Les traditions ukrainiennes et russes qui faisaient partie intimement de ses acquis culturels et s’alliaient à la dextérité et à l’esprit d’invention favorisèrent son intervention dans plusieurs domaines de l’art. Elle retrouvait ataviquement les gestes de ces paysannes russiennes qui ont su transformer l’objet le plus humble et le plus déshérité en un objet d’art. La critique d’art allemande Herta Wescher, lors d’une visite d’atelier en 1958 a noté : « [Staritsky] porte en elle son origine russe [j’ajouterai : et ukrainienne] comme source constante de son être, comme une protection contre toutes les déroutes. Sans se perdre dans la nostalgie, elle garde intacte le souvenir d’une atmosphère bénéfique qui n‘est liée pour elle à aucun lieu précis, mais qu’elle ressuscite partout où elle s’installe. En quinze jours elle a transformé en un atelier bien à elle le local désert et sinistre découvert au fond d’une vaste cour »[2]
Depuis des temps immémoriaux les Ukrainiens embellissent, de motifs colorés tous les objets de la vie quotidienne : vêtements, vaisselle, ustensiles de cuisine, outils de travail, attelage de chevaux, ameublement, instruments de musique, livres, murs extérieurs. Union de l’utilitaire et de l’esthétique comme dans beaucoup de civilisations anciennes.
Staritsky peignait des meubles, des caisses, des livres qu’elle aimait, elle faisait elle-même ses vêtements ou transformait à sa manière ceux qu’elle achetait, fabriquait des ceintures, des bijoux. Déjà sa compatriote Sonia Delaunay, entre 1909 et 1914 fabriquait une couverture abstraite pour le berceau de son fils, reliait avec les formes les plus modernes des livres, peinturlurait des coffrets de bois ou créait « la première robe simultanée ». La transformation de tous les objets du quotidien part l’art se pratiquera tout au long du XXème siècle. Que l’on songe, entre beaucoup d’exemples, aux inventions cocasses d’Alexandre Calder qui avait horreur des objets achetés et s’ingéniait à les transformer ou à créer d’autres objets utilitaires, selon ses besoins. Ou à la compatriote d’Anna Staritsky, sa contemporaine Ida Karskaya, dont tout l’environnement domestique et l’habillement étaient entièrement fabriqués, de bric et de broc, par elle-même.
Dans la dernière décennie de la vie de Staritsky, les années 1970, ont émergé dans des structures prégnantes les gestes ataviques et le fond archaïque de l’imaginaire slave russien. Ces gestes ancestraux se sont traduits dans deux directions majeures : le collage et la fabrication de livres-objets. C’est la synthèse victorieuse entre le « corps à corps » existentiel avec le matériau artistique des années 1950 et les retrouvailles avec la joie pacifiante de la fabrication artisanale, une reconnaissance de la continuité entre les rythmes du corps et les rythmes du monde ambiant, voire du monde dans son ensemble. Il est remarquable que dans les démonologies qui, thématiquement, dominent la création de Staritsky dans les années 1970, les figures aux contours indéfinis, déchiquetés, se dilatent, épousent les stries de la terre, suivent leurs disharmonies, tout en ne se confondant jamais avec elles.
Ces figures de sorciers, de sorcières, d’esprits de la terre, des eaux, des airs et du feu sont la résurgence des vieilles mythologies païennes du monde russien. Que l’on songe à son compatriote Gogol dont l’œuvre est imprégnée du monde fantastique le plus débridé.
Son bestiaire (les animaux ont toujours été pour elle un objet de prédilection) est d’une richesse inouïe. De façon générale, elle s’intéresse à toutes les sources folkloriques concernant les rites magiques. Son ami, le peintre et essayiste belge Albert Dasnoy a pu lui écrire : « Tu es toi-même assez portée sur la magie »[3]. Il lui recommande de lire l’Autobiographie de John Cowper Powys : « C’est un apôtre des pouvoirs magiques de l’homme et de la nature »[4].
Staritsky compulse à la Bibliothèque publique de Léningrad les recueils de conjurations et en fait faire des photographies. En 1948 déjà, un critique pouvait déclarer : « L’art d’Anna Staritsky est plein d’une poésie étrange et mensongère. Tout y est raffiné et perfide. Sanglant et doux […] L’art d’Anna Staritsky est d’une qualité peu banale. Il est vénéneux, capiteux toujours. Digne de ceux-là qui aiment à glisser un œil par-dessus le mur… »[5]
Ses animaux fabuleux apparaissent dans les collages, mais également dans ses gravures sur linoleum, les mêmes sujets étant tirés de papiers aux couleurs et aux grains les plus variés ; elle avait un goût amoureux pour le papier. L’artiste a exploité toutes les sortes de gravures : sur cuivre, pierre, zinc ou linoleum. Toutes ces techniques ont été mises par elle au service du livre. De ce point de vue, elle a été un constructeur, héritière de l’avant-garde des années 1910 et 1920 dans l’Empire Russe et l’URSS, telle que représentée par Natalia Gontcharova, Larionov, Olga Rozanova, Kroutchonykh, Varvara Stépanova et, à Paris, l’Ukrainienne Sonia Delaunay[6].
Il faut noter également que les expérimentations staritskyennes, fondées sur l’union de l’écrit et du peint, de la poésie et de la feuille de papier, convergent parfois avec des expériences analogues du peintre russe Piotr Mitouritch, beau-frère de Vélimir Khlebnikov. Est-ce que la jeune Ania lors de son séjour à Moscou au début des années 1920 a pu voir les travaux de l’auteur de « l’alphabet graphique », ou s’agit-il simplement d’une convergence ? En tout cas, certaines pages du « graphisme spatial » de Piotr Mitouritch et sa mise en forme des textes paraissent être une des sources de Staritsky dans ce domaine.[7]
Pour chaque livre, l’artiste ukrainienne trouvait des formes nouvelles, mêlant la gravure, le découpage, le pliage, la sculpture sur bois, le tissus cousu, le cuir, fouillant, fougeant, trouant et, finalement, ordonnant en une unité singulière la multiplicité texturelle. Michel Butor se rappelait que pour sa Chanson pour Don Juan, « l’origine du livre, c’est les trous du papier : elle voulait faire un livre en utilisant du papier avec des trous, alors j’ai fait un texte fabriqué avec des trous. Cela ne se voit pas immédiatement mais c’est l’origine du texte »[8]
Dans livre-objet de Staritsky se conjuguent le concept, le geste, la composition, le contraste et la couleur. Le livre-objet est pour elle le lieu par excellence où triomphe en un seul signe qui développe la multiplicité du sens. Très tôt, la poésie a été, avec la musique, sa nourriture spirituelle. Très tôt, elle s’est exercée aux poèmes-objets, choisissant quelques vers pour les tracer sur une surface picturale en les intégrant au matériau. Elle réalisait elle-même les affiches de ses expositions. Revendiquant cette prise de possession du texte, elle écrit : « Vivant quotidiennement avec la musique et la poésie, je suis poussée à une ”jonction des arts” dont les résultats sont de nombreux collages, gravures et gouaches inspirés par des textes poétiques que j’intègre dans mes œuvres ».[9]
Staritsky crée des poèmes-gouaches, des poèmes-collages, des poèmes-gravures, des poèmes-objets. Les fragments de textes sont souvent utilisés par elle dans la composition picturale. L’artiste a recours à toutes les combinaisons possibles : tantôt elle trace les lettres au pinceau ou à l’encre de Chine, tantôt elle utilise les caractères typographiques de divers formats, les répartissant dans une composition libre. Souvent, on trouve des vers de poètes français, mais il y a des compositions avec l’élément calligraphique russe des vers. C’est ainsi que fut réalisée la série des « incantations » à partir de livres de la région d’Olonetsk rassemblées en 1912 dans la république de Carélie : les feuilles sont fabriquées à la manière des manuscrits en parchemin. Sur le thème des incantations Staritsky a mis en forme le livre Incantation du loup-garou (1979, 5 exemplaires en cotonette et 10 exemplaires en coton).
Dans ce jeu typographique-graphique-pictural le texte poétique devient lui-même polyphonique. L’écriture, la voix des vers et le trait coloré constituent un tout où chaque élément entre l’un dans l’autre comme des papiers-gigognes. Dans les séries des poèmes-objet, comme dans les livres-objets, où elle emploie les techniques les plus variées, les matériaux les plus divers, les lettres de l’alphabet sont soumises à divers traitements formels, se répandent sur la surface picturale en lignes horizontales ou zigzagantes nous faisant resouvenir, encore une fois, qu’écriture et peinture sont, de la façon la plus archaïque, liées, sont dans une même position ontologique et gestique. Faut-il rappeler que dans toutes les langues slaves peindre et écrire se disent avec le même verbe – héritage de la Grèce par qui est entrée la peinture ou zôgraphie. Anna Staritsky n’avait pas besoin de passer par la Chine ou l’Extrême-Orient, comme d’autres peintres de sa génération l’ont fait souvent de manière appliquée, plus par goût pour une tradition européenne orientaliste exotique que par un mouvement organique où l’écrit et le peint ont le même statut dans le tracé du rythme.
L’historien de l’art belge Roger van Gindertael commentant le premier livre qu’elle ait illustré entièrement à la main, en peignant les compositions en couleurs de chacun des 150 exemplaires de L’espace à fresque de Robert Droguet pour les éditions de Beaune en 1955, écrit qu’elle a su « retrouver-là l’équivalent de l’exercice ininterrompu des mains chinoises recommençant sans cesse le même dessin pour atteindre chaque fois à un plus parfait dépouillement ».[10]
Plus de vingt ans plus tard, Michel Butor dira que Staritsky « retrouve une continuité entre le tableau et le volume (le livre au sens habituel) qui avait été perdue depuis longtemps […] Chez elle, il y a une exploration méthodique de cet espace qui va du tableau au livre, dans un sens et dans l’autre ».[11]
Anna Staritsky a exécuté quelques livres sur des sujets russes. Outre l’Incantation du loup-garou, ont paru en russe : Le Dit de la terre russienne (1967, xylographie et linogravure, 25 exemplaires), début d’un poème du XIIIe ècle trouvé dans un manuscrit du XVe siècle au monastère des Grottes de Pskov ; le Livre du guérisseur (1976, 1 seul exemplaire) ; Otpousk (bénédiction finale de la liturgie orthodoxe russienne), livre sous forme de boîte (2 exemplaires) et une traduction française à partir du vieux-russe La légende du royaume de l’Inde(1973, 15 exemplaires) ; Le brigadier d’Iliazd (dans la traduction du célèbre poète français Guillevic, 1980). Il est impossible d’ énumérer tous les livres-objets mis en forme par Anna Staritsky en collaboration avec les poètes et écrivains de langue française : Gaston Puel, Pierre Albert-Birot, Albert Dasnoy, Guillevic, Jean Follain, Michel Seuphor, Pierre Restany, Michel Butor… Elle a effectué un travail particulièrement fécond avec Michel Butor, trouvant dans l’écrivain, le poète et le théoricien un complice idéal dans le dialogue de la peinture et de la poésie. Ce n’est pas un hasard si le poème de Michel Butor Une chanson pour Don Juan (mis en forme en 1973) est dédié précisément à Ania Staritsky. De Michel Butor parurent Imprécations contre les fourmis d’Argentine (1973), Avertissement aux locataires indésirables (1975), Allumettes pour un bûcher de la cour de la vieille Sorbonne (1975) et en 1980, juste avant la mort de l’artiste, Musique pour un Don Juan aveugle sourd (4 livres formant un boîtier pour disques de grammophone, dans lequel, outre le travail pictural, calligraphique, typographique, lithographique de Staritsky, sont insérés des textes autographes de Michel Butor.[12]
En parcourant la création aux multiples facettes d’Anna Staritsky, nous avons la conviction que nous nous trouvons devant une des plus cohérentes, strictes et originales expressions de l’art de la seconde moitié du XXe siècle.
Jean-Claude Marcadé
Mai 2023
[1] Je me permets de renvoyer à mon livre : Jean-Claude Marcadé, L’Avant-garde russe. 1907-1927, Paris, Flammarion, 2007, p. 197-225
[2] Herta Wescher, « Staritsky », Cimaise, mars-avril 1958,¨p.28
[3] Lettre d’Albert Dasnoy à A. Staritsky du 3 octobre 1973, Archives privées
[4] Lettre d’Albert Dasnoy à A. Staritsky du 8 février 1974, Archives privées
[5] Stéphane Rey, « D’Anna Staritsky et de quelques autres, coupure extraite de l’hebdomadaire bruxellois Le Phare (Archives privées)
[6] Je me permets de renvoyer à mon livre : Jean-Claude Marcadé, L’Avant-garde russe. 1907-1927, op.cit., p. 173-195 et 314 sqq.
[7] Voir Ewgenij Kowtun, Sangesi. Die russische Avantgarde. Chlebnikov und ihre Maler, Zurich, Stemmle, 1993, p. 105-127
[8]Michel Butor, « Entretien entre Michel Butor et Antoine Coron », Bulletin de la Bibliothèque Nationale, décembre 1977, N° 4, p. 178
[9] Staritsky, Chefs-d’œuvre de l’art, N° 115, 26. 5. 1965, p. III
[10] Les beaux-arts à Paris, p. 18 (coupure de journal dans les archives Staritsky)
[11] Michel Butor et Michel Sicard, Anna Staritsky, matières et talismans, Paris, Jean-Michel Place, 1978
[12] Le Van Abbemuseum d’Eindhoven possède un ensemble des livres de Staritsky, voir :
Anna Staritsky 1908-1981 ; works on paper / LS Collection Van Abbemuseum Eindhoven ; foreword: Albert Lemmens, Serge Stommels ; Georges Meurant, 2016 ;
200 collages, gravures et défets de Staritsky ont été placés par Alain Bernard à la Lilly Library de l’université de l’Indiana à Bloomington, et 17 livres à l’Humanity Center de l’Université du Texas à Austin.
A propos de l’auteur
Jean-Claude Marcadé, родился в селе Moscardès (Lanas), agrégé de l'Université, docteur ès lettres, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S). , председатель общества "Les Amis d'Antoine Pevsner", куратор выставок в музеях (Pougny, 1992-1993 в Париже и Берлинe ; Le Symbolisme russe, 1999-2000 в Мадриде, Барселоне, Бордо; Malévitch в Париже, 2003 ; Русский Париж.1910-1960, 2003-2004, в Петербурге, Вуппертале, Бордо ; La Russie à l'avant-garde- 1900-1935 в Брюсселе, 2005-2006 ; Malévitch в Барселоне, Билбао, 2006 ; Ланской в Москве, Петербурге, 2006; Родченко в Барселоне (2008).
Автор книг : Malévitch (1990); L'Avant-garde russe. 1907-1927 (1995, 2007); Calder (1996); Eisenstein, Dessins secrets (1998); Anna Staritsky (2000) ; Творчество Н.С. Лескова (2006); Nicolas de Staël. Peintures et dessins (2009)
Malévitch, Kiev, Rodovid, 2013 (en ukrainien); Malévitch, Écrits, t. I, Paris, Allia,2015; Malévitch, Paris, Hazan, 2016Rechercher un article
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